Action coeur de ville et objectif zéro artificialisation nette

Laetitia SantoniLaetitia Santoni
Avocate Associée
Département droit public – Pôle urbanisme et aménagement
FIDAL

L’urbanisme des plans d’occupation des sols était caractérisé par les travers de son temps : peu de conscience du fait que les surfaces agricoles et naturelles n’étaient pas un gisement infini, développement du modèle pavillonnaire en périurbain, époque où le message politique était que « la ville doit s’adapter à la voiture », le tout conforté par un contexte économique, culturel et démographique propice à la consommation tout azimut. Les règles de l’urbanisme de l’époque traduisaient cette situation : la règle dominait le projet, le coefficient d’occupation des sols plafonnait la densité, les terrains d’assiette étaient soumis à une taille minimale pour construire, les règles de retrait étaient généreuses, etc.

Le résultat d’une telle équation n’est pas une surprise : consommation de foncier, étalement urbain, zones d’activités éparpillées, entrées de ville défigurées, mitage des campagnes… la liste est longue. Les POS n’en finissent pas de mourir, et l’héritage de cette fastueuse période se fait encore ressentir.

Il y a déjà 20 ans, la loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 prônait déjà les notions de lutte contre l’étalement urbain, de développement durable et mettait sur toutes les lèvres le concept neuf de « reconstruire la ville sur la ville ». La traduction textuelle de cet enjeu apparaissait avec les SCOT, le PADD, une fiscalité visant à lutter contre l’étalement urbain, des nouveaux PLU et l’incitation à réduire la consommation des espaces non urbanisés.

Les lois se sont succédées depuis (Lois Grenelle 1 et 2, loi de mobilisation du foncier public, loi ALUR, loi ELAN…), verdissant les documents d’urbanisme, renforçant les évaluations environnementales des plans et des projets, privilégiant une approche systémique, tendant vers une logique de résultat et in fine assignant peu à peu de nouveaux objectifs toujours plus vertueux aux documents d’urbanisme (C. urb., art. L. 101-2).

Le nouvel enjeu de lutte contre l’artificialisation est apparu pour la première fois sous l’angle ambitieux de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), promu par le « Plan biodiversité » dévoilé par le Gouvernement en juillet 2018, et la notion nourrit depuis de nombreuses études ou savants colloques ainsi que des groupes de travail, chargés de préciser sa définition et de trouver des mesures opérationnelles pour l’atteindre. Cependant, symbole de l’ambition et des enjeux qu’il représente, et avant même d’avoir trouvé sa définition, il se décline déjà de façon opérationnelle au travers de l’appel à manifestation d’intérêt « Territoires pilotes de sobriété foncière » à l’attention des villes moyennes déjà engagées dans une opération de revitalisation du territoire (ORT).

À ce jour en effet, cet objectif n’a étonnamment pas encore trouvé de réelle déclinaison textuelle, si ce n’est quelques circulaires sans opposabilité (V. not. l’instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace (Instr. n° LOGL1918090, 29 juill. 2019), ou encore récemment, la circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation du 24 août 2020 (Circ. n° PRMX2022573C, 24 août 2020).

Compte tenu du changement de paradigme qu’il implique pour la fabrique de Ville, l’objectif est d’ailleurs déjà dégradé, puisqu’une première étape aura pour but de simplement diminuer le rythme de l’artificialisation des sols d’ici à la fin de la décennie, dans des proportions qui seront objectivées quantitativement.

Cependant, l’actualité législative fourmille de références à ce nouvel objectif, et gageons que la lutte contre l’artificialisation sera à l’honneur dans le calendrier 2021.

Qu’est-ce que l’objectif de zéro artificialisation nette ?

Lutte contre l’étalement urbain ou l’extension de la tâche urbaine, maitrise de la consommation de l’espace ou gestion économe des sols, sobriété foncière ou recyclage urbain, modèles circulaires, respect voire amélioration de la biodiversité, impératif écologique et climatique, l’objectif peine à trouver sa place parmi tous ces enjeux.

L’objectif ZAN doit en réalité contribuer à un véritable changement de paradigme, permettant  de continuer à développer les territoires sans les artificialiser, et permettant de définir une stratégie de développement propre à chaque territoire, incluant l’ensemble des objectifs en matière de développement urbain, et préservant les échelles différentes d’action.

La première entrave du concept vient de la difficulté à le définir, une seconde de la difficulté à le mesurer.

Le sens des mots a son importance, et en l’occurrence celui d’artificialisation est susceptible d’en recevoir plusieurs. Or, même si l’enjeu ne se résume pas à une question de cadres législatifs ou règlementaires, pour que l’objectif ZAN puisse briguer une valeur juridique et se décliner, il faut en premier lieu en définir l’objet.

