Évaluation environnementale et participation du public : à quand un cadre juridique stabilisé ?

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Laura CECCARELLI-LE GUEN
Avocate associée
DS AVOCATS

Les deux réformes des procédures de participation du public et des évaluations environnementales, entrées en vigueur en 2017, ont conduit les maîtres d’ouvrage publics et privés à repenser en profondeur les modalités de définition et de réalisation de leurs projets, leurs plannings opérationnels, ainsi que leurs relations avec les autres maîtres d’ouvrage.

Mais ces textes ont soulevé de nombreuses difficultés d’interprétation et/ou d’application qui ont conduit le législateur et le gouvernement à préciser certains points, et la jurisprudence à en trancher d’autres, au risque de donner le tournis aux praticiens.

1) La loi ASAP a-t-elle réellement simplifié les règles applicables en matière de participation du public et d’évaluation environnementale ?

Poursuivant un double objectif de simplification et de relance de l’économie, la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite loi ASAP) a, notamment, clarifié le mécanisme d’actualisation des évaluations environnementales en le limitant à l’autorisation sollicitée ; élargit le champ d’application de l’évaluation environnementale des plans locaux d’urbanisme et des unités touristiques nouvelles, tout en les soumettant à concertation préalable au titre du code de l’urbanisme ; ouvert – dans des conditions très strictes – la possibilité d’exécuter une autorisation d’urbanisme avant la délivrance de l’autorisation environnementale ; réduit à deux mois le délai pour exercer le droit d’initiative et institué la possibilité d’opter pour une concertation avec garant au titre du code de l’environnement pour les projets également soumis en partie à concertation obligatoire au titre de l’article L. 103-2 du code de l’urbanisme. Cette dernière possibilité présente un réel intérêt pratique pour les projets qui relèvent de plusieurs formes de concertation, même si la concertation avec garant peut parfois se révéler assez lourde à mettre en œuvre.

Trois projets de décrets récemment soumis à consultation du public, devraient prochainement compléter ce dispositif : le projet de décret portant diverses réformes en matière d’évaluation environnementale et de participation du public dans le domaine de l’environnement et apportant diverses modifications aux codes de l’environnement et de la sécurité sociale (projet de décret « mise en demeure ») ; le projet de décret portant diverses mesures d’accélération et de simplification de l’action publique dans le domaine de l’environnement (projet de décret « loi ASAP ») ; et le projet de décret portant modification des dispositions relatives à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme et des UTN (projet de décret « loi ASAP – article 40 »).

L’évolution la plus notable concerne, selon nous, les procédures d’évolution des plans locaux d’urbanisme, qui vont être bien plus fréquemment soumises à évaluation environnementale, avec pour corollaire l’obligation d’organiser une procédure de concertation au titre du code de l’urbanisme, selon des modalités qui soulèvent plusieurs interrogations, en particulier dans le cadre des procédures de mise en compatibilité par déclaration d’utilité publique ou par déclaration de projet.

2) La nomenclature des études d’impact va-t-elle encore évoluer ?

La nomenclature des études d’impact annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, et notamment la rubrique 39 applicable aux projets de travaux, de constructions et aux opérations d’aménagement, a évolué à plusieurs reprises ces dernières années : le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 a fusionné ces trois catégories ; le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 a distingué les travaux et constructions des opérations d’aménagement, et enfin le décret n° 2020-1169 du 24 septembre 2020 a modifié notablement la ligne de démarcation entre les projets soumis à évaluation environnementale systématique et ceux soumis à examen au cas par cas.

Depuis le 1er janvier 2021, tous les projets de travaux, constructions et opérations d’aménagement créant une surface de plancher ou une emprise supérieure ou égale à 10 000 m² en milieu urbanisé (zones U des plans locaux d’urbanisme, zones constructibles des cartes communales et parties actuellement urbanisées des communes en RNU) sont soumis à examen au cas par cas, même s’ils dépassent le seuil de 40 000 m² (qui imposait auparavant une étude d’impact systématique).

Seuls les projets réalisés en dehors des milieux urbanisés au-dessus de ce seuil de 40 000 m² ainsi que les opérations d’aménagement dont le terrain d’assiette est supérieur ou égal à 10 hectares demeurent soumis à évaluation environnementale systématique.

Ce basculement, justifié par le souci de lutter contre l’artificialisation des sols (dont une définition devrait être prochainement fixée par le projet de loi Climat et Résilience actuellement en cours de discussion devant le Sénat), respecte le principe de non-régression du droit de l’environnement dès lors que l’autorité en charge du cas par cas peut toujours soumettre à évaluation environnementale les projets susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement.

Il présente un réel intérêt pratique pour les projets importants réalisés en milieu urbanisé, soumis à évaluation environnementale après examen au cas par cas : leurs demandes de permis de construire et de permis d’aménager font désormais l’objet d’une procédure de participation du public par voie électronique selon les modalités prévues à l’article L. 123-19 du code de l’environnement, et non plus d’une enquête publique en application de l’article L. 123-2 du même code, ce qui raccourcit notablement leurs délais d’instruction.

