Le permis de construire après la loi ELAN : de l’instruction au contentieux

ELAN

[vc_row][vc_column][vc_column_text]On ne présente plus désormais ce nouveau fleuve législatif qu’est la loi ELAN, publiée le 24 novembre 2018. Éminemment politique, tant dans sa conception que dans sa traduction très concrète, cette loi de plus de 200 articles porte un objectif ambitieux, visant à construire « plus, mieux et moins cher ».

Elle recouvre alors des domaines divers et variés, passant par la réalisation d’opérations d’aménagement complexes, la mobilisation du foncier public, l’accessibilité dans les bâtiments collectifs d’habitation, l’encadrement des loyers, la revitalisation des centres-villes, la réforme de la loi Littoral, etc.

Parmi cet éventail de mesures en tous genres, seules quelques-unes concernent in fine le permis de construire, à proprement parler. Elles peuvent être présentées, comme l’a d’ailleurs fait la loi, en deux temps : l’instruction, puis le contentieux.

L’instruction de la demande

Les dispositions intéressant la procédure d’instruction des autorisations d’urbanisme sont consignées dans le Chapitre IV de la loi (« Simplifier et améliorer les procédures d’urbanisme »).

La première série de mesures concernées a trait à l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF).

Nous sommes ainsi passés d’un avis conforme à un avis simple de l’ABF pour les projets d’installation d’antennes relais de radiotéléphonie mobile (comprenant supports et locaux techniques) et les opérations de lutte contre l’habitat indigne (nouvel art. L. 632-2-1 C. patr.). Considérant la véritable force de blocage que peuvent constituer les ABF, la modification est d’importance.

Deux autres dispositions intéressent plus particulièrement le recours préalable exercé, avant tout contentieux, contre l’avis défavorable conforme de l’ABF.

Premièrement, celui de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, dont on rappellera qu’il doit obligatoirement être exercé, devant le Préfet de région compétent, dans les sept jours suivant la réception de l’avis (art. R. 423-68 C. urb.). Sur ce recours, la loi prévoit désormais que le silence gardé par le Préfet de région pendant un délai de deux mois vaudra acceptation du recours, permettant ainsi à l’autorité compétente de délivrer le permis (art. L. 632-2 C. patr. modifié). On en revient finalement à la situation qui préexistait avant l’adoption de la loi LCAP du 7 juillet 2016.

Ensuite, dans le cas d’un recours exercé par le demandeur, toujours devant le Préfet de région, dans les deux mois suivant la notification du refus de permis (recours obligatoire si le maire n’y a pas lui-même procédé), celui-ci pourra faire appel à un médiateur désigné par le président de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture (art. R. 424-14 C. urb.). L’autorité administrative statue alors après avis de ce médiateur. Là encore, il est en pratique assez rare que le Préfet de région infirme l’avis de l’ABF. L’inclusion possible d’un tiers médiateur apparaît alors nécessairement bienvenue, à la condition bien sûr que son avis soit effectivement pris en considération.

En deuxième lieu, l’interdiction faite au service instructeur de solliciter des pièces supplémentaires est élevée au rang législatif (art. L.423-1 modifié C. urb.).

L’article R. 431-4 du code de l’urbanisme prévoit déjà qu’aucune information ou pièce autre que celles énumérées aux articles R. 431-5 et suivants ne peut être exigée par l’autorité compétente. Cela n’a pour autant jamais empêché la pratique de certains centres instructeurs consistant à demander des pièces additionnelles, allongeant d’autant les délais d’instruction. Il s’agira de voir si, à l’avenir, cette pratique faiblira sous le poids de la loi. Relevons tout de même que la commission mixte paritaire est finalement revenue sur la proposition de suppression de l’alinéa 3 permettant au maire de demander un plan intérieur du projet pour la construction de logements collectifs.

La troisième série de mesures adoptées en la matière concerne plus globalement la dématérialisation de l’instruction des demandes.

La loi prévoit ainsi la création d’une télé-procédure spécifique dans les communes de plus de 3 500 habitants afin de recevoir et instruire sous forme dématérialisée les demandes d’autorisation d’urbanisme déposées à compter du 1er janvier 2022. Cette date sera aussi désormais celle qui verra s’appliquer le dispositif de saisine par voie électronique défini par les articles L. 112-8 et suivants du code des relations entre le public et l’administration (entrée en vigueur initialement prévue pour le 8 novembre 2018).

