Le droit de l’urbanisme au secours des commerces de centre-ville

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Elsa Sacksick
Avocate associée
Adden avocats
Spécialiste en droit public

Une protection récente ?

La protection du centre-ville comme principe d’aménagement du territoire a intégré le code de l’urbanisme assez tardivement. C’est un apport de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 : depuis son entrée en vigueur, les documents d’urbanisme doivent déterminer, dans le respect des objectifs de développement durable, l’équilibre entre différents principes d’aménagement dont « la revitalisation des centres urbains »[1].

Le SCoT : document de planification de protection du commerce des centralités urbaines

Plus précisément, la loi Grenelle 2 a donné au schéma de cohérence territoriale (SCoT) le rôle de protecteur des centres urbains. C’est ainsi qu’il a été dévolu au document d’orientation et d’objectif (DOO) du SCoT de définir les conditions de « revitalisation des centres urbains »[2]et dans cet objectif de fixer les « localisations préférentielles des commerces »[3].

C’est également la loi Grenelle 2 qui crée un document d’aménagement commercial dans le DOO du SCoT qui a pour objet de préciser l’implantation des commerces. Ce document spécifique a connu, depuis, des modifications de dénomination, de contenu et même une disparition du code entre la loi Alur du 24 mars 2014 et la loi ACTPE du 18 juin de la même année. Notons que le document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC) détermine « les conditions d’implantation des équipements commerciaux qui, en raison de leur importance, sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur l’aménagement du territoire, le commerce de centre-ville et le développement durable »[4]. Le DAAC doit localiser les « centralités urbaines ». Ce qui est intéressant, c’est que ces centralités sont définies comme étant « tout secteur, notamment centre-ville ou centre de quartier, caractérisé par un bâti dense présentant une diversité des fonctions urbaines, dans lesquels se posent des enjeux spécifiques [notamment] du point de vue des objectifs (…) de revitalisation des centres-villes »[5]. Il prévoit les conditions d’implantation, le type d’activité et la surface de vente maximale des équipements commerciaux spécifiques aux secteurs ainsi identifiés. Il peut également définir les conditions permettant le développement ou le maintien du commerce de proximité dans les centralités urbaines et au plus près de l’habitat et de l’emploi, en limitant son développement dans les zones périphériques, et prévoir les conditions permettant le développement ou le maintien de la logistique commerciale de proximité dans les centralités urbaines, afin de limiter les flux de marchandises des zones périphériques vers les centralités urbaines.

Ainsi, la planification urbaine se soucie de plus en plus de la protection des commerces en centralité urbaine et en a même fait un principe d’aménagement du territoire.

Cela n’est anodin si la protection des commerces de centre-ville intègre le code de l’urbanisme via le SCoT. En effet, il s’agit du document d’urbanisme de référence en matière d’urbanisme commercial, puisque c’est le seul document opposable aux autorisations d’exploitation commerciale (AEC), lesdites autorisations devant être compatibles avec le DOO du SCoT[6].

Or, les autorisations d’exploitation commerciale sont nées dans les années 1970 dans un souci de contrôler et, tenter de maîtriser, l’installation des magasins notamment alimentaires (supermarchés puis hypermarchés) au détriment du petit commerce de proximité. Si la loi Royer abordait le sujet sous l’angle économique, la traduction sous l’angle urbanistique un peu caricatural, c’est bien le commerce de périphérie avec des enseignes nationales, voire internationales face au petit commerce de centralités.

Les prémices dans les lois Royer et Raffarin

Ainsi, si l’action des collectivités publiques dans le code de l’urbanisme n’inclut la revitalisation des centres urbains que depuis l’entrée en vigueur de la loi Grenelle 2 de 2010, le droit de l’urbanisme commercial a été un peu plus précurseur.

Dans la loi Royer du 27 novembre 1973, la préservation de « l’animation commerciale du centre des villes » est visée à l’article 36 mais ce n’est que pour prévoir un dispositif de prêts, dans les communes de moins de 100 000 habitants et les communes classées « communes touristiques », pour l’aménagement de parcs de stationnement… les grands principes qui prévalent dans cette loi sont un peu datés : même si on y retrouve la contribution à « l’amélioration de la qualité de vie, à l’animation de la vie urbaine et rurale », au début des années 1970, le législateur n’imagine pas ou ne formule pas que les centres-villes y participent…

