L’autorité environnementale une nouvelle fois réformée

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Laura CECCARELLI-LE GUEN
Avocate associée
DS Avocats

 

Depuis dix ans, et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, le droit de l’évaluation environnementale a connu d’importantes évolutions, notamment sous l’influence du droit de l’Union européenne.

La dernière réforme en date, issue de l’ordonnance du 3 août 2016 et du décret du 11 août 2016[1]a donné lieu, ces derniers mois, à une jurisprudence nourrie de la part du Conseil d’État, notamment s’agissant des questions relatives à l’indépendance fonctionnelle de l’autorité environnementale.

Pour mettre en conformité la règle de droit avec les exigences jurisprudentielles, le législateur et le pouvoir réglementaire, ont initié une nouvelle réforme importante de l’autorité environnementale avec la loi Énergie et Climat du 8 novembre 2019[2]et son décret d’application publié, après de longs mois d’attente, le 3 juillet 2020[3].

Ce nouveau dispositif s’applique aux demandes d’avis ou d’examen au cas par cas enregistrées à compter du 5 juillet 2020[4].

Dans quel contexte s’inscrit la réforme de l’autorité environnementale ?

Depuis plusieurs années, une importante jurisprudence s’est développée autour de la question de l’autonomie fonctionnelle de l’autorité environnementale[5].

Le Conseil d’État avait, en 2017, annulé pour partie l’article R. 122-6 du Code de l’environnement issu du décret du 28 avril 2016[6]en jugeant que le préfet de région ne pouvait, sans méconnaître la nécessaire objectivité exigée par les directives du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011[7], exercer à la fois la mission d’autorité environnementale et celle d’autorité chargée d’autoriser le projet ou d’en assurer la maîtrise d’ouvrage, en l’absence de séparation fonctionnelle garantissant une autonomie réelle de l’entité émettant l’avis[8].

Cet arrêt a été confirmé à plusieurs reprises en 2019[9].

Plusieurs décisions récentes du Conseil d’État ont rappelé qu’il incombe aux juges du fond de rechercher si les conditions dans lequel l’avis rendu par le préfet en tant qu’autorité environnementale répond aux objectifs de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011[10], ce qui n’est pas le cas lorsque c’est la même DREAL qui a instruit la demande d’autorisation prise par le préfet de département et préparé l’avis de l’autorité environnementale émis par le préfet de région, à moins que l’avis n’ait été préparé au sein de cette direction par un service spécialement dédié[11].

Deux arrêts de cours administratives d’appel ont fait d’intéressantes applications de ces principes.

La Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que l’autonomie fonctionnelle était réelle lorsque l’avis de l’autorité environnementale a été préparé par la DREAL, service dépendant du préfet de région, et le dossier instruit par la direction de l’action économique et de la coordination départementale, relevant du préfet de département[12].

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a, pour sa part, relevé que la circonstance selon laquelle l’avis et l’autorisation ont été signés par deux personnes différentes est sans incidence sur le fait que la DREAL, en tant que service, n’a pas disposé vis-à-vis du préfet de région de l’autonomie nécessaire. Toutefois, elle a fait application de la jurisprudence « Danthony »[13]en considérant que cette irrégularité n’avait pas été de nature à entacher d’illégalité la décision prise, dès lors que l’avis de l’autorité environnementale avait mis en lumière les lacunes ou insuffisances entachant selon elle l’étude d’impact, et avait ainsi contribué à l’information du public et mis l’autorité compétente à même de se prononcer sur la demande d’autorisation en connaissance de cause[14].

Lorsque le vice n’est pas « danthonysable », il peut être régularisé par le biais d’une consultation d’une autorité présentant les garanties requises, comme la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe), à condition que l’avis ainsi rendu soit porté à la connaissance du public dans le cadre d’une publication sur internet, ou si cet avis est substantiellement différent du précédent, d’une enquête publique complémentaire[15].

Lorsqu’il est saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale l’enjoignant à surseoir à statuer sur le fondement de l’article L. 181-18 2° du Code de l’environnement afin de permettre de régulariser ce vice par une autorisation modificative, le juge est tenu de surseoir à statuer si le vice est régularisable. En l’absence de conclusions en ce sens, c’est une simple faculté laissée à la discrétion de la juridiction[16].

