Artificialisation des sols : l’extension du domaine de la lutte

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Antoine de Lombardon
Avocat à la Cour

Loréna Goudenège
Élève-avocate

Annoncé le 4 juillet 2018 dès la publication du plan biodiversité, comme « un basculement dans l’histoire urbaine du pays »[1], l’objectif de disparition de toute artificialisation nette des sols en 2050 est l’une des grandes ambitions portées par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience.

C’est un combat législatif engagé dès les années 80 contre la propension naturelle de l’urbanisation à l’artificialisation des sols, combat qui prend une nouvelle ampleur avec la loi Climat et résilience, sans pour autant traiter l’ensemble des sujets qu’il soulève.

Quarante ans déjà

La gestion économe des sols est déjà mentionnée au nombre des objectifs de l’action des collectivités en matière d’urbanisme à l’article L. 110 du code de l’urbanisme issu de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983. Cette idée se retrouve aussi dans la loi n°85-30 du 9 janvier 1985 dite Montagne, comme dans la loi n°86-2 du 3 janvier 1986 dite Littorale qui avaient adopté des dispositions propres à limiter la bétonisation de ces territoires particuliers. Après cet amorçage, la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la Solidarité et au renouvellement urbain a assigné aux schémas de cohérence territoriale (SCOT), aux plans locaux d’urbanisme (PLU) et aux cartes communales la tâche d’assurer « une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux », tout en introduisant plusieurs dispositions propres à freiner l’étalement urbain.

L’activité législative sur le sujet s’est renforcée avec l’intervention de la loi 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle II) qui a exigé notamment une analyse de la consommation de l’espace dans les documents d’urbanisme et de planification. La loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) comportait également un chapitre intitulé « lutte contre l’étalement urbain et la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers », incitant notamment à la densification des espaces bâtis. La lutte contre l’artificialisation s’est encore retrouvée parmi les dispositions de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte comme dans la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Cette multiplication des textes fait finalement figure d’aveu d’échecs face à un phénomène perçu comme inéluctable.

Sol glissant

Plusieurs méthodes existent pour apprécier le niveau et le rythme de l’artificialisation.

Selon les services statistiques du ministère de l’Agriculture (enquête TERUTI LUCAS), 60 000 hectares seraient artificialisés chaque année sur la période 1982-2021, avec une proportion de sols artificialisés passant de 5,2 % à 9 %.

Selon un autre mode de calcul basé sur l’exploitation des données des fichiers fonciers et utilisé par le CEREMA, le niveau d’artificialisation des sols sur les dix dernières années se situerait entre 20 000 et 30 000 hectares.

Quant à son rythme, il connaît une baisse continue depuis la période 2009-2011, passant de 32 000 ha en 2011 à 22 000 ha en 2015, soit une diminution de 31 %. Cependant en 2016, comme en 2018, des hausses ont été enregistrées et la situation a stagné en 2019.

Avec la loi Climat et résilience, la lutte contre l’artificialisation des sols prend une nouvelle ampleur grâce à la fixation d’objectif ambitieux, la clarification de certains concepts et la mise en place d’un dispositif contraignant de mise à niveau des documents de planification et d’urbanisme.

Vaste programme

Ce dispositif s’engage par un article programmatique (article 191) prévoyant de diviser par deux la consommation d’espaces entre 2021 et 2031 par rapport à celle entre 2011 et 2021, afin d’atteindre en 2050 une absence de toute artificialisation nette des sols, le tout de manière différenciée et territorialisée. Ainsi en admettant que nous avons consommé entre 2011 et 2021, 25 000ha par an, nous ne devrons en consommer que 12 500 ha par an entre 2021 et 2031.

La réalisation de cette ambition est inscrite dans un jeu d’équilibre entre sept intérêts, réunis sous la même bannière de la lutte contre l’artificialisation des sols : maîtrise de l’étalement urbain, renouvellement urbain, optimisation de la densité des espaces urbanisés, qualité urbaine, préservation et restauration de la biodiversité et de la nature en ville, protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers, renaturation des sols artificialisés.

Avant l’intervention de la loi Climat et résilience, le concept d’artificialisation qui se veut englobant n’avait pas été précisément utilisé ou défini.

Le vivant versus l’inerte

À la faveur des derniers débats devant la Commission mixte paritaire, une définition de l’artificialisation a été donnée par la loi[2]: « L’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. » Mais la désartificialisation ou renaturation est également définie comme consistant en « des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol ».

