Faut-il simplifier le droit de préemption urbain renforcé en renforçant automatiquement le droit de préemption simple ?

ELAN

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Affichant notamment l’objectif de revitaliser les centres-villes, la loi ELAN a créé l’opération de revitalisation territoriale (ORT) qui doit agir sur le centre de la ville principale du territoire de l’EPCI signataire de la convention afférente.

L’article 157 de la loi aborde succinctement le droit de préemption renforcé en indiquant que l’ORT « peut donner lieu à l’instauration du droit de préemption urbain renforcé prévu à l’article L. 211–4 du code de l’urbanisme ».

Ainsi, comme le présente le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, l’un des avantages conférés par l’ORT est le renforcement du droit de préemption urbain, en vue de mieux maîtriser le foncier (http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/l-operation-de-revitalisation-de-territoire-ort-un-outil-pour-redynamiser-les-centres-villes-4379).

Si la loi ELAN propose dans l’arsenal de l’ORT, l’instauration du droit de préemption renforcé, les conditions requises par le code de l’urbanisme ne sont nullement modifiées, de sorte que cette instauration doit être motivée.

Pour rappel, l’article L. 211-4 exige en effet, à l’inverse du droit de préemption simple, que le renforcement du droit de préemption soit motivé, sachant que ce renforcement n’a pas à être précédé de l’adoption préalable du droit de préemption de droit commun (CAA Marseille 29 juin 2015, n°14MA01447).

La jurisprudence fait preuve une certaine sévérité quant à la motivation du renforcement du droit de préemption, censurant à plusieurs occasions des délibérations pas suffisamment motivées, au motif qu’elles ne précisaient pas les raisons circonstanciées pour lesquelles l’autorité préemptrice avait décidé d’appliquer le droit de préemption aux aliénations et les cessions mentionnées par les dispositions de l’article L. 211-4.

Le juge administratif reproche généralement aux délibérations de se borner à énoncer des objectifs généraux de politique urbaine (CE 4 février 2002, n°217258 ; CAA Lyon 8 novembre 2011, n°10LY01906) et celles qui ont passé avec succès le filtre juridictionnel comportaient de manière évidente les considérations de droit et de fait sur lesquelles l’autorité préemptrice s’était fondée pour décider de renforcer le droit de préemption urbain (CAA Bordeaux 17 février 2009, n°07BX01594 ; CAA Lyon 28 février 2012, n°11LY01197 ; CAA Paris 15 mars 2018, n°16PA02778).

Pour guider le titulaire du droit de préemption, le commissaire du gouvernement Boissard, sous l’arrêt rendu le 4 février 2002 par le Conseil d’État, avait évoqué la justification du renforcement tant au regard des spécificités du tissu urbain que des objectifs d’aménagement que le titulaire s’est fixés (conclusions publiées au BJDU1/2002, p. 21), ce qui semble avoir été transposé dans un arrêt récent validant la délibération qui mentionnait une zone à l’intérieur de laquelle « l’habitat ancien majoritaire y présent[ait] un degré de confort rudimentaire et que la multiplication des mises en copropriété cré[ait] de nombreuses situations de blocage et de dégradations » (CAA Versailles 6 décembre 2018, n°16VE02831).

Pour revenir à l’ORT et eu égard à son objet, peut-on en déduire que l’institution du droit de préemption renforcé sera sensiblement facilitée dans l’emprise de son périmètre ?

Si le droit de préemption renforcé devait être nouvellement instauré, le titulaire du droit de préemption pourra solidement s’appuyer sur le projet global de territoire devant être réalisé, grâce à la création de l’ORT.

Si le renforcement du droit de préemption était préexistant, le risque que sa motivation ne réponde pas aux exigences jurisprudentielles existe mais, en tout état de cause, dès lors que la délibération revêt un caractère exécutoire grâce au respect des mesures de publicité requises, son éventuelle exception d’illégalité ne peut plus être soulevée à l’occasion de contentieux dirigés contre des décisions de préemption particulières (CE 10 mai 2017, n°398736 ; CAA Versailles 7 février 2019, n°17VE00486).

Les recours introduits directement contre la délibération d’extension du droit de préemption simple demeurant assez rares, principalement parce que les potentiels propriétaires préemptés ou acquéreurs évincés n’ont pas la velléité d’engager des actions par anticipation, le défaut de motivation n’est que rarement sanctionné.

