Les plans locaux d’urbanisme après la loi ALUR

Gilles GodfrinGilles Godfrin
Maître de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers
(Institut d’études économiques et juridiques appliquées à l’immobilier, la construction et l’habitat – ICH)

1) Pourquoi et comment la loi ALUR prévoit-elle le transfert aux intercommunalités de la compétence d’élaboration des PLU ?

La planification de l’usage des sols ne peut, sauf exception, se faire pertinemment dans le cadre des territoires communaux issus de la Révolution française, parce qu’ils sont le plus souvent trop restreints et sans lien avec les réalités de la géographie humaine. Il est impossible, à l’échelle des confettis communaux, morceaux de ville ou de campagne, de prendre correctement en charge des enjeux sociaux et environnementaux, tels que la mixité sociale dans l’habitat, la diversité des fonctions urbaines, l’articulation entre urbanisation et transports collectifs, la lutte contre l’étalement urbain, la reconstitution de continuités écologiques, la protection des terres agricoles, etc.

En raison de son aberrante tradition du cumul des mandats, la France n’a pas su, comme cela s’est fait ailleurs, réduire drastiquement, par fusion, le nombre de communes. À cet égard, l’erreur majeure de la réforme décentralisatrice du début des années 80 est de n’avoir pas subordonné le transfert aux communes de la compétence en matière de planification urbaine à leur fusion préalable, ou au moins à leur regroupement au sein d’intercommunalités de projet. Quelque trente ans après, si l’on excepte le cas des intercommunalités très intégrées que sont les communautés urbaines et les futures métropoles, le plan local d’urbanisme (PLU) intercommunal demeure l’exception.

Avec la loi ALUR du 24 mars 2014, le PLU intercommunal cesse enfin d’être un vœu pieux – l’hypocrisie de la loi Grenelle II de 2010 a été justement dénoncée – mais un objectif clair du législateur. C’est pourquoi, cette loi est indéniablement une étape majeure dans l’histoire du droit de l’urbanisme, et donc dans l’histoire de l’urbanisme en France, au même titre que la loi d’orientation foncière de 1967 ou que la loi de décentralisation de 1983 (ne parlons pas de la loi SRU de 2000 qui n’a, en définitive, eu que peu d’effets sur la pratique de l’urbanisme et qui, en particulier, n’a pas su endiguer l’effroyable phénomène d’artificialisation des meilleures terres arables aux abords des villes).

Notons que la loi ALUR, en tant qu’elle prévoit l’intercommunalisation du PLU dans un délai de trois ans, intervient dans un contexte courageux de remise en cause du mode d’exercice du pouvoir local, marquée, quelques semaines auparavant, par le vote de la loi organique du 14 février 2014 interdisant, à compter de 2017, le cumul du mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales.

Certes, alors que le projet de loi plaçait sans exception la compétence en matière de PLU aux mains des communautés de communes et des communautés d’agglomération, la loi ALUR finalement promulguée est bien moins ferme. En effet, et précisément parce que le cumul des mandats est encore une réalité institutionnelle, des parlementaires sont parvenus à obtenir qu’une minorité de blocage –  25 % des communes de l’intercommunalité représentant 20 % de la population – puisse empêcher le transfert de compétence. C’est regrettable, mais la loi prévoit cependant que la manifestation d’une minorité de blocage est nécessaire à chaque renouvellement du conseil communautaire, faute de quoi le transfert de compétence intervient de plein droit.

Malgré le processus d’intercommunalisation progressive du PLU mis en place par la loi, subsisteront encore pendant longtemps un certain nombre de PLU communaux. Leur contenu sera, il est vrai, encadré par les schémas de cohérence territoriale (SCOT) dont la loi envisage qu’ils couvrent à terme l’ensemble du territoire national. Mais cet encadrement ne sera réel que si le SCOT parvient à devenir le support d’un véritable projet de territoire plutôt que de n’être, comme c’est souvent le cas actuellement, que la formalisation non contraignante d’un consensus mou entre intérêt communaux divergents.

Ajoutons que le transfert aux intercommunalités de la compétence en matière de PLU ne sera un progrès réel qu’à la faveur, d’une part, de la rationalisation en cours de la carte intercommunale, d’autre part, de la nécessaire montée en puissance démocratique des intercommunalités. À défaut, le PLU intercommunal risque de n’être qu’une addition de PLU communaux fictivement reliés par un projet d’aménagement et de développement durables (PADD) consensuel et donc à peu près vide.

2) Quant à son contenu réglementaire, le PLU futur sera-t-il très différent du PLU actuel ?

Le nouvel article L. 123-1-5 du Code de l’urbanisme, qui énumère les différentes servitudes d’urbanisme susceptibles de figurer dans le règlement d’un PLU, propose aux rédacteurs de ce document de planification d’organiser les règles retenues autour de trois grandes thématiques réglementaires : 1° l’usage des sols et des bâtiments ; 2° les caractéristiques des constructions ; 3° l’équipement des terrains.

En y regardant de plus près, la répartition, par l’article L. 123-1-5, des servitudes entre ces trois thèmes n’est pas faite de manière très rigoureuse. En outre, pour des raisons incompréhensibles, un certain nombre de servitudes sont énoncées dans des articles séparés, de sorte qu’elles échappent à la classification tripartite. Ajoutons que la rédaction de ces différents articles est souvent défectueuse, ce qui n’est pas favorable à la sécurité juridique des PLU, ni à celle des autorisations d’urbanisme délivrées sous leur empire. Ce n’est pas le lieu ici d’énumérer tout ce qui ne va pas. Ce serait du reste très long…

Aucun décret d’application n’est prévu (sauf pour remanier la liste des destinations susceptibles d’être distinguées dans le PLU), mais il est évident qu’un décret est indispensable non seulement pour mettre en cohérence les articles réglementaires du code avec les nouveaux articles législatifs, mais aussi pour lever les nombreuses incertitudes que soulève la rédaction de ces derniers.

