Le PLUi est-il encore au service d’un projet politique de territoire ?

Corinne LangloisCorinne Langlois
Directrice générale adjointe à l’Agence d’urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine

Le plan local d’urbanisme intercommunal devient la règle aujourd’hui. C’est une aventure pour les territoires qui s’y attèlent, la durée d’une telle procédure pouvant atteindre celle d’un mandat électoral local… quand tout se passe bien. Or l’univers législatif qui encadre ce document est en constante évolution, certains textes en modifiant le contenu en cours de procédure. Parmi ces évolutions rapides citons en deux, concomitantes, dont les effets conjugués génèrent un certain nombre de difficultés pouvant aller jusqu’à remettre en cause l’intérêt même du document : l’évolution de la taille des intercommunalités et l’augmentation constante des sujets à traiter dans un PLUi.

1. Quels sont les effets de l’évolution des intercommunalités ?

Depuis quelques années, les lois successives relatives aux intercommunalités conduisent à une extension de leur périmètre géographique afin d’atteindre un seuil minimum de population. Ainsi, elles peuvent couvrir plusieurs entités géographiques et fonctionnelles pour lesquelles le projet politique commun n’est pas une évidence.

Parallèlement, la volonté de faire du PLUi un document qui traduise l’ensemble des politiques ayant des effets sur l’aménagement de l’espace pose également question. L’élaborer nécessite de mettre en cohérence les stratégies publiques en matière d’habitat, de mobilité, de nature, d’aménagement (ce qui en constitue le socle), mais aussi d’économie, de lutte contre les gaz à effet de serre, de maîtrise de l’énergie, etc. Comme le dit le dicton, à ce stade qui trop embrasse mal étreint…

Malgré cela, deux points importants ne relèvent pas explicitement du PLUi alors qu’ils sont nécessaires à sa mise en application, l’élaboration d’une stratégie foncière et les modalités de gouvernance de sa mise en œuvre. Les éléments relatifs au suivi des effets du PLUi sont limités à la production d’indicateurs.

Cette double évolution a des effets qui remettent partiellement en cause le fondement même du PLUi et à plusieurs titres.

À l’origine, le PLUi traduit un projet de territoire établi à l’échelle d’un bassin de vie exprimé, dans ses grands axes, par le PADD. En ce sens, il est très logique d’articuler les différentes politiques publiques qui ont des effets sur l’aménagement de l’espace et de veiller à leur cohérence. Or, l’extension de l’intercommunalité à de très vastes espaces rend difficile l’élaboration du projet commun. Le PADD peut alors se réduire aux seuls éléments consensuels pour lesquels il est possible d’obtenir une validation politique dans un temps raisonnable.

De plus, les axes du projet politique ne répondent pas forcément aux obligations réglementaires. Il y a donc un risque de voir se développer des options d’aménagement passe-partout et vides de sens, servant uniquement à être conformes à la loi, la trame du projet collectif devenant alors plus difficile à lire pour les usagers comme pour les élus.

L’extension du périmètre géographique des PLUi pose également la question du périmètre des SCOT qui définissent les principes d’aménagement à l’échelle d’un bassin de vie. Portant sur des territoires très vastes, le SCOT a toute chance de ne traduire aucun projet, car établi sur un territoire qui ne correspond ni à un espace politique, ni à un espace de vie. Inversement, portant sur un nombre réduit d’intercommunalités, le SCOT peut faire doublon avec les PLUi, surtout s’il est très prescriptif.

2. Qu’attendre de l’augmentation constante des sujets à traiter dans un PLUi ?

L’intégration de toutes les politiques publiques dans un même document nécessite que les services qui en ont la charge aient un même niveau de maturité dans leurs réflexions dans le même temps (ce qui est rarement le cas…). Cela implique aussi une réelle habitude de travail en commun dans un objectif de cohérence de la décision publique, ce qui n’est pas acquis non plus. Une gouvernance technique efficace du projet est donc nécessaire pour préparer les demandes de validation et d’arbitrage politiques et orchestrer le travail des équipes techniques. La position du chef de projet PLU au sein de la collectivité est, de ce fait, un point sensible. S’il n’a pas la légitimité et l’autorité nécessaires pour cadencer le travail et harmoniser les propositions, les décisions politiques ne sont pas possibles et la maîtrise d’œuvre peine à travailler.