Puis, en 1996, la loi Raffarin est venue renforcer le contrôle sur le développement commercial en abaissant le seuil de soumission à AEC et a introduit un ajout aux principes de l’article 1erde la loi Royer pour y ajouter l’objectif de rééquilibrage des agglomérations par le « développement des activités en centre-ville »[7]. Notons que cette loi prévoit également une exception à l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale pour les ensembles commerciaux situés dans une zone d’aménagement concerté créée dans un centre urbain[8]. « Cette exclusion [de la notion d’ensemble commercial] vise justement à ne pas pénaliser les opérations de restructuration commerciale ou de revitalisation des centres-villes au profit du commerce indépendant de proximité »[9]. Le juge a restreint cette exception. Ainsi, pour qu’une ZAC puisse être qualifiée de ZAC créée dans un centre urbain, elle ne doit pas uniquement avoir vocation à devenir une ZAC de centre urbain, mais doit l’être réellement. Autrement dit, elle ne doit pas créer de façon sui generis une nouvelle centralité urbaine, mais procéder à la restructuration d’un centre urbain historique[10].

La revitalisation des centres-villes au cœur des critères des commissions d’aménagement commercial

La protection de l’activité commerciale en centre urbain a intégré le code de commerce un peu avant le code de l’urbanisme via la loi LME du 4 août 2008, lorsque, pour obéir aux injonctions de la commission européenne, il a été mis fin en droit français au contrôle économique des implantations commerciales qui a été remplacé par un contrôle des commissions d’aménagement commercial au regard de trois critères : l’aménagement du territoire, le développement durable et la protection du consommateur. L’article L750-1 du code de commerce prévoit que « les implantations, extensions, transferts d’activités existantes et changements de secteur d’activité d’entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu’au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine.»

Plus précisément concernant les centres urbains, la commission départementale d’aménagement commercial doit prendre en considération au titre de la protection des consommateurs, « la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains »[11].

La loi ELAN : un pas de plus

La loi Elan du 25 novembre 2018 est venue renforcer la protection des centres urbains via le critère d’aménagement du territoire sur lequel doivent se fonder les commissions d’aménagement commercial, mais aussi en instaurant un dispositif spécifique de protection : les opérations de revitalisation des territoires (ORT).

Renforcement via l’étude d’impact centres-villes

La loi Elan ajoute au sein de l’article L. 752-6 du code de commerce que la commission départementale d’aménagement commercial doit prendre en considération, au titre du critère d’aménagement du territoire, la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de la communauté d’agglomération, communauté urbaine ou métropole…[12]

Pour aider la commission a exercé ce contrôle, un nouveau document doit être réalisé par le pétitionnaire d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale : une analyse d’impact du projet réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet qui évalue les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. Il doit également y être démontré qu’aucune friche existante en centre-ville ne permet l’accueil du projet envisagé[13].

Autre ajout de la loi Elan : l’animateur de centre-ville qui jusqu’ici ne figurait dans aucun texte, est auditionné en CDAC pour tout projet nouveau[14]. Concrètement, en vue de cette audition, le maire de la commune d’implantation établit à l’intention de la commission la liste comportant les coordonnées de la personne chargée d’animer le commerce du centre-ville, de l’agence du commerce compétente sur le territoire et des associations de commerçants de sa commune[15]. Concernant les associations de commerçants entendues par la CDAC, priorité est donnée à l’association qui regroupe le plus de commerçants de centres-villes.

Renforcement via un nouvel outil d’exception : les ORT

La loi Elan crée les opérations de revitalisation des territoires (ORT)[16].

Ce nouvel outil prend le relais des plans actions cœur de ville que l’on voyait déjà souvent cités par la commission nationale d’aménagement commercial dans ses décisions, comme les FISAC, pour justifier d’une dévitalisation commerciale des centres-villes et refuser certaines implantations périphériques. Cela dit, la seule existence d’un plan action cœur de ville ou d’un dispositif FISAC n’est pas suffisante en soi : le juge s’attache à vérifier in concreto le risque réel allégué[17]d’une part et procède à une appréciation globale des effets du projet d’autre part. Ainsi, il tient compte, quant aux risques sur l’animation de la vie urbaine, de la cohérence de la localisation du projet, notamment au regard du DOO du SCoT.

Mais l’ORT est un outil beaucoup plus ambitieux et a priori nettement plus efficace.

Elle a pour objet la mise en œuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux, ainsi que le tissu urbain de ce territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux et artisanaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable. C’est un dispositif contractuel ayant notamment comme signataires l’Etat, l’intercommunalité et sa ville principale.