Elle insère également deux nouveaux alinéas à l’article L. 423-1, ouvrant la possibilité aux collectivités de confier l’instruction des demandes à un ou plusieurs prestataires privés offrant des garanties d’impartialité et d’indépendance.

On peut citer enfin une modification intéressante apportée à l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, complété par un nouvel alinéa prévoyant que la délivrance antérieure d’une autorisation d’urbanisme sur un terrain donné ne fait pas obstacle au dépôt, par le même bénéficiaire, d’une nouvelle demande d’autorisation visant le même terrain. Le dépôt de cette nouvelle demande d’autorisation ne nécessite alors pas d’obtenir le retrait de l’autorisation précédemment délivrée, et n’emporte pas retrait implicite de cette dernière.

Par ces nouvelles dispositions, il est définitivement mis fin à la jurisprudence Vicqueneau (CE 3 fév. 1982, n°23224) selon laquelle l’octroi d’un nouveau permis devenu définitif au même bénéficiaire sur un même terrain emportait ipso facto retrait de la première autorisation. Il ne s’agit néanmoins, pour l’heure, que d’une obligation de délivrance du second permis mise à la charge de l’autorité compétente. Le sort de ces deux autorisations parallèles n’est pas encore réglé, et sera l’affaire de la jurisprudence.

Le contentieux du permis

Le Chapitre VI de la loi est spécifiquement dédié à « Améliorer le traitement du contentieux de l’urbanisme ». Il a été précédé par un certain nombre de dispositions réglementaires, issues du décret du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme.

Ce nouveau dispositif législatif et réglementaire bouleverse à n’en point douter la pratique de ce contentieux déjà si particulier qu’est celui de l’urbanisme.

C’est en premier lieu, incontestablement, le recours des tiers, personnes physiques ou associatives qui est le plus touché.

Tout d’abord, leur délai de recours est encadré. L’action initialement possible pendant un an, faute de justification d’un affichage régulier du permis sur le terrain, n’étant maintenant plus recevable à l’expiration d’un délai de six mois à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement (art. R. 600-3 C. urb. modifié).

L’obligation de notification de leur recours administratif ou contentieux à l’auteur et au titulaire de l’autorisation, dans les quinze jours francs suivant le dépôt de la demande, est par ailleurs étendue aux recours dirigés contre un certificat d’urbanisme ou « une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code » (art. R. 600-1 C. urb. modifié).

La liste antérieurement exhaustive qui ne visait que les permis de construire, d’aménager, de démolir, les déclarations préalables et certificats d’urbanisme inclut alors notamment, selon le Rapport Maugüé du 11 janvier 2018, « les refus de retirer ou d’abroger un acte ou de constater sa caducité, lesquels sont de nature à remettre en cause une autorisation » (p.23).

C’est ensuite l’intérêt à agir des requérants, déjà fortement recadré par le juge, qui se voit adjoindre des verrous supplémentaires.

Tout d’abord, la règle posée à l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, subordonnant l’intérêt à agir des tiers personnes physiques à la démonstration d’une atteinte directement portée par « la construction, l’aménagement ou les travaux » aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien est étendue à toutes les décisions relatives à l’occupation et à l’utilisation du sol, incluant désormais les déclarations préalables.

Plus insidieusement, la loi est venue remplacer la mention des « travaux» par celle de « projet autorisé » signifiant ainsi que, dorénavant, ne seront plus prises en compte les nuisances de chantier, même se déroulant sur plusieurs années, pour l’appréciation de l’intérêt à agir (NB : ces dispositions ne sont pas applicables aux décisions contestées par le pétitionnaire).

La recevabilité de l’action des associations et autres personnes morales n’est pas en reste. Ainsi, le nouveau dispositif n’admettra leur action que si le dépôt des statuts en préfecture est intervenu « au moins un an avant » (et plus seulement « antérieurement à ») l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire (art. L. 600-1-1 C. urb. modifié). C’est véritablement un coup de grâce porté à l’action des associations dites « de projet », généralement créées par des riverains en vue de combattre un programme donné, dont ils auront eu connaissance antérieurement au dépôt officiel du dossier de demande en mairie. Relevons tout de même que rien ne semble empêcher une association existante de modifier ses statuts pendant cet intervalle.