Pareillement, l’exercice du droit de préemption renforcé devrait être favorisé dans le cadre de la réalisation d’une ORT, dans la mesure où le projet de territoire doit être assez finement établi et les parcelles préemptées à ce titre auront pu être spécifiquement identifiées comme utiles à cette fin : la motivation et la preuve de la réalité d’un projet antérieur d’une certaine importance devraient être aisées.

Ces précisions sur la relation ORT/droit de préemption renforcé sont l’occasion de poser une question plus empirique : existe-t-il une raison légitime justifiant la persistance des deux régimes du droit de préemption urbain, simple et renforcé ?

Est-ce que les propriétaires ou potentiels acquéreurs de biens immobiliers soumis au droit de préemption renforcé bénéficient réellement de meilleures garanties ?

Principalement, c’est leur champ matériel d’application respectif qui diffère, sachant que l’autorité préemptrice ne peut moduler selon son souhait celui du droit de préemption renforcé (réponse ministérielle à la question n°08556, JO Sénat3 mars 1988, p. 290).

Habituellement, la présentation des exclusions du droit de préemption simple ressortant des dispositions de l’article L. 211-4 se focalise sur les lots de copropriétés et les nouveaux bâtiments, omettant fréquemment d’évoquer les cessions de parts ou d’actions d’une société d’attribution.

Immédiatement, il doit être souligné que la loi ALUR a abrogé la quatrième exclusion en faisant basculer les cessions de la majorité des parts d’une société civile immobilière dans le périmètre du droit de préemption commune, alors qu’elles n’étaient antérieurement préemptables que dans les zones où le droit de préemption avait été renforcé.

Or, l’une des difficultés générées par le droit de préemption renforcé s’incarne dans la définition des biens qu’il vise.

Concernant les lots de copropriété, les dispositions de l’article L. 211-4 ne conduisent nullement à un champ d’application binaire selon lequel toute cession de lot(s) de copropriété serait écartée du droit de préemption simple puisque, pour échapper à celui-ci, il faut que plusieurs critères, ayant trait à la constitution du ou des lots vendus et à l’ancienneté de la mise en copropriété, doivent être satisfaits, d’où l’établissement de tableaux par la doctrine aux fins de rendre moins compliquée l’application des critères.

En effet, l’objet offert à la vente doit être précisément étudié, car le propriétaire ou son notaire, puis le titulaire du droit de préemption pourraient estimer à tort que l’aliénation n’est pas soumise au droit de préemption simple, alors que tel est le cas, comme la cour administrative d’appel de Marseille l’a énoncé pour une cession qui n’affectait pas qu’un seul appartement et qui, à ce titre, était effectivement ouverte au droit de préemption simple (CAA Marseille, 11 mars 2019, n°17MA03001).

De même, quelques difficultés peuvent être induites pour connaître la date déclenchant le délai de dix ans au-delà duquel le droit de préemption simple ne peut plus être exercé contre la vente de plusieurs locaux, notamment dans l’hypothèse où le règlement de copropriété n’a pas été publié au service de la publicité foncière.

S’agissant de la deuxième catégorie échappant au droit de préemption simple et tenant aux immeubles nouvellement bâtis, la loi ALUR a radicalement abaissé la période d’exemption de dix à quatre ans, ce qui constitue un élargissement très important du champ d’application du droit commun de préemption.

D’ailleurs, cet accroissement peut être regardé comme contraire à la volonté qui avait animé le législateur au moment de la création des deux régimes aux termes de la loi n°85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement.

Spécifiquement, si l’option d’aménager deux régimes différents est peu expliquée dans les travaux parlementaires, il importe de retenir que l’exonération de certains biens au droit de préemption simple a eu pour but « de ne pas gêner inutilement la mobilité résidentielle :immeubles achevés depuis moins de dix ans, appartements en copropriété depuis plus de dix ans et vendus un par un, parts et actions donnant vocation à l’attribution de ces locaux » (rapport n°51 d’un sénateur, déposé le 30 octobre 1984 : http://www.senat.fr/rap/1984-1985/i1984_1985_0051_01.pdf).

Aussitôt toutefois, le rapport sénatorial énonce que le droit de préemption peut être renforcé « à la discrétion de la commune ».

De plus, pour les immeubles récemment construits, le législateur avait décidé de les exclure dans la mesure où ils ne paraissaient pas indispensables à la réalisation d’une opération urbaine (voir la synthèse du colloque du 20 juin 2014, Loi ALUR et maîtrise foncière des personnes publiques, Lille).