C’est dans ce contexte jurisprudentiel que le législateur et le pouvoir règlementaire sont intervenus pour réformer à nouveau l’autorité environnementale, afin notamment de sécuriser le cadre juridique applicable et, par là même, de renforcer l’attractivité du droit français pour les porteurs de projets ayant un impact sur l’environnement.

Quels sont les apports de la loi Énergie Climat du 8 novembre 2019 ?

Pour rappel, la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat vise à mettre en œuvre la politique de la France en matière de transition énergétique afin de répondre aux exigences des accords internationaux et de l’urgence écologique et climatique.

A cette occasion, le législateur a fixé le nouveau cadre applicable à l’autorité environnementale.

L’article 31 de la loi[17]modifie en effet l’article L. 122-1 du code de l’environnement afin de distinguer, sur le modèle de la loi ESSOC[18], l’autorité en charge du cas par cas et l’autorité environnementale, lesquelles ne doivent pas se trouver dans une position donnant lieu à un conflit d’intérêts.

À cet effet, la loi prévoit désormais que ne peut être désignée comme autorité en charge de l’examen au cas par cas ou comme autorité environnementale, une autorité dont les services ou les établissements publics relevant de sa tutelle sont chargés de l’élaboration du projet ou en assurent la maîtrise d’ouvrage[19].

Elle renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de définir les conditions de mise en œuvre de ces dispositions.

Comment le décret du 3 juillet 2020 organise-t-il l’autonomie fonctionnelle de l’autorité environnementale ?

Le décret du 3 juillet 2020, qui a fait l’objet d’une consultation publique réunissant de nombreuses contributions[20], vise à appliquer l’article 31 de cette loi et à mettre en conformité les dispositions règlementaires avec les exigences jurisprudentielles posées par le Conseil d’État.

Ce décret désigne notamment le préfet de région (pour les projets ne relevant pas du ministre chargé de l’environnement ni de la formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable) ou le préfet de département (pour les demandes d’enregistrement) comme autorités chargées de l’examen au cas par cas[21].

En revanche, la mission d’autorité environnementale est désormais réservée au ministre chargé de l’environnement, à la formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (Ae CGEDD), et à la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) du CGEDD (dont les avis sont préparés par des agents de la DREAL placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la MRAe)[22].

Le ministre chargé de l’environnement peut déléguer à l’Ae CGEDD l’examen au cas par cas et / ou la charge d’émettre un avis sur un projet ou une catégorie de projets[23].

Il peut également se saisir, par décision motivée, de tout projet relevant de la compétence de la MRAe aux fins d’en confier l’instruction à l’Ae CGEDD[24].

Dans ces hypothèses, l’Ae CGEDD se prononce dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier, et, sauf dispositions contraires, les délais d’instruction de l’autorisation du projet peuvent être prolongés de trois mois au maximum[25].

De nombreuses critiques se sont élevées contre le maintien du préfet comme autorité chargée de l’examen au cas par cas, même si le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de juger qu’aucune disposition de la directive 2011/92/UE n’y faisait obstacle sous réserve qu’il ne soit pas chargé de l’élaboration du projet ou d’en assurer la maîtrise d’ouvrage[26], condition ensuite reprise par la loi Energie Climat.

Le décret[27]rappelle que l’autorité en charge de l’examen au cas par cas et l’autorité environnementale doivent exercer leurs missions de manière objective et veiller à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts et, le cas échéant, confier l’examen au cas par cas à la MRAe ou à l’Ae CGEDD.

Il définit le conflit d’intérêt comme le fait, « notamment »pour ces autorités, « d’assurer la maîtrise d’ouvrage d’un projet, d’avoir participé directement à son élaboration, ou d’exercer la tutelle sur un service ou un établissement public assurant de telles fonctions ».

Cette liste n’est donc pas limitative et pourrait, le cas échéant, être complétée ou précisée par la jurisprudence.

En revanche, la précision selon laquelle le fait, pour l’autorité en charge de l’examen au cas par cas, d’être également chargée d’autoriser le projet ou d’exercer une police spéciale relative à celui-ci ne constituait pas un conflit d’intérêt, qui figurait dans la version initiale du projet de décret soumis à la consultation du public, a été supprimée.