La concurrence est déjà rude, et force est de constater que le sujet ne fait pas consensus. Des définitions larges centrées sur les espaces autres que naturels, agricoles ou forestiers (ENAF), aux définitions scientifiques mettant l’accent sur les fonctionnalités et la biodiversité des sols, en passant par celles visant une échelle plus fine mettant en exergue l’imperméabilisation des sols et les différents usages, le choix est vaste.

Les injonctions contradictoires sont difficiles à lever, tant les échelles et focales d’appréciation sont variées. Il est probable que les débats seront fiévreux lorsqu’il s’agira au Parlement de se pencher sur la proposition du Ministère qui tente de concilier ces différents enjeux en ayant le souhait de disposer d’une définition englobante, qui distingue les espaces de nature des espaces bâtis et imperméabilisés dans la tache urbaine et prend en compte de l’impact de la fonctionnalité des sols dans les termes suivants : « Est considéré comme artificialisé un sol dont l’occupation ou l’usage affectent durablement tout ou partie de ses fonctions. Les surfaces de pleine terre ne sont pas considérées comme artificialisées. »

Le principe devrait être inscrit dans la déjà longue liste des principes généraux de l’urbanisme figurant à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme et devrait faire l’objet d’une déclinaison réglementaire.

Le projet de loi « 3 C » (convention citoyenne pour le climat), le projet de loi « 4D » (décentralisation, différentiation, déconcentration et décomplexification) mais aussi le projet de loi de finances pour 2021 s’agissant de mesures fiscales, seront les premiers vecteurs de ce nouvel enjeu.

Le projet de loi 3 C devrait à cet égard proposer de nouvelles dispositions concernant les SCOT et les PLU, ainsi que de nouvelles règles visant à contraindre fortement  les nouveaux projets de création de nouvelles surfaces commerciales.

Qu’est-ce que le programme « action cœur de Ville » ?

Au constat que les villes moyennes sont sources de dynamisme économique, patrimonial, culturel et social, mais connaissent parfois des difficultés d’attractivité, de logements dégradés ou de vitalité commerciale, le ministère a lancé, en décembre 2017, le plan Action cœur de ville pour revitaliser les villes moyennes dans tout le territoire métropolitain et ultramarin. En tout 222 communes sont concernées par ce plan.

Le programme vise à faciliter et à soutenir le travail des collectivités locales, à inciter les acteurs du logement, du commerce et de l’urbanisme à réinvestir les centres villes, à favoriser le maintien ou l’implantation d’activités en cœur de ville, afin d’améliorer les conditions de vie dans les villes moyennes. Construites autour d’un projet de territoire à partir d’un diagnostic complet de la situation du centre-ville concerné, un comité de projet local détermine les actions de revalorisation concrètes à mener autour de cinq axes : la réhabilitation-restructuration de l’habitat en centre-ville ; le développement économique et commercial ; l’accessibilité, les mobilités et connexions ; la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine ; l’accès aux équipements et services publics.

À travers ce plan, l’État joue un rôle de facilitateur pour permettre aux territoires de développer leurs propres projets. Pour ce faire, cinq milliards d’euros ont été mobilisés à l’échelle nationale sur cinq ans.

Cette action a été relayée dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018, par un outil nouveau à disposition des collectivités locales pour porter et mettre en œuvre un projet de territoire dans les domaines urbain, économique et social, et pour lutter prioritairement contre la dévitalisation des centres villes : l’opération de revitalisation du territoire (ORT).

L’ORT se matérialise par une convention signée entre l’intercommunalité, sa ville principale, d’autres communes membres volontaires, l’État et ses établissements publics. Toute personne publique ou privée susceptible d’apporter son soutien ou de prendre part à des opérations prévues par le contrat peut également le signer.

La convention d’ORT confère des nouveaux droits juridiques et fiscaux, notamment pour :

  • renforcer l’attractivité commerciale en centre-ville grâce à la mise en place d’une dispense d’autorisation d’exploitation commerciale et la possibilité de suspension au cas par cas de projets commerciaux périphériques ;
  • favoriser la réhabilitation de l’habitat par l’accès prioritaire aux aides de l’Anah et l’éligibilité au Denormandie dans l’ancien ;
  • faciliter les projets à travers des dispositifs expérimentaux comme le permis d’innover ou le permis d’aménager multi-site ;
  • mieux maîtriser le foncier, notamment par le renforcement du droit de préemption urbain et du droit de préemption dans les locaux artisanaux.

Comment conjuguer le plan action cœur de Ville et ce désormais fameux objectif  « ZAN » ?