Entre autres, dans la large palette d’outils à sa disposition, elle intègre un dispositif d’exception en matière d’autorisation d’exploitation commerciale, dans un but de protection des centres-villes fragilisés. Ainsi, en miroir les projets en centres-villes protégés par l’ORT, le principe est la dispense d’autorisation d’exploitation commerciale alors qu’en périphérie de ces centres le préfet a le pouvoir de geler les projets commerciaux. Plus précisément, les projets, situés dans un centre-ville identifié en tant que secteur d’intervention par une convention ORT, sont dispensés d’autorisation d’exploitation commerciale[18]. La convention peut toutefois prévoir qu’au-delà d’un certain seuil un projet est tout de même soumis à AEC[19], sauf à ce que l’opération immobilière porte sur une surface de vente inférieure au quart de la surface de plancher d’habitation[20]. À l’inverse, ce dispositif de revitalisation des centres-villes permet au préfet de suspendre la procédure de demande d’autorisation d’exploitation commerciale devant la CDAC, pour les projets situés hors des secteurs d’intervention de l’opération susceptibles d’y porter atteinte[21].

2019 : une nouvelle agence

Enfin, même si on peut se permettre de douter de son intérêt et surtout de son efficacité, on peut citer, pour être exhaustif sur le sujet traité, la naissance de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, créée par une loi du 22 juillet 2019, qui a pour mission de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales dans le cadre de leurs projets, en faveur de la revitalisation, notamment commerciale et artisanale, des centres-villes et centres-bourgs.

[1]               Article L. 101-2 du code de l’urbanisme.

[2]               Ancien article L. 141-5 2° du code de l’urbanisme en vigueur jusqu’au 1er avril 2021 (avant

[3]               Nouvel article L. 141-5 issu de l’ordonnance n°2020-744 du 17 juin 2020 et ancien article L. 141-16 du code de l’urbanisme.

[4]               Nouvel article L. 141-6 issu de l’ordonnance du 17 juin 2020 et ancien article L. 141-17 du code de l’urbanisme.

[5]               Ibid.

[6]               Article L. 142-1 du code de l’urbanisme.

[7]               Article 1er de loi 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat.

[8]               In article L. 752-3 du code de commerce actuellement.

[9]               Circulaire ministérielle du 16 janvier 1997 et rép. min. n° 13091 Fuchs : JOAN Q 28 juin 1998, p. 3656.

[10]              CAA Versailles 29 décembre 2011 Sociétés Multivest France 06, req. n° 10VE00763. TA Melun 7 octobre 2016 Association Observatoire indépendant du cadre de vie, req. n° 1405113.

[11]              Article L. 752-6 du code de commerce.

[12]              Article L. 752-6 f) du code de commerce.

[13]              Article L. 752-6 III et IV du code de commerce.

[14]              Article L. 751-2 du code de commerce.

[15]              Article R. 752-14 du code de commerce issu du décret 17 avril 2019.

[16]              Le mécanisme de l’ORT est issu de l’article 157 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite « loi ELAN ») et a été inséré à l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation.

[17]              CAA de Nantes 22 mars 2019 SAS Sud B Distribution, req. n° 18NT02899 : CNAC en considérant que : « Il ressort des pièces du dossier que la commune de Fontenay-le-Comte, qui constitue la principale commune de la zone de chalandise du projet, connaît, en particulier dans son centre-ville, un phénomène de dévitalisation commerciale, caractérisé notamment par un taux de vacance commerciale de 11,7 %, qui a d’ailleurs justifié l’attribution entre 2011 et 2016 de subventions par le fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce (FISAC) ainsi que sa participation au programme national  » Action Coeur de ville « , mis en place en 2018 et ayant pour objet de renforcer l’attractivité et le dynamisme des centres en ville. Par ailleurs, a été observée à Fontenay-le-Comte une diminution de la population de -1,1 % entre 1999 et 2015 et de – 5 % entre 2006 et 2015. Toutefois, en dépit de la fragilité certaine du tissu commercial de la commune, les éléments versés au dossier ne suffisent pas, compte tenu de la nature et de l’ampleur du projet, lequel porte sur l’ouverture d’un commerce de détail hard discount non alimentaire pour une surface de vente de 1 000 mètres carrés et d’une seconde cellule commerciale dédiée au secteur 2 non alimentaire, et alors que la population à l’échelle de la zone de chalandise a progressé de 10,9 % entre 1999 et 2015, à démontrer que celui-ci compromettrait les chances de succès des actions entreprises en vue de la sauvegarde de l’animation de la vie urbaine de Fontenay-le-Comte et du rétablissement d’équilibres territoriaux ».

[18]              Article L. 752-1-1 du code de commerce.

[19]              Article L. 752-1-1 2e alinéa du code de commerce.

[20]              Article L. 752-1-2 IV du code de commerce.

[21]              Article L. 752-1-2 du code de commerce.