L’intégration forcenée multiplie également les risques d’incohérences entre politiques publiques. Ceci n’est pas étonnant et en temps normal, les régulations se font au cas par cas en fonction des enjeux locaux. Pris à l’échelle du PLUi, ces arbitrages nécessaires peuvent conduire à faire des choix qui influencent l’ensemble du territoire avec une faible modulation locale. La contradiction est évacuée a priori, mais la solution retenue n’est pas forcément opportune pour toutes les situations de l’intercommunalité.

L’intégration conduit aussi à faire du rapport de présentation un document conséquent en termes de sujets traités et de volume. Alors qu’il doit permettre d’expliquer et de justifier le projet, il devient difficile d’en avoir une vision synthétique, hiérarchisant les enjeux liés à la collectivité et à son projet. Cette pièce tend à devenir un catalogue, à réaliser par obligation, mais inutilisé par la suite. Or la justification des choix notamment est un élément fondamental qui permet de faire le lien entre diagnostic, PADD et outils réglementaires mis en œuvre. En d’autres termes, cette pièce devrait servir aux élus comme aux usagers à comprendre le projet et les contraintes réglementaires qui en découlent. Or, elle peut être noyée dans la masse des éléments constituant le PLU.

Le risque juridique lié à des incohérences internes ou à des sujets insuffisamment ou mal traités augmente donc, fragilisant des documents nécessaires, mais coûteux pour la collectivité.

3. Quelle est l’ingénierie pour les PLUi ?

La multiplication des thèmes, et parfois des obligations en termes de contenu (comme l’inventaire du stationnement public par exemple), conjuguée à l’extension géographique des intercommunalités, élève fortement le coût d’ingénierie en temps passé et en compétences à mobiliser.

Au vu de l’ampleur des sujets à traiter, des aléas temporels liés aux décisions politiques sur le projet qui augmentent avec le nombre d’élus concernés, on peut se demander quelle structure d’ingénierie sera à même de réaliser de tels documents, à des coûts admissibles pour la collectivité.

Le coût des PLUi est une difficulté réelle, notamment si l’ensemble du territoire de l’intercommunalité est couvert avec le même niveau de précision règlementaire, à savoir l’unité parcellaire. Or, il ne semble pas nécessaire d’élaborer un plan de zonage et un règlement sur tout le territoire, notamment quand l’activité de construction y est inégale. Le règlement national d’urbanisme peut alors être suffisant, appliqué en cohérence avec les orientations du PADD et des POA, voire des orientations d’aménagement. Cela pourrait également permettre de mieux gérer de grands sites de projet pour lesquels les opérations font l’objet de négociations et d’ajustements plus rapides que le rythme des modifications et révisions des PLUi. On gagnerait en efficacité, en délai de réalisation et en coût de production des PLUi. On peut attendre des décrets à venir liés à l’application de la loi ALUR qu’ils apportent ces souplesses.

4. Quelle place est-elle laissée aux acteurs privés dans l’élaboration et le suivi des PLUi ?

Acteurs publics et privés sont de plus en plus souvent associés à l’aménagement et la construction. De même, le développement de la démocratie participative amène à concevoir différemment l’acte d’aménager. Si la collectivité est légitime pour orienter l’action et animer le réseau d’acteurs, elle ne peut plus se contenter de n’être que prescriptive. De ce fait, on peut considérer qu’un des enjeux de « l’urbanisme de projet » est de mieux articuler l’action publique et la participation des acteurs privés. En ce sens, le PLUi gagnerait à développer la manière dont seront assurées la participation des usagers et l’association des acteurs privés de l’aménagement lors de l’application du PLUi.

Le PLUi est un outil au service des projets de territoire. Il doit donc permettre une association des acteurs publics et privés qui le transforment, une hiérarchisation des enjeux propres audit territoire et la traduction du projet politique des élus locaux.

Or, les effets conjugués de l’extension de l’intercommunalité et des thèmes à traiter dans le PLUi conduisent peu à peu à rendre le projet de territoire difficile à élaborer et à transformer le PLUi en catalogue de mesures techniques plus ou moins vides de sens. En d’autres termes, le PLUi tend à ne plus être un outil au service d’un projet politique local, mais un document technique et juridique, par ailleurs très coûteux. N’en aurait-on pas perdu l’esprit d’origine ?

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