La participation du public : entre satisfaction et frustration

ELAN

Xavier de Lesquen
Conseiller d’État

La loi Cornudet de 1919 a introduit le plan d’urbanisme en France. Elle a d’emblée imposé que la commune chargée de son élaboration devait le soumettre à une enquête dans les conditions de l’ordonnance du 23 août 1835.

La référence à la procédure de l’enquête prévue pour la déclaration d’utilité publique s’était imposée naturellement : les premiers plans d’urbanisme, élaborés à l’initiative de la commune, et recueillant l’avis définitif du conseil municipal après enquête, devaient être déclarés d’utilité publique par décret en Conseil d’État.

On comprend donc que la consultation du public s’est imposée du fait des atteintes à la propriété qu’emporte le plan d’urbanisme. Les habitant ont saisi l’opportunité de donner leur avis sur l’objet même du plan, c’est-à-dire l’évolution de la ville qui est leur cadre de vie.

Dans une étude sur l’application de la loi Cornudet en Auvergne (In Situ, 2016, http://insitu.revues.org/13754), Bénédicte Renaud analyse les contributions des habitants aux projets de plan, qui prennent la forme de réclamations, observations ou pétitions, parfois collectives, touchant parfois aux partis d’urbanisme. Est ainsi cité un vif débat, s’agissant du plan de Chamalières, sur la création d’une nouvelle place place publique ; au Mont-Doré, la prolongation d’une artère centrale ; au Puy-en-Velay, critique des percées prévues dans la vieille ville…

La participation du public à l’élaboration des documents de planification urbaine n’a jamais été mise en cause, même par la loi d’urbanisme de 1943. La loi d’orientation foncière de 1967, qui institue notre planification urbaine à double échelle, impose l’enquête publique pour les plans d’occupation du sol (POS) et les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU).

S’agissant des POS, elle institue une étape consistant à « rendre public » le projet de plan élaboré conjointement par l’État et les communes, l’enquête publique précédant alors l’avis définitif de la commune. La décentralisation de 1983 renouvelle la question de la participation, dès lors que l’autorité investie du pouvoir de décision (le conseil municipal) est rapprochée considérablement, voir excessivement, des intérêts locaux.

Ces évolutions ont conduit à créer une autre forme de participation du public, dénommée concertation. La loi du 18 juillet 1985, qui procède à la décentralisation des opérations d’aménagement, la réserve d’abord à des projets bien ciblées : évolution du POS ouvrant à l’urbanisation une zone d’urbanisation future par le POS, création d’une ZAC et, de façon générale, toute opération d’aménagement modifiant de façon substantielle le cadre de vie ou l’activité économique de la commune. La concertation a pour intérêt de permettre l’intervention du public en amont du processus décisionnel, au vu des objectifs poursuivis, que le conseil municipal doit délibérer et donc exprimer, mais avant qu’un projet soit arrêté. Le champ de la concertation va ensuite s’élargir. La loi SRU, qui crée le PLU et le SCOT, l’impose pour toute élaboration ou révision de ces deux types de documents.

L’élaboration du plan d’urbanisme, de caractère règlementaire, ménage donc une part croissante à la participation du public. Préoccupation ancienne et bien légitime, au vu de la portée du document et de l’intérêt de soumettre ses partis aux idées et vécus des habitants. Mais participation rendue sûrement plus difficile par la complexité croissante des documents d’urbanisme, et même leur technicité, qui permettent des écarts entre les intentions affichées et les réalisations auxquelles le document d’urbanisme ouvre la voie.

Mais la participation du public a également gagné les projets de construction soumis à autorisation d’urbanisme, par le biais du droit de l’environnement.

La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature crée l’étude d’impact (« les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences ») et la loi du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à a protection de l’environnement crée l’enquête publique environnementale. Ces deux instrument convergent : l’actuel article L. 123-2 du code de l’environnement prévoit que font (notamment) l’objet d’une enquête publique les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements exécutés par des personnes publiques ou privées devant comporter une évaluation environnementale, et la liste de ces derniers résulte du tableau dressé à l’annexe de l’article R. 112-2 du code de l’environnement. Or, figure à ce tableau un certain nombre de projets soumis à autorisation d’urbanisme, énumérés aux 39° et suivant : par exemple, les travaux et constructions qui créent une surface de plancher supérieure à 10.000 m² (après analyse au cas par cas) ou à 40 000 m² (à titre obligatoire).

La soumission de l’autorisation individuelle à la participation du public s’est amplifiée : certains projets de construction sont désormais soumis à concertation (cf. l’actuel L. 103-2 du code de l’urbanisme). En sens inverse, les demandes de permis de construire et de permis d’aménager portant sur des projets de travaux, de construction ou d’aménagement donnant lieu à la réalisation d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas ne sont plus soumis qu’à une participation du public par voie électronique, et non plus à une enquête publique (cf. L. 123-2 du code de l’environnement).

Au bilan, certaines autorisations d’urbanisme sont désormais soumises à une procédure de participation du public. La marge de manœuvre de l’autorité compétente est alors nettement plus réduite que pour les plans d’urbanisme. La police administrative n’a en effet pour objet que de vérifier que le projet de construction ou d’aménagement respecte les règles d’urbanisme, la plupart étant dans le règlement du PLU. La participation permet donc au pétitionnaire d’adapter son projet aux observations et même d’adopter des solutions de conciliation, mais l’autorité compétente demeure tenue par le principe de légalité. Elle dispose certes d’une marge d’appréciation pour l’application des règles d’urbanisme, plus ou moins important selon leur contenu, mais elle doit délivrer le permis si le projet respecte la règle, alors même qu’il rencontre une opposition.