L’élargissement des possibilités de dérogations au PLU par la loi climat 

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Frédéric Balaguer
Avocat à la cour
Massaguer & Simon avocats

L’élargissement des possibilités de dérogations au PLU par la loi climat est-il un renforcement et ou une fragilisation de la démarche planificatrice ? Abondamment commentée à raison de l’objectif phare de zéro artificialisation nette (ZAN) qu’elle a introduit en droit positif, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat », l’a un peu moins été à propos de l’élargissement des possibilités de dérogations qu’elle ouvre aux règles contenues dans les plans locaux d’urbanisme (PLU).

Le législateur confirme ce faisant une tendance et pour ainsi dire une pratique avec laquelle il avait entendu rompre, en dépit du cadre jurisprudentiel établi quelques années plus tôt par le Conseil d’État (CE, 18 juillet 1973, Ville de Limoges, n° 86275), avec la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 portant réforme de l’urbanisme à cause des abus auxquels elle avait pu donner lieu.

Hormis le cas des adaptations mineures, le législateur ne tolérait par suite aucune dérogation aux plans d’occupations des sols (POS) dont il avait dans le même temps facilité l’évolution en introduisant une procédure de modification plus souple et moins formaliste que la procédure de révision seule alors en vigueur.

La digue de l’interdiction s’est néanmoins peu à peu effritée sous les coups de boutoir successifs d’un législateur tout à la fois soucieux de densifier le tissu urbain existant dans une optique de mixité sociale et de limiter les consommations d’énergie conformément aux impératifs fixés par l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme (CU).

Outre le cas des adaptations mineures et des trois dérogations ponctuelles que visent actuellement l’article L. 152-4 du CU, l’ordonnance n° 2013-889 du 3 octobre 2013 relative au développement de la construction de logement a renoué avec l’urbanisme dérogatoire afin de faciliter la production de logements en zones tendues. Elle a pour ce faire habilitél’autorité compétente pour délivrer les permis de construire à déroger aux règles de hauteurs et aux obligations en matière d’aires de stationnement fixées par les PLU dans les conditions prévues par l’article L. 152-6 du CU.

La loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte élargira ce pouvoir dérogatoire afin d’encourager et de renforcer la performance énergétique des constructions selon des modalités aujourd’hui prévues par l’article L. 152-5 du CU.

Ce sont là deux types de dérogations que la loi climat est venu étendre et renforcer afin d’inciter à la densification et aux déplacements doux d’une part, à la limitation de l’effet îlot de chaleur urbain et des consommations d’énergies par le bâti, d’autre part. Si ces dispositions poursuivent d’indéniables objectifs d’intérêts généraux, leur pertinence doit tout de même être interrogée .

Tout d’abord, au rang de la première catégorie de dérogations, trois évolutions ont été introduites par la loi climat qui a modifié l’article L. 152-6 du CU et introduit à sa suite deux nouveaux articles.

En premier lieu, l’article 209 de ladite loi a modifié l’article L. 152-6 du CU afin d’élargir le champ d’application territorial des dérogations introduites par l’ordonnance du 3 octobre 2013. Désormais, ce régime dérogatoire s’applique dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme (GOU) et dans les secteurs couverts par une opération de revitalisation du territoire (ORT), deux dispositifs respectivement codifiés aux articles L. 312-3 du CU et L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation (CCH) par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

Il en a aussi étendu le champ d’application matériel puisque l’autorité compétente pour délivrer un permis de construire peut désormais, par décision motivée et en tenant compte de la nature du projet et de la zone d’implantation, comme il en va aussi pour toutes les autres dérogations, « autoriser une dérogation supplémentaire de 15 % des règles relatives au gabarit pour les constructions contribuant à la qualité du cadre de vie, par la création d’espaces extérieurs en continuité des habitations, assurant un équilibre entre les espaces construits et les espaces libres. Cette dérogation supplémentaire ne peut concourir à excéder 50 % de dépassement au total ».