Toutefois, même si un projet est en deçà des seuils prévus par la nomenclature, il convient de s’interroger systématiquement sur ses incidences sur l’environnement et sur la santé humaine.

Le Conseil d’État vient en effet d’annuler le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 « en tant qu’il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant de soumettre à une évaluation environnementale des projets qui, en raison d’autres caractéristiques telles que leur localisation, sont susceptibles d’avoir une incidence notables sur l’environnement ou la santé humaine » et d’enjoindre au gouvernement de remédier à cette lacune dans un délai de neuf mois (CE, 15 avril 2021, n° 425424, France Nature Environnement, Lebon tables)

Dans l’attente de l’institution de cette clause-filet, il est donc recommandé de saisir l’autorité environnementale soit d’une demande d’avis, soit d’un formulaire d’examen au cas par cas pour les projets en deçà des seuils mais néanmoins susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine.

Cette même décision a également annulé la rubrique 44 de la nomenclature relative aux équipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés, en tant qu’elle fixe à plus de 1 000 personnes le seuil de soumission à examen au cas par cas.

3) Les contours de la notion de « projet » sont-ils mieux connus ?

La notion de « projet » est centrale pour l’application de ce nouveau cadre juridique.

La définition donnée par l’article L. 122-1 du code de l’environnement est assez peu explicite :

« Projet : la réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol. (…)

Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. »

Le « guide d’interprétation de la réforme du 3 août 2016 » d’août 2017 du Ministère de la transition écologique et solidaire, et la « note sur les zones d’aménagement concerté et autres projets d’aménagement urbain » de février 2019 de l’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (Ae CGEDD), ont précisé cette notion.

Le projet doit ainsi être appréhendé comme l’ensemble des opérations et travaux nécessaires pour le réaliser et atteindre l’objectif poursuivi. Il s’agit des travaux, ouvrages ou autres interventions qui, sans le projet, ne seraient pas réalisés ou ne pourraient pas remplir le rôle pour lequel ils sont réalisés.

Sont en revanche indifférents les critères liés à la maîtrise d’ouvrage, aux limites territoriales… .

Deux jurisprudences récentes permettent d’éclairer la démarche suivie par le juge administratif.

En premier lieu, une décision importante sur les liens entre opérations d’aménagement et infrastructures routières a été rendue par la Cour administrative d’appel de Paris au sujet du projet d’échangeur A1/A3 Pleyel à Saint-Denis, infrastructure qui est programmée  sur un secteur plus vaste, comprenant plusieurs ZAC, la construction d’une gare du Grand Paris Express, et dont les aménagements sont en lien plus ou moins étroits avec l’organisation des Jeux Olympiques en 2024 (CAA Paris, 22 octobre 2020, n° 20PA00219).

La Cour a écarté le moyen tiré de l’existence d’un projet global entre ces opérations, en relevant tout d’abord que l’échangeur n’a pas été spécialement décidé pour les Jeux Olympiques 2024 mais qu’il s’agissait d’un projet préexistant, certes devant assurer la bonne desserte de certains équipements, mais qui n’a pas comme finalité unique l’accueil des Jeux Olympiques.

En outre, elle a considéré que cet échangeur pouvait être mis en œuvre de manière autonome des opérations d’aménagement sur le secteur Pleyel, et qu’il disposait de ses propres objectifs, ce qui empêchait de le regarder comme formant un même projet avec ces opérations, et ce dépit de leur proximité géographique, de la nécessité d’une coordination dans le phasage des travaux et de la possibilité de devoir définir des mesures pour éviter, réduire, compenser leurs incidences cumulées.

Aussi, la Cour a essentiellement vérifié deux conditions déterminantes pour les dissocier : degré suffisant d’indépendance fonctionnelle et opérationnelle des opérations et existence de finalités propres à ces aménagements.

Cette décision fera très certainement l’objet d’un pourvoi par les requérants mais il nous semble probable, au regard de la solidité de sa motivation, qu’elle soit confirmée par le Conseil d’État.

En deuxième lieu, dans la continuité de l’arrêt Commune de la Turballe, aux termes de laquelle la seule planification au sein du plan local d’urbanisme de l’urbanisation d’une zone ne peut suffire à qualifier un projet unique (CE, 28 nov. 2018, n° 419315, Commune Turballe et Société Loti Ouest Atlantique), le Conseil d’État a jugé que l’existence d’un projet de construction sur une parcelle adjacente au terrain d’assiette du projet pour lequel le permis de construire est sollicité ne peut être pris en compte, pour déterminer s’il y a lieu de joindre une étude d’impact au dossier de demande, que s’il existe entre eux des liens de nature à caractériser le fractionnement d’un projet unique (CE, 1er févr. 2021, n° 429790, SNC Le Castellet-Faremberts).

Après 4 ans de pratique des réformes des procédures de participation du public et des évaluations environnementales, certaines zones d’ombre commencent ainsi à s’éclaircir… . Mais il est indispensable de stabiliser le cadre juridique applicable pour que les praticiens puissent le mettre en oeuvre plus sereinement !