Quant à la justification de cet intérêt à agir, le nouvel article R. 600-4 créé par le décret du 17 juillet 2018 impose désormais au requérant de produire, à peine d’irrecevabilité, tout acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention du bien à l’appui de sa requête ; comprenons au moins une attestation notariée, rendant là encore d’autant plus précaire le recours introduit dans l’urgence par les voisins. L’association devra elle aussi produire ses statuts, ainsi que le récépissé attestant de sa déclaration en préfecture au moins un an avant l’affichage de la demande en mairie.

En deuxième lieu, les outils permettant la lutte contre les recours abusifs ou infondés sont renforcés.

Tout d’abord, via un allègement des conditions posées à l’ouverture des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire (art. L.600-7 C. urb. modifié).

L’action reconventionnelle concerne désormais les recours qui « traduisent un comportement abusif » de la part des requérants, et non plus qui « excèdent la défense des intérêts légitimes », causant par ailleurs un préjudice simple, et non plus « excessif » au porteur du projet. On sait que les conditions d’une telle demande, jugées trop strictes n’avaient encore jamais passé le filtre de la juridiction administrative, au moins en cause d’appel (Cf. CAA Lyon 18 janvier 2018, M. C. et autres, n°16LY00172). Pour l’heure, le premier exemple de saisine sur ce fondement, post loi ELAN a néanmoins été rejeté, toujours faute de démonstration d’un préjudice direct (CAA Versailles 14 mars 2019, n°16VE02590).

La présomption de recours légitime jusqu’alors accordée aux associations agréées est également supprimée (suppression du 2nd alinéa de l’art. L. 600-7 C. urb.) évitant ainsi toute « systématisation » de telles actions.

La loi ELAN étend ensuite l’obligation d’enregistrement fiscal des transactions moyennant désistement contre le versement d’une somme d’argent ou l’octroi d’un avantage en nature à celles conclues en amont de l’introduction d’un recours, cependant qu’elle les interdit au profit d’associations, sauf lorsque ces dernières agissent « pour la défense de leurs intérêts matériels propres » ; c’est-à-dire lorsque l’association dispose elle-même de locaux voisins du projet, ou est elle-même bénéficiaire d’une autorisation contestée (art. L. 600-8 modifié C. urb.).

En troisième lieu, le traitement du contentieux de l’urbanisme est optimisé. C’est ici encore tout un pan de la stratégie contentieuse, et même de l’office du juge qui est désormais dicté par le nouveau dispositif.

Celui-ci institue en ce sens une cristallisation automatique des moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense (nouvel art. R. 600-5 C. urb.).

Il ne s’agissait jusqu’alors que d’une possibilité offerte par les articles R. 611-7-1 et R. 611-11-1 du code de justice administrative. Le juge administratif n’aura plus à se donner cette peine, le code de justice administrative venant directement rythmer la conduite de son instruction.

Dans la même idée, ce nouveau délai de cristallisation des moyens sera également celui du référé-suspension, qui ne pourra plus être introduit au-delà, ni en cause d’appel (art. L. 600-3 C. urb. modifié). La condition d’urgence prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est parallèlement présumée satisfaite.

Une telle modification est substantielle, privant nécessairement le requérant du levier stratégique que pouvait alors constituer l’introduction d’une demande de suspension. Il est à noter cependant que si le but affiché est avant tout de sécuriser les porteurs de projet, en leur assurant la délivrance rapide d’un premier avis sur la légalité de leur autorisation, la voie du référé-suspension reste accessoire, et ne pourra en aucune manière préjuger du fond. L’effectivité de la mesure pour les constructeurs apparaît néanmoins garantie par les dispositions issues de la loi Macron du 6 août 2015, interdisant au juge civil d’ordonner la démolition des constructions illégales au-delà des zones protégées listées à l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme. Ainsi, passé deux mois suivant le dépôt du premier mémoire en défense, faute de suspension, le pétitionnaire œuvrant hors de ces zones protégées, et conformément au permis délivré sera assuré de pouvoir réaliser ses travaux.