Le législateur incite ce faisant les constructeurs à concevoir tout à la fois des projets plus denses et donc moins consommateurs en espaces mais aussi plus respectueux du cadre de vie. L’objectif est, autrement dit, de rendre la densité, que l’on sait rejetée par une partie de la population, plus attractive et ainsi plus vivable et acceptable, ce qui n’est pas une mince affaire.

En deuxième lieu, toujours dans l’optique de densifier la ville et, pour reprendre les termes de l’article L. 101-2 3° c) du CU, de diminuer les « obligations de déplacements motorisés et de [développer les] transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile », l’article 117 de la loi climat introduit une dérogation à l’obligation prévue par le PLU de construction d’aires de stationnement pour les automobiles sous condition de réalisation d’aménagements de stationnement vélos.

Ainsi, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut, par décision motivée, réduire l’obligation mise à la charge des constructeurs « à raison d’une aire de stationnement pour véhicule motorisé en contrepartie de la création d’infrastructures ou de l’aménagement d’espaces permettant le stationnement sécurisé d’au moins six vélos par aire de stationnement ».

L’objectif poursuivi par cette dérogation est d’inciter les constructeurs à diminuer le nombre d’aires de stationnement dédiés aux automobiles et, corrélativement, à augmenter celles, moins gourmandes en espace, affectées au stationnement des vélos, lorsque, on l’imagine, le secteur concerné présente une certaine diversité fonctionnelle. La dérogation permet en conséquence de promouvoir les déplacements doux et, corrélativement, de limiter la consommation d’espace conformément au principe d’équilibre visé par l’article L. 101-2 1° du CU.

En troisième lieu, une autre dérogation aux règles de gabarit et aux obligations en matière de stationnement peut être accordée par décision motivée, « dans la limite d’une majoration de 30% de ces règles, lorsque le projet de construction ou de travaux portent sur une friche et vise à en permettre le réemploi ». L’objectif de limitation de la consommation d’espace est ici poursuivi par l’incitation au renouvellement urbain qu’évoque l’article L. 101-2 1° b) du CU. Contrairement aux autres dérogations, celle-ci n’est pas circonscrite aux projets soumis à permis de construire.

Ensuite, le législateur a entendu favoriser, avec ce procédé dérogatoire, la construction durable.

En premier lieu, l’article 202 de la loi climat a introduit un article L. 152-5-1 du CU qui autorise l’autorité compétente non seulement « pour délivrer les permis de construire », mais encore pour « prendre la décision sur une déclaration préalable », à déroger, « dans des limites fixées par un décret en Conseil d’Etat » qui n’a toujours pas été adopté, « aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives à la hauteur et à l’aspect extérieur des constructions afin d’autoriser l’installation de dispositifs de végétalisation des façades et des toitures en zones urbaines et à urbaniser ».

Cette disposition se singularise dans son champ d’application d’un double point de vue.

Premièrement, le pouvoir de dérogation peut également bénéficier aux décisions prises sur une déclaration préalable de sorte que les pétitionnaires désirant simplement végétaliser la toiture ou la façade de leur construction sans travaux supplémentaires pourront en bénéficier.

Deuxièmement, contrairement aux autres dispositions, la dérogation pourra être accordée dans les zones urbaines et à urbaniser. Le champ d’application territorial est ainsi plus précis et moins sujet à discussion que lorsque l’autorité compétente doit tenir compte de « la zone d’implantation » du projet pour accorder la dérogation. Il semble toutefois dommageable qu’une telle dérogation ne puisse pas bénéficier aux constructions situées en zone agricole et naturelle.

En second lieu, renouant avec le critère tiré de la nature du projet et de la zone d’implantation pour en déterminer le champ d’application territorial, l’article 210 de la loi climat habilite l’autorité compétente pour délivrer le PC et, là encore, la DP, à « autoriser les constructions faisant preuve d’exemplarité environnementale à déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives à la hauteur, afin d’éviter d’introduire une limitation