La déclinaison est plurielle

Le soutien est d’abord venu de l’Europe, La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ayant reconnu la préservation du tissu commercial de centre-ville comme un intérêt général justifiant une atteinte à la liberté d’établissement. Les documents d’urbanisme dans les États membres peuvent ainsi comprendre l’interdiction pour les commerces de détail d’objets non volumineux de s’implanter dans des zones géographiques situées en dehors du centre-ville, pour autant que les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité soient satisfaites (CJUE, gr. ch., 30 janv. 2018, aff. C-360/15 et C-31/16, Visser, § 112 à 136).

Afin de revitaliser les centres villes, la loi ELAN a significativement modifié les dispositions relatives aux projets d’implantation commerciale soumis à autorisation d’exploitation commerciale (AEC). Elle a d’abord ajouté, au nombre des items que doivent prendre en considération les commissions d’aménagement pour autoriser les projets de surfaces de vente (C. com., L. 752-6), deux autres objectifs : « e) la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre » ; et « f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d’infrastructures et de transports ».

Cette finalité de revitalisation des centres villes a également justifié des rehaussements de seuils de soumission à AEC ou même des dispenses de toute autorisation. L’un des effets notable de la création des ORT réside ainsi dans ses relations avec les autorisations d’urbanisme commercial.

La loi ELAN a d’une part prévu des dispenses d’autorisation dans le périmètre des ORT avec conditions (C. com., art. L. 752-2 III), et d’autre part a prévu la possibilité de suspendre selon des conditions et modalités codifiée aux articles R. 752-29-1 à R. 752-29-9 du Code de commerce, de certaines demandes d’AEC en périphérie des ORT (C. com., L. 752-1-2).

Ce dispositif de la loi ELAN a été critiqué devant le Conseil Constitutionnel au motif que les nouveaux critères et obligations relatifs à la préservation et à la revitalisation du tissu commercial ne répondaient pas à des objectifs d’aménagement du territoire, et donc à un motif d’intérêt général, mais à des finalités économiques, à savoir, la protection des commerçants de centre-ville et la limitation des grandes surfaces en périphérie. Il a pourtant fait l’objet d’une validation en conseil constitutionnel (Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-830 QPC).

En outre, ces dispositions devraient bientôt être encore renforcées au regard de l’objectif ZAN, par un principe d’interdiction de nouvelles surfaces commerciales sauf à justifier de l’absence de disponibilité de foncier déjà artificialisé et d’un besoin caractérisé du territoire, outre des obligations accrues de compensation.

L’autre volet de la relation entre l’action cœur de ville et l’objectif ZAN est plus opérationnel.

En septembre dernier, lors des troisièmes rencontres du programme Action cœur de Ville (ACV), la ministre de la Transition écologique a annoncé le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour inciter les villes moyennes à s’engager dans une démarche visant l’objectif de zéro artificialisation nette.

Cet AMI intitulé « Territoires pilotes de sobriété foncière » (https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/Territoires%20pilotes%20de%20sobri%C3%A9t%C3%A9%20fonci%C3%A8re.pdf.pdf) s’adresse aux villes moyennes déjà engagées dans une ORT pour « expérimenter une méthode concrète de planification et de programmation urbaine sobre en foncier, tournée vers la transition écologique ».

Pensés comme des démonstrateurs territoriaux pour le ZAN, les territoires pilotes seront accompagnés en ingénierie et suivis pendant 3 à 5 ans depuis l’identification du foncier à transformer jusqu’à la mobilisation d’opérateurs pour réaliser des projets, et leurs retours d’expérience sera partagé.

La plaquette de l’AMI expose que l’objectif est de tester pratiquement, en lien avec les décideurs locaux, l’application in situ du principe de Zéro artificialisation nette qui revêt un intérêt particulier dans toutes les zones où la périphérie s’est développée au détriment du cœur de l’agglomération.

Il s’agit d’accompagner et d’évaluer des stratégies urbaines orientées vers la transition écologique et le recyclage urbain (« ORT vertes »), mêlant densification et dédensification, en articulant l’échelle du projet urbain à celui de l’agglomération.

L’objectif est d’imaginer de nouveaux modèles d’intervention sur l’existant, en centre ville comme dans le périurbain, lotissements, zones commerciales ou d’activités, profitant des éventuelles opportunités de relocalisation industrielle. L’innovation architecturale et paysagère doit également être pleinement mobilisée au service des projets locaux.

Les enseignements tirés de l’accompagnement de ces sites pilotes alimenteront les travaux en cours pour déployer la stratégie nationale de lutte contre l’étalement urbain.

Les 7 premiers lauréats de ce programme ont été désignés le 17 décembre dernier (https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/territoires-pilotes-de-sobriete-fonciere-7-premiers-laureats-368).