Notons également, s’agissant du référé-suspension une importante modification introduite au sein du code de justice administrative, via la création d’un nouvel article R. 612-5-2 faisant obligation au requérant de confirmer le maintien de son recours au fond dans le délai d’un mois suivant le rejet en référé pour absence de doute sérieux, sous peine de désistement d’office (sauf à agir en cassation contre l’ordonnance de référé). Cette disposition est applicable à tout le contentieux de l’excès de pouvoir, et pas seulement au contentieux de l’urbanisme.

Il est également institué un mécanisme de cristallisation des règles d’urbanisme, aux termes duquel l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document d’urbanisme resteront par elles-mêmes sans incidence sur les autorisations délivrées antérieurement à leur prononcé, dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet(nouvel art. L. 600-12-1 et L. 442-14 C. urb.).

C’est ensuite le délai de jugement qui est encadré, à tout le moins s’agissant des permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou des permis d’aménager un lotissement, pour lesquels le juge statuera dans un délai de dix mois (nouvel art. R. 600-6 C. urb.). À moyens constants, il est alors à craindre que ce nouveau délai induise une perte d’efficacité proportionnelle dans le traitement des autres contentieux, étant rappelé que les permis de construire qui ne concernent pas un bâtiment d’habitation comportant plus de deux logements représentent environ 50% des permis attaqués.

Toujours dans l’optique de contraindre encore un peu plus le juge administratif dans son office, la régularisation des vices affectant les autorisations d’urbanisme, qui n’était alors qu’une simple faculté devient une obligation, assortie de l’exigence d’une motivation spéciale en cas de refus (art. L. 600-5 – annulation partielle – et L. 600-5-1 – sursis à statuer – C. urb. modifiés). La régularisation est en outre étendue aux déclarations préalables et aux permis de construire de régularisation, donc même après l’achèvement des travaux.

La loi ELAN codifie également l’obligation posée par la jurisprudence de contester les autorisations modificatives et les mesures de régularisation dans le cadre de l’instance ouverte contre l’autorisation initiale, lorsque ces autorisations et mesures ont été délivrées au cours de cette instance, et communiquées aux parties (nouvel art. L. 600-5-2 C. urb.). Le gain de temps, pour les permis entrant dans le champ du délai de jugement de dix mois sera évidemment très appréciable.

Le décret du 17 juillet 2018 signe par ailleurs la reconduction jusqu’au 31 décembre 2022 de l’expérimentation de suppression du degré d’appel concernant les constructions et aménagements à usage principal d’habitation ou situés en zone tendue (laquelle n’était applicable qu’aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1erdécembre 2018).

Dans le même temps, un nouvel article R. 600-7 officialise la pratique de la délivrance de certificats de non-recours et de non-appel.

Enfin, sur le plan civil et pénal, on peut relever que, sauf en cas de fraude, le bénéficiaire d’une autorisation définitive relative à l’occupation ou l’utilisation du sol exécutée de manière conforme n’encourra plus le risque de se voir condamné pour les infractions listées à l’article L. 610-1 du code de l’urbanisme.

Le Préfet, quant à lui, voit étendre le champ de son action en démolition des constructions illégales devant le juge civil au-delà des zones protégées listées à l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme ; tout autre recours restant en revanche soumis à cette restriction issue de la loi Macron du 6 août 2015, déjà validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 10 nov. 2017, n°2017-672 QPC, Association entre Seine et Brotonne et a.,pt. 8 à 13 et 17-18).

En conclusion, ce nouveau dispositif issu de la loi ELAN répond sans aucun doute à certaines attentes des professionnels du secteur, peut-être même au détriment du droit au recours des tiers. C’est néanmoins, comme toujours, l’application qui en sera faite par le juge administratif qui nous dira si, finalement, le dispositif s’avère aussi efficace qu’attendu.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation »]

Roxane Sageloli
Avocat à la Cour
Huglo Lepage Avocats

[/ultimate_heading][/vc_column][/vc_row]