Spécial 20 ans du BJDU : le rendez-vous incontournable de tous les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement

Jean-Claude BonichotJean-Claude Bonichot
Conseiller d’État
Juge à la Cour de justice de l’Union européenne

1) Le BJDU va fêter ses vingt ans. Quel regard portez-vous sur l’évolution du droit de l’urbanisme et de l’aménagement ?

La revue a effectivement été créée en 1994. Elle fête donc cette année ses vingt ans. C’est jeune pour un homme ou une femme, c’est déjà, comme on dit, « un bel âge » pour une revue et d’autant plus pour une revue aussi spécialisée.

Nous avions eu l’impression, avec mon collègue Laurent Touvet, aujourd’hui préfet, qu’elle répondait à un véritable besoin. Nous ne nous sommes pas trompés. Nous étions déjà à une époque de grand développement du droit de l’urbanisme. Les grandes lois « montagne » et « littoral » font aujourd’hui partie des meubles et c’est l’absence de tels instruments qui paraîtrait anormal. À l’époque, nous en étions au début de leur mise en œuvre et il suffit de se reporter aux numéros du BJDU de l’époque pour le vérifier. Puis vint la loi Bosson, portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, puis les lois de 1995, sur l’environnement, l’aménagement et l’orientation du territoire, puis celle de 1999, puis la loi SRU qui a marqué un temps fort, sinon une rupture.

En réalité, si l’on veut prendre toute la mesure de l’évolution, il faut remonter au début des années 80 et aux lois votées après l’élection du président Mitterrand sur la décentralisation et la répartition des compétences, en 1982 et 1983. C’est à ce moment qu’on est passé d’un urbanisme très centralisé, entre les mains, quasi exclusivement, de l’État, à un urbanisme décentralisé. Cela a sans doute joué un grand rôle dans le déclenchement des étapes suivantes. L’orientation générale est, je crois, restée la même et peut-être n’aurait-il pas pu en être autrement : amélioration des instruments de planification, recherche de la meilleure échelle, d’où l’intercommunalité, protection des espaces naturels, simplification, toujours recherchée, des régimes d’autorisation, développement des instruments de maîtrise foncière.

Faut-il continuer dans le même sens ? C’est sans doute ce sur quoi il faudrait, aujourd’hui, s’interroger. Peut-être pourrait-on se demander si la puissance publique n’a pas, à sa disposition, trop d’instruments. Ne suffirait-il pas de fixer le cadre par la planification et de se doter de peu d’instruments, mais très ciblés sur des enjeux majeurs, éventuellement différents selon les lieux ?

On pourrait alors laisser le marché fonctionner et avoir une véritable simplification qui est, je crois, l’un des défis des années qui viennent ? Cela supposerait que l’on légifère autrement : il faudrait prendre le temps d’étudier, d’expertiser, de faire le tri de ce qui est indispensable et ne l’est pas, avec l’aide des différents professionnels intéressés qui, eux aussi, ont des idées et remettre l’ensemble à plat. Peut-être pourrait-on aussi, dans ce cadre rénové, prévoir des instruments de pilotage à mettre en œuvre au cas par cas, selon les circonstances et les lieux et garantir ainsi la stabilité de la législation à laquelle on aspire et que l’on ne parvient jamais à réaliser. Dans le domaine de l’urbanisme non plus, il n’est pas interdit de rêver…

Toujours est-il que le BJDU s’est employé à rendre compte tant de l’actualité que des évolutions plus profondes. Je suis heureux que mes collègues du Conseil d’État et de la juridiction administrative, en compagnie du professeur Tremeau, assurent le fonctionnement régulier du Bulletin et poursuivent avec assiduité et compétence ce travail avec le concours de ceux, de plus en plus nombreux, qui veulent s’y exprimer.

2) Pensez-vous que les critiques formulées contre la loi ALUR auront des conséquences sur son application ?

La loi ALUR est-elle une « grande loi » ou seulement une loi très longue ? En tout cas, elle est très ambitieuse par l’ampleur des changements apportés à la législation dans le but de favoriser la construction de logements.

