Le Conseil d’État détermine (enfin) l’assiette foncière à retenir dans le cadre d’une division primaire

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Aurélien Massaguer
Avocat à la Cour
Massaguer & Simon avocats

 

Thomas Simon
Avocat à la Cour
Massaguer & Simon avocats

Par un arrêt remarqué rendu le 12 novembre 2020 (société Financière Axel Investissement, n° 421590), le Conseil d’État a mis fin à un débat (presque) aussi vieux que l’existence de la technique dite de « division primaire » en droit de l’urbanisme, à savoir la détermination de l’assiette foncière servant de référence à l’application des dispositions d’urbanisme lors de la délivrance du permis de construire (PC).

Adhérant à la doctrine dominante en la matière, la solution dégagée par le Conseil d’État n’en génère pas moins, en pratique, certaines interrogations.

  1. Un débat ancien tranché par le Conseil d’État

1.1  Rappelons, en préambule, que le mécanisme de « division primaire » n’est défini, au code de l’urbanisme, qu’en rapport avec le lotissement, dont il constitue une simple exception.

Ainsi, selon l’article R. 442-1 a), échappent au régime des lotissements et ne sont donc soumises ni à déclaration préalable ni à permis d’aménager : « Les divisions en propriété ou en jouissance effectuées par un propriétaire au profit de personnes qui ont obtenu un permis de construire ou d’aménager portant sur la création d’un groupe de bâtiments ou d’un immeuble autre qu’une maison individuelle au sens de l’article L. 231-1 du code de la construction et de l’habitation ».

Cette technique consiste donc le plus souvent pour un tiers à obtenir un permis de construire un immeuble, autre qu’une maison individuelle, sur la fraction d’un terrain plus vaste, la division en propriété n’intervenant que postérieurement à l’obtention dudit permis de construire.

On voit d’emblée tous les avantages de ce mécanisme qui, en plus de la simplicité (une simple promesse de vente assortie d’une condition suspensive d’obtention de PC), permet de faire l’économie d’une autorisation de lotir, d’autant plus dans un contexte règlementaire ayant généralisé le recours au permis d’aménager (désormais obligatoire dans les abords des monuments historiques : C. urb., art. R. 421-19 a).

1.2  Le seul problème, et non des moindres, résidait dans le choix de l’assiette foncière à prendre en compte pour l’application des règles d’urbanisme, à commencer par celles du plan local d’urbanisme (PLU) : fallait-il retenir l’assiette foncière originelle avant détachement de la fraction destinée à accueillir un immeuble ? Ou, par anticipation de la division à intervenir, prendre en compte le seul terrain issu de ce détachement ?

Deux courants ont alors émergé, soutenus par un vif débat doctrinal, démontrant tout le caractère sensible de la question.

Les premiers, partisans de l’orthodoxie juridique, s’appuyaient sur une implacable logique chronologique qui veut que, à la date d’obtention du permis de construire, la division foncière ou en jouissance n’est pas intervenue.

À cette date, donc, l’unité foncière de référence est celle d’origine, entendue par le Conseil d’Etat comme « un îlot de propriété d’un seul tenant, composé d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision » (CE, 27 juin 2005, Commune de Chambéry, n° 264667).

Pour refuser tout « morcellement » anticipé du tènement originel au stade du PC, les partisans de cette ligne faisaient également remarquer que le code de l’urbanisme ne réserve qu’à la déclaration préalable et au permis d’aménager la possibilité de demander et d’obtenir une autorisation « sur une partie d’une unité foncière » (C. urb., art. R. 441-1 et 441-9).

Enfin, en pratique, force est d’admettre que les communes étaient dans l’incapacité de contrôler, la plupart du temps, le respect des dispositions du PLU à l’échelle du terrain issu de la division.

De fait, dans l’hypothèse d’une division primaire, le code de l’urbanisme n’impose la production d’aucune pièce particulière, notamment plan de division, au dossier de PC, ni même d’en faire état dans sa demande, ce contrairement au permis de construire valant division (cf. C. urb., art. R. 431-24).

Or, en application des dispositions de l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme, aucune autre information ou pièce que celles prévues au code de l’urbanisme ne peut être exigée du pétitionnaire, en sorte que le maire devait s’en tenir, le plus souvent, à un dossier de PC classique.

Les seconds, partisans d’une logique plus prospective, objectaient que la chronologie des événements (division foncière après obtention du PC) plaide au contraire pour que soit prise en compte la seule assiette foncière issue de la division.

En effet, l’objet du PC se limite nécessairement à l’exécution de travaux et d’aménagement sur la fraction du terrain qui sera ensuite cédée au pétitionnaire, ce dernier ne bénéficiant d’aucun « droit », au sens civil, sur le reste de l’unité foncière.

Au plan opérationnel, les tenants de cette approche soutenaient également que, une fois la division opérée, la simple modification du projet, notamment via un permis de construire modificatif (PCM), pouvait s’avérer compliquée, voire impossible, compte tenu de la réduction de l’assiette foncière.

1.3  Suivant les conclusions de son rapporteur public M. Fuchs, le Conseil d’État a définitivement tranché le débat en retenant la solution la plus « orthodoxe » en droit : « Eu égard à l’objet de ce procédé permettant de combiner, pour les projets portant sur un groupe de bâtiments ou un immeuble autre qu’une maison individuelle destinés à occuper une partie de l’unité foncière existante, l’obtention de l’autorisation d’urbanisme nécessaire au projet et la division de l’unité foncière existante, le respect des règles d’urbanisme doit être apprécié au regard de l’ensemble de l’unité foncière existant à la date à laquelle l’administration statue sur la demande, bien que cette dernière soit informée de la division à venir. Dans l’hypothèse où, postérieurement à la division du terrain mais avant l’achèvement des travaux, le pétitionnaire dépose une demande de permis modificatif, il y a lieu d’apprécier la légalité de cette demande sans tenir compte des effets, sur le terrain d’assiette, de la division intervenue »

De façon tout à fait opportune, il prévoit le cas où un permis modificatif viendrait à être sollicité une fois la division intervenue et avant achèvement des travaux.

Dans cette hypothèse, exception au principe général, l’appréciation de la régularité du projet au regard des dispositions d’urbanisme se fera à l’échelle de l’assiette foncière originelle nonobstant la division intervenue.

  1. La décision du Conseil d’État à l’aune de la pratique : des questions en suspens

Technique prisée des professionnels de l’immobilier, la division primaire risque de se généraliser encore un peu plus compte tenu de la fin de l’incertitude liée à l’instruction de la demande de PC.

Néanmoins, comme souvent, la solution dégagée par le Conseil d’Etat apporte également son lot d’interrogations auxquelles seront rapidement confrontés les praticiens.

Parmi ces questions, nous en avons relevé deux.

2.1  D’abord, on peut s’interroger sur le fait de savoir si les communes, et leur PLU, pourront s’opposer, dans le cas d’une division primaire, à l’appréciation globale des règles d’urbanisme à l’échelle de l’assiette foncière originelle.

On sait que certaines communes, soucieuses de maîtriser leur urbanisation, peuvent se montrer réticentes au mécanisme de division primaire dès lors qu’elles ne contrôlent pas, en amont, la division foncière.

À tout le moins, elles pourraient choisir de s’appuyer sur l’article R. 151-21 qui permet au PLU de s’opposer à ce que « l’ensemble du projet [soit] apprécié au regard de la totalité des règles édictées par le plan local d’urbanisme » dans le cas d’un lotissement « ou dans celui de la construction, sur une unité foncière ou sur plusieurs unités foncières contiguës, de plusieurs bâtiments dont le terrain d’assiette doit faire l’objet d’une division en propriété ou en jouissance ».

C’est d’ailleurs ce que suggère le rapporteur public dans ses conclusions, M. Fuchs ne voyant pas, « compte tenu de la formulation de cet article (…) ce qui qui s’opposerait à son application au mécanisme de la division primaire, du moins dès lors qu’est en cause la construction de plusieurs bâtiments ».

En citant l’article R. 151-21 dans son arrêt, le Conseil semble lui-même s’inscrire dans cette voie.

L’application de cet article au mécanisme de la division primaire ne va pourtant pas de soi. En effet, comme le rapporteur public le rappelle, une division primaire n’emporte pas nécessairement la construction « de plusieurs bâtiments », ce qui suffit déjà à écarter l’application de ces dispositions dans le cas d’un seul bâtiment à construire.

En outre, quand bien même la commune aurait écarté le principe de globalisation comme le lui permet l’article R. 151-21, elle ne pourrait toujours pas, y compris en présence de « plusieurs bâtiments », contrôler l’application des règles du PLU à la fraction détachée faute d’un plan de division à fournir au dossier de PC.

Il n’en reste pas moins que la solution du Conseil d’État laisse désormais planer un doute sur l’application de l’article R. 151-21 à la division primaire en cas de pluralité de bâtiments, dont il serait souhaitable qu’il soit rapidement éclairci afin de ne pas insécuriser pétitionnaires et collectivités.

2.2 Ensuite, se pose la question de divisions primaires multiples et simultanées détachant en même temps plusieurs lots d’une même unité foncière.

Ce schéma implique le dépôt, l’instruction et la délivrance concomitants, du moins suffisamment rapprochés pour que les divisions voisines ne soient pas encore intervenues, de PC à différents opérateurs ayant chacun leur projet de construction.

Cette hypothèse est d’autant plus plausible pour les propriétaires de grands tènements fonciers qui, à la suite de l’arrêt du Conseil d’État et tenant compte de l’absence de cristallisation des règles d’urbanisme en division primaire (contrairement au lotissement), pourraient être tentés de voir grand et ne pas retarder la valorisation de leur foncier.

Le problème réside néanmoins dans le fait que, dans ce cas, chaque opérateur, en plus de bénéficier des droits à construire du propriétaire du terrain, profite de la constructibilité offerte par le terrain de son voisin qui a vocation à être détaché et bâti… comme le sien.

On sait que la jurisprudence a pu se montrer sévère à l’encontre de schémas consistant à élargir artificiellement l’assiette de la demande de PC à des portions de terrain qui n’ont pas vocation à rester intégrées au terrain d’assiette du projet (voir en ce sens CAA. Lyon, 6 mai 2013, n°12LY02084).

La souplesse dont a fait preuve le Conseil d’État dans l’arrêt commenté pourrait toutefois nous surprendre sur la solution retenue…