Les centres-ville des villes moyennes, un lever de croissance insoupçonné ?

ELAN

Arnaud Ernst
Directeur associé
Cabinet d’urbanisme commercial AID

Le 15 décembre 2017 il y a deux ans, le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard profite de la deuxième Conférence nationale des territoires délocalisée à Cahors dans le Lot pour annoncer son plan national Action Cœur de Ville, quarante-deux ans après l’annonce du plan pour le développement des villes moyennes par le président Giscard d’Estaing au Puy-en-Velay.

Et le constat est très largement partagé par tous, depuis de nombreuses années : en dehors des grandes métropoles régionales, ça ne va pas fort !

Les centres de nombreuses villes moyennes souffrent de la maladie de la dévitalisation

Démographie en berne, attractivité faible, habitat vétuste et inadapté, structure sociodémographique défavorable, équipements culturels, services publics et services de santé qui ferment ou se délocalisent, environnement urbain peu qualitatif, évasion du pouvoir d’achat, gouvernance politique fragile, omniprésence de la voiture, périphérie puissante… et des commerçants qui ont globalement peu fait évoluer leurs pratiques !

Voilà, le diagnostic est posé ! Et la vacance commerciale dont on parle tant n’est qu’un des symptômes, pas une cause…

Le professeur Mézard se présente au chevet des patients avec les meilleurs spécialistes – Banque des territoires, Action logement, Agence nationale de l’habitat, EPARECA – et une ordonnance à 5 milliards d’euros pour un traitement de fond sur cinq ans et cinq axes de travail, habitat, commerce, mobilités, services publics et qualité urbaine.

Force est de constater qu’il se passe quelque chose !

La couverture média du dispositif est inédite et les territoires se sont mobilisés comme jamais : les préfets devaient adresser au ministre mi-février 2018 la liste classée et argumentée des communes de leurs régions qui semblaient pouvoir relever de ce programme. Et ce ne sont pas 150, 200 ou 250 villes qui sont remontées, mais plus de 400, dont certaines ont clairement fait acte de candidatures appuyées. Victime de son succès, le gouvernement se voit obligé de n’en retenir que 222 fin mars, générant assurément quelques tensions et frustrations.

Ces villes ne sont d’ailleurs plus classées en promotions de signature du contrat 2018, 2019 ou 2020, en fonction de leur maturité et de l’avancement de leur projet de territoire, mais toutes vont signer une convention cadre pluriannuelle qui engagera la commune, son intercommunalité et les partenaires. Et un comité de projet, piloté par les préfets, animera cette démarche.

Plus précisément sur nos métiers du commerce, et au-delà de l’ambition première – et ô combien louable – de remettre des clients dans les centres-villes (habitants, actifs, visiteurs, touristes..), le plan Action Cœur de Ville prévoit aussi la mise œuvre de foncières pour acquérir et remembrer des commerces obsolètes, le rééquilibrage avec la périphérie des conditions d’implantation, l’accompagnement des entreprises dans la transition numérique, le financement de postes de managers de centre-ville et de projets de développement innovants ou encore la simplification des démarches administratives et la dispense de CDAC…

Enfin une mission a été lancée début 2018 par le premier Ministre sur les distorsions fiscales entre commerces physiques et numériques pouvant notamment affecter les activités de commerce de centre-ville.

On doit à Montesquieu la citation souvent mal retranscrite « le mieux est le mortel ennemi du bien ». Et pour ne pas faire mentir l’adage, on peut regretter que rien n’apparaisse dans le plan Action Cœur de Ville – ou en marge – sur la financiarisation de l’immobilier de commerce (l’effet levier de l’endettement sur la rentabilité des capitaux propres investis, la fiscalité des SIIC, les investisseurs étrangers…) qui soutient surement la création de m² commerciaux décorrélés des besoins du marché, rien  – encore  –sur une éventuelle fiscalité incitative pour encourager les implantations en centre-ville ou encore rien sur des nouvelles formes de coopération public/privé pour réinventer les unions commerciales moribondes…

Mais la signature du nouveau contrat intégrateur, appelé Opération de Revitalisation Territoriale (ORT) dans le projet de loi Évolution du logement de l’aménagement et du numérique (ELAN), a vocation de corriger des dysfonctionnements, mais surtout de capitaliser sur les forces et les singularités de chaque territoire, sur ses partenaires locaux, sur ses énergies endogènes… Après l’État centralisateur ou aménageur, le gouvernement veut faciliter et animer une démarche qui fera la part belle à la créativité des acteurs publics et privés du territoire.

Il faut maintenant s’emparer de cette opportunité, de ce prétexte ! Et, en dézoomant, le plan Action Cœur de Ville a cinq grandes vertus.

Une prise de conscience collective et définitive de la nécessité de fédérer tous les acteurs autour d’une stratégie commune, le manager de centre-ville semblant en être un chef d’orchestre tout désigné.

Un contrat intégrateur global se substituant aux nombreux dispositifs silos qui vivaient en parallèle avec des logiques, des objectifs et des plans d’actions pas toujours convergents.

Un dispositif qui accompagne aussi le projet de territoire par l’ingénierie et les compétences transversales d’animation et de développement de cette démarche, pour des collectivités territoriales souvent « à l’os », concentrées sur leurs compétences régaliennes.

Un programme et des engagements sécurisés sur cinq ans, bravant le calendrier des élections locales.

Enfin – et surtout – l’obligation vertueuse de convenir d’une stratégie globale, prospective et mature de revitalisation à la bonne échelle – Ville + EPCI – traduite dans les documents stratégiques de planification, OAP au PLUi, DAAC dans le SCoT…

Alors on peut imaginer que dans un monde idéal, les territoires pourraient corriger justement ce que les enseignes et foncières pouvaient leur reprocher jusque-là, et offrir un projet urbain lisible et durable, un espace public de qualité, des mobilités apaisées, une accessibilité et un stationnement facilités, des stratégies d’aménagement commercial du territoire garantes de l’équilibres des différentes formes de vente, plus d’habitants, de visiteurs et d’actifs en centre-ville, une stratégie digitale innovante, des indicateurs de performance et de fréquentation objectifs, des gouvernances politiques stables, des conditions d’implantations facilitées, des interlocuteurs professionnels, des attracteurs de flux, des marchés et des terrasses, des cinémas… et surtout un positionnement alternatif et singulier de chaque centre-ville.

Quel virage !

Un centre-ville a tellement de choses à offrir, à donner à voir. L’histoire, l’identité, l’ancrage et l’ambiance doivent permettre de proposer une véritable expérience unique à ses habitants, visiteurs et clients. Et justement, nous n’avons pas beaucoup parlé du client, pourtant c’est bien lui qui décide, qui arbitre, qui choisit. Il faut clairement le remettre au centre de la réflexion et le récompenser du choix qu’il fait de consommer en centre-ville.

Enfin, les enseignes et foncières pourront assurément trouver leur place dans cette nouvelle aventure à écrire dans une stratégie multicanale complète avec – dans le désordre – des stratégies de renouvellement urbain des entrées de villes, des implantations et des investissements dans les centres-villes, le développement du e-commerce et des services à la clientèle fluidifiant le parcours d’achat… les centres-villes des villes moyennes sont peut-être le futur levier de croissance d’un secteur  en plein questionnement.