En renvoyant à la notion d’altération durable, sans autre précision, le texte laisse une part large à l’interprétation. Faudrait-il par exemple considérer qu’un sol agricole épuisé par des pratiques intensives est artificialisé ? Dans d’autres chapitres de la loi Climat et résilience, l’altération durable a été pourtant précisée comme un cas d’application des nouveaux délits de mise en danger de l’environnement ou d’écocide pour lesquels sont considérées comme durables « les atteintes susceptibles de durer au moins sept ans ». L’intérêt de cette définition réside surtout dans la définition du sol qu’elle renferme, basée sur ses fonctionnalités et son potentiel, définition qui manquait jusque-là.

À cette première définition fonctionnelle de l’artificialisation des sols s’ajoute une seconde, structurelle cette fois et qui s’applique lorsqu’il s’agit de décompter au sein des documents d’urbanisme ou de planification les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols assignés.

Selon cette seconde définition, un sol artificialisé est une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites. Un sol non artificialisé est à l’inverse une surface soit naturelle, nue ou recouverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures.

Il ressort finalement de ces deux définitions que le caractère vivant ou inerte d’un sol permettra de distinguer un sol artificialisé d’un sol non artificialisé.

C’est à la lumière de cette seconde définition, dont un décret en Conseil d’État doit fixer les conditions d’application, que le calcul de la réduction du rythme de l’artificialisation devra s’opérer.

Pour cela les documents de planification et d’urbanisme vont être mis à contribution, dans un calendrier restreint.

SRADDET, SCOT, PLU à la manœuvre[3]

Ainsi, la lutte contre l’artificialisation des sols doit être intégrée dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), lesquels doivent désormais prévoir en la matière un objectif de réduction du rythme d’artificialisation par tranche de dix ans, conforme à l’objectif de loi.

Cette modification des SRADDET doit être engagée avant le 26 août 2022 (un an à compter de la promulgation de la loi), avec une entrée en vigueur du document actualisé avant le 26 août 2023.

Une fois ces documents de planification actualisés pour intégrer les exigences de réduction du rythme d’artificialisation des sols, le SCOT et les documents d’urbanisme devront prendre en compte cette actualisation dès leur première révision ou modification.

Dans les SCOT, la lutte contre l’artificialisation des sols doit se retrouver dans le projet d’aménagement stratégique et les objectifs de réduction seront déclinés par secteur géographique dans le document d’orientation et d’objectifs des SCOT. Les SCOT modifiés ou révisés doivent entrer en vigueur avant le 25 août 2026. À défaut, l’ouverture à l’urbanisation des zones des communes où le SCOT n’est pas applicable est suspendue.

Dans les PLU, le projet d’aménagement et de développement durable doit fixer des objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace pour la réalisation des objectifs de réduction d’artificialisation des sols. Les PLU modifiés ou révisés doivent entrer en vigueur avant le 25 août 2027. À défaut, aucune autorisation d’urbanisme ne peut être délivrée, dans une zone à urbaniser du PLU ou dans les secteurs de la carte communale où les constructions sont autorisées, jusqu’à l’entrée en vigueur du PLU ou de la carte communale modifié(e) ou révisé(e).

Pour réaliser ces modifications des SCOT ou des PLU, il est permis d’avoir recours à la procédure de modification simplifiée dispensée d’enquête publique.

Il est donc permis de croire qu’au plus tard en 2027, soit à mi-parcours de l’objectif de réduction par deux du rythme de l’artificialisation, l’ensemble des documents de planification et d’urbanisme seront en phase avec cet objectif.

Mais cet effort ne masque pas les nombres chantiers qui restent ouverts en la matière.

Avant mars 2022, le gouvernement est ainsi appelé à remettre au Parlement un rapport relatif aux modifications nécessaires en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme, de fiscalité du logement et de la construction, de régime juridique de la fiscalité de l’urbanisme, d’outils de maîtrise foncière et d’aménagement, le tout pour concilier absence d’artificialisation nette et objectifs de maîtrise des coûts de la construction, de production de logements et de maîtrise publique du foncier. L’analyse devra également porter sur les mécanismes de compensation.

De nouvelles initiatives législatives seront donc nécessaires pour compléter le dispositif mis en place par la loi Climat et résilience.

[1]E. Legendre, les annonces du conseil de défense écologique concernant le bâtiment et la fabrique de la ville, Le Moniteur, juillet 2020. Disponible : https://www.lemoniteur.fr/article/les-annonces-du-conseil-de-defense-ecologique-concernant-le-batiment-et-la-fabrique-de-la-ville.2099059

[2]Article 192 de la loi du 22 août 2021– Article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme

[3]Article 194de la loi du 22 août 2021