À titre personnel, je regrette l’aspect assez foisonnant de ce genre de loi et surtout le fait qu’on aille si souvent trop vite pour les adopter, sans toujours prendre la pleine mesure des enjeux et des difficultés d’application auxquelles elles peuvent donner lieu. De même, sous couvert de simplifier, on complique souvent les choses. On ne peut qu’être éberlué par des dispositions telles que celle qui liste le nombre de documents qui doivent être annexés à un contrat de vente d’un lot de copropriété sans qu’il en résulte, en réalité, de véritable garantie pour l’acquéreur.

L’accès au logement passe déjà par la simplification de l’acte de vente, la stabilité de la législation fiscale, notamment pour l’imposition des plus-values et tout ce qui peut fluidifier le marché. S’agissant des règles d’urbanisme, la loi n’échappe pas à cette complexité, en particulier pour le passage des plans locaux au niveau des intercommunalités. Mais elle se situe, toutefois, dans le sillage des lois de ces dernières années depuis la loi SRU. Le rôle du SCOT en sort renforcé, ce qui me paraît une bonne chose. De même reste un objectif majeur la maîtrise de l’étalement urbain, avec le durcissement des règles sur la constructibilité limitée. À cet égard, il est frappant de comparer notre pays à d’autres où l’urbanisation est bien plus ramassée et où l’interdiction de bâtir en dehors des espaces urbanisés ou précisément délimités à cet effet est encore plus stricte. La suppression du COS est une innovation majeure. Il faudra s’y habituer et même l’accepter ce qui, de manière surprenante, est toujours difficile lorsque l’on supprime quelque chose…De même, les dispositions sur la remise en état des sols pollués sont très importantes.

Mais sans doute faudra-t-il, comme toutes les fois où l’on va trop vite, reprendre certaines dispositions, les remettre sur le métier. Or, une des plaies dans ce domaine est le manque de stabilité de la législation.

3) Les journées du BJDU sont devenues l’événement incontournable des acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement. Quels sont les points forts de ce rendez-vous ?

Les journées du BJDU sont devenues, au fil des années, une véritable tradition. L’idée nous en est venue assez rapidement, lorsque nous avons réalisé que la revue brassait une grande quantité de matière qu’il pouvait être utile de mettre en perspective. D’où cette réunion autour du thème « une année d’urbanisme » en quelque sorte.

Chacun d’entre nous est absorbé par son travail quotidien, dans son cabinet d’avocat, son étude de notaire, son administration ou sa juridiction. Nous éprouvons le besoin de sortir le nez du guidon et de reprendre les choses d’un peu plus haut, de passer quelques heures à dérouler ce qui s’est passé dans les mois écoulés, tant du point de vue de la législation que de celui de la jurisprudence. J’ajoute que, personnellement, j’ai toujours beaucoup retiré de ces journées qui nous mettent en contact avec les praticiens de l’urbanisme, de ceux qui le pratiquent quotidiennement et en amont de tout contentieux. La vision contentieuse des choses les déforme beaucoup. Il est très important aussi pour des juges d’avoir l’occasion de sortir de cette optique purement contentieuse et de voir, à travers les discussions avec les professionnels de tous bords, émerger des questions qui seront formellement posées dans quelques mois, voire dans quelques années. Cela permet d’anticiper, et c’est capital.

La prochaine édition des journées du BJDU se situe délibérément dans cette ligne, avec les deux dernières années très chargées dans notre domaine. Seront bien sûr évoqués en détail les apports de la loi ALUR et les interrogations qu’elle suscite, tant pour ce qui concerne l’aspect planification d’urbanisme que les instruments, tels le droit de préemption. On parlera aussi des changements dans les procédures d’autorisations et de l’urbanisme opérationnel. Comme chaque année, ce sera aussi l’occasion d’un vaste panorama jurisprudentiel qui est toujours très utile tant pour rafraîchir notre mémoire, que pour mettre les évolutions en perspective : une chose est de lire un arrêt qui vient d’être rendu, une autre d’en prendre l’exacte mesure quelques mois après.

Ce sera donc, cette année encore, une session particulièrement riche.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Jean-Claude Bonichot lors des Journées du BJDU les 1er et 2 décembre 2014 à Paris.

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