La version finale du décret précise le mécanisme applicable lorsque l’autorité en charge de l’examen au cas par cas ou l’autorité environnementale, estime se trouver en situation de conflit d’intérêt ou être dans l’impossibilité d’exercer sa mission en raison de conflits d’intérêts auxquels sont exposées les personnes qui y sont affectées.

L’autorité chargée de l’examen au cas par cas doit confier sans délai cet examen à l’Ae CGEDD (lorsque l’autorité initialement compétente est le ministre[28]ou que le projet est situé sur plusieurs régions) ou à la MRAe (lorsque l’autorité initialement compétente est le préfet de région et que le projet doit être réalisé sur une seule région)[29]. La nouvelle autorité saisie dispose de 35 jours pour se prononcer à compter de la réception d’un formulaire complet. Elle doit notifier au maître d’ouvrage le délai au terme duquel sa décision sera rendue.

L’autorité environnementale doit pour sa part confier sans délai le dossier à l’Ae CGEDD qui doit se prononcer dans le délai initialement imparti, qui court à compter de la date à laquelle elle reçoit le dossier[30]. L’Ae CGEDD doit notifier à l’autorité compétente pour autoriser le projet le délai au terme duquel son avis sera rendu.

Ces nouvelles dispositions sont donc susceptibles de rallonger assez notablement les délais d’examen des demandes de cas par cas et d’avis.

En outre, il convient de relever que le nouvel article R. 122-3-1 du Code de l’environnement précise que le formulaire d’examen au cas par cas n’est désormais réputé complet qu’à l’expiration du délai de 15 jours imparti à l’autorité compétente pour demander des compléments, en l’absence d’une telle demande. Et ce n’est que lorsque le formulaire est complet, qu’il est mis en ligne et que commence à courir le délai de 35 jours imparti à l’autorité en charge de l’examen au cas par cas pour répondre.

[1]Ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 et décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatifs à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes

[2]Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[3]Décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l’autorité environnementale et à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas, JORF n° 0164 du 4 juillet 2020

[4]Article 21 du décret n° 2020-519

[5]Laura CECCARELLI-LE GUEN, L’actualité en matière d’évaluation environnementale des projets, BJDU, n°2/2020, p. 71 à 75.

[6]Décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale

[7]Directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, modifiée par la directive 2014/52/UE du 16 avril 2014

[8]CE, 6 décembre 2017, n°400559, tables

[9]CE, 13 mars 2019, n° 414930, tables ; CE, 27 mai 2019, n° 420054, tables ; CE, 21 août 2019, n° 406892

[10]CE Sect., 29 juin 2020, n° 429299 ; CE Sect., 8 juillet 2020, n° 422027

[11]CE, 5 février 2020, n° 425451 ; CE Sect., 25 mars 2020, n° 427556 ; CE Sect., 3 avril 2020, n° 427122

[12]CAA Nantes, 2 ch., 19 juin 2020, n° 18NT00553

[13]CE Ass., 23 décembre 2011, n° 3350033, Lebon

[14]CAA Bordeaux, 30 juin 202, n° 18BX01702

[15]CE, Avis, 27 septembre 2018, n° 420119, Lebon et CE, 27 mai 2019, n° 420554, tables.

[16]CE Sect., 8 juillet 2020, n° 422027

[17]Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[18]Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance

[19]V bis de l’article L. 122-1 du code de l’environnement

[20]http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-portant-reforme-de-l-autorite-a2130.html

[21]Article R. 122-3 du Code de l’environnement

[22]Article R. 122-6 du Code de l’environnement

[23]Articles R. 122-3 1° 2èmeet 3èmealinéas et R. 122-6 I 1° 2èmeet 3èmealinéas du Code de l’environnement

[24]Article R. 122-6 I 1°, 4èmealinéa du Code de l’environnement

[25]Article R. 122-7 IV du Code de l’environnement

[26]CE, 25 septembre 2019, n° 427145, tables.

[27]Article R. 122-24-1 du Code de l’environnement

[28]Article R. 122-24-2 I du Code de l’environnement

[29]Article R. 122-24 II du Code de l’environnement

[30]Article 122-24 III du Code de l’environnement