Les nouveaux articles L. 123-1-5 et suivants sont en définitive moins remarquables en raison de ce qu’ils contiennent de nouveau par rapport à leur rédaction antérieure, qu’en raison de ce qu’ils ne contiennent plus. Le législateur a ainsi implicitement retiré aux auteurs des PLU la faculté d’édicter certaines servitudes jusqu’à présent très fréquentes.

En particulier, il n’est plus possible de fixer un coefficient d’occupation du sol (COS) plafond. Cet instrument réglementaire, qui a eu son heure de gloire (un volume entier du Guide du POS publié en 1980 par le ministère en charge de l’urbanisme lui était consacré), outre sa fonction d’empêcher la densification urbaine aujourd’hui souhaitée, est le produit caricatural d’une culture technocratique qui croyait pouvoir mettre l’urbanisme en chiffres. Avec la disparition du COS, les auteurs des PLU ne pourront plus se passer d’une véritable réflexion sur la forme urbaine et sur la densité. Le code met à leur disposition un panel de servitudes suffisamment large pour répondre aux objectifs d’urbanisme souhaités, y compris la limitation de la densité lorsque celle-ci paraît souhaitable. C’est pourquoi, il est déplorable que le gouvernement ne se soit pas opposé à l’amendement des députés-maires de Maisons-Laffitte et de Chantilly qui ont obtenu que le COS subsiste dans « les secteurs bâtis des zones urbaines issus d’une opération d’aménagement d’ensemble d’un domaine boisé, antérieure au XXe siècle, et ayant conservé leur caractère remarquable de parc » (sic). Le COS au service de la protection du patrimoine : même le Guide du POS de 1980 n’y avait pas pensé ! Il eut été pourtant aisé de leur expliquer que subsistaient maints autres outils réglementaires bien plus adaptés et plus subtils que le COS pour assurer la protection des quartiers remarquables.

D’autres servitudes sont sorties du champ de l’habilitation à réglementer. Il s’agit bien sûr de la superficie minimale de terrain requise pour construire (SMTC), servitude conduisant à une consommation immodérée d’espace en périphérie urbaine et en zone périurbaine. Mais les silences des nouveaux articles L. 123-1-5 et suivants semblent aussi interdire d’autres servitudes fréquemment édictées, interdictions dont on peut d’ailleurs douter qu’elles correspondent à une volonté réelle du législateur. Ainsi, les rédacteurs des PLU ont apparemment perdu la faculté d’imposer des distances entre bâtiments implantés en vis-à-vis sur un même terrain puisqu’ils ne sont désormais habilités qu’à déterminer « leurs conditions d’alignement sur la voirie » (sic) et « leurs conditions d’implantation par rapport à la limite séparative ». De même, il ne paraît plus possible de fixer un coefficient d’emprise au sol (CES), sauf à considérer, par une interprétation constructive, qu’une telle servitude procède du pouvoir de réglementer les « dimensions » des bâtiments.

3) Quelle est la situation des PLU actuellement en vigueur ?

Les conditions d’application des PLU antérieurs à la loi ALUR font l’objet d’une disposition fort maladroite selon laquelle : « L’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, n’est pas applicable aux demandes de permis et aux déclarations préalables déposées avant la publication de la présente loi ». A contrario, ce texte signifie que l’article L. 123-1-5 est immédiatement applicable aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées après la publication de la loi. Mais cela ne veut rien dire. L’article L. 123-1-5 n’édicte lui-même aucune servitude opposable aux utilisateurs du sol ; il se contente d’énumérer les servitudes que les rédacteurs des PLU sont habilités à édicter…

L’intention du législateur, exprimée notamment dans l’étude d’impact annexée au projet de loi, est cependant indiscutable : il a voulu dire que les règles des PLU actuels qui ne rentrent pas dans le champ de l’habilitation énoncée dans le nouvel article L. 123-1-5 (mais évidemment aussi dans les articles suivants) ne sont plus opposables aux demandeurs d’autorisation. Ceux-ci n’ont donc plus à respecter le COS, la SMTC, ni, probablement, les règles d’implantation des bâtiments sur un même terrain, le CES et un grand nombre de servitudes dont l’article L. 123-1-5, en creux, ne permet plus l’édiction.

Cet impact immédiat de la loi ALUR sur les conditions d’application des PLU en vigueur traduit un fort volontarisme du législateur.

L’absence de mesures transitoires n’est toutefois pas sans inconvénients. D’une part, elle rend très compliquée la tâche des services chargés de l’instruction des demandes d’autorisation, qui devront faire le départ entre les règles du PLU qui sont encore opposables et celles qui ne le sont plus. D’autre part, elle déstructure les PLU qui ont accordé une place de premier plan aux servitudes devenues inapplicables (notamment au COS), et ouvre ainsi une fenêtre temporelle d’accroissement incontrôlé des possibilités de construire.

Mais l’avantage de l’absence de période transitoire est de mettre les communes ou intercommunalités dans l’obligation de réagir rapidement en engageant une réflexion sur la forme et la densité urbaines souhaitables et sur la manière d’y parvenir dans le cadre d’un PLU « alurisé ».

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Gilles Godfrin lors de notre formation L’urbanisme post-ALUR les 3 et 4 février 2015 à Paris.

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