Concernant les lots de copropriété, la cour administrative d’appel de Marseille a pédagogiquement tenu à s’appuyer sur les travaux parlementaires pour en déduire que la cession affectant un appartement unique a été exclue du droit de préemption simple afin « de favoriser la mobilité résidentielle et de restreindre les obstacles à la circulation patrimoniale des locaux au sein d’une même copropriété dans le cadre de la vente d’un seul bien, le plus souvent par un particulier »(CAA Marseille 11 mars 2019, précité).

La combinaison conduit donc à autoriser le titulaire, sur la base du droit de préemption simple, à capter des lots de copropriété inclus dans un immeuble achevé depuis plus de quatre ans et jusqu’à dix ans après la publication du règlement de copropriété au service de la publicité foncière… nonobstant son intitulé, le droit de préemption simple n’est guère régi par la simplicité.

En dehors de leur emprise matérielle différente, les deux droits de préemption connaissent aussi deux divergences quant à leurs modalités d’exercice.

Cependant, ces spécificités doivent être qualifiées de très modestes et, en réalité, sont peu compréhensibles.

D’une part, l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme refuse la motivation de la décision de préemption par référence lorsque la prérogative affecte un bien mentionné à l’article L. 211-4.

Cette exclusion paraissant tellement peu intelligible que la cour administrative d’appel de Versailles ne l’a pas soulignée pour écarter comme inopérant le moyen tiré du cadre du programme local de l’habitat et développé en défense par l’autorité préemptrice (CAA Versailles 3 mai 2018, n°16VE01891).

D’autre part, l’article R. 213-21 du code de l’urbanisme prévoit que la mise en œuvre du droit de préemption renforcé exige que le service des domaines se prononce obligatoirement sur toute aliénation avant usage de la prérogative, alors que le droit de préemption simple ne requiert cette démarche uniquement dans le cas où le montant figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner se situe au-dessus du seuil actuellement fixé par l’arrêté du 5 décembre 2016 relatif aux opérations d’acquisitions et de prises en location immobilières poursuivies par les collectivités publiques.

Précisons que la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que le service des domaines devait nécessairement émettre un avis au titre des acquisitions par voie de préemption à effectuer à l’intérieur d’une zone où le droit de préemption a été renforcé, quelle que soit la nature du bien immobilier concerné (CAA Marseille 10 avril 2008, n°06MA00077).

En résumé, la dichotomie des deux prérogatives apparaît source de confusions et la portée de l’une des trois catégories exclues initialement du droit de préemption simple a été sensiblement réduite par la loi ALUR, tandis que celle-ci a purement supprimé une autre exception.

Ainsi, outre la circonstance de créer des risques d’irrégularités procédurales dont peuvent se saisir les requérants, il semble que les raisons qui avaient justifié la création des deux droits de préemption ne paraissent plus d’actualité.

D’où la question de l’intérêt de maintenir la coexistence des deux régimes, dont l’un a vu son champ d’application être considérablement amoindri au profit de l’autre.

Un droit uniforme effacerait totalement les risques d’erreurs relatifs au champ d’application matériel.

Surtout, ce que les propriétaires contestent n’est pas tant l’instauration du droit de préemption urbain ou son renforcement sur un territoire donné, que leur mise en œuvre, notamment dans des conditions illégales ou à un prix non satisfaisant, quelle que soit la nature de l’outil foncier utilisé.

Des propositions de simplification sont régulièrement formulées par la doctrine (voir notamment : Jérôme Dutilleul, Simplification du droit : supprimons certains droits de préemption, JCP Administrations et Collectivités territoriales, 13 octobre 2003, Jérôme Dutilleul étant peut-être le pseudonyme de Damien Dutrieux à qui un hommage doit être rendu pour sa contribution précieuse en matière de droit de préemption) ou par divers rapports (dont l’éclairant rapport du Conseil d’État édité en 2008).

Faisant écho à ces suggestions novatrices, une voie permettant de limiter la complexité du droit de préemption serait ainsi de ne conserver que le droit de préemption renforcé, qui deviendrait le régime de droit commun, la véritable garantie protégeant les propriétaires et futurs acquéreurs reste l’exercice parcimonieux de la prérogative et dans des conditions régulières.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation » margin_design_tab_text= » »]

Marie-Céline PELE
Avocat à la Cour
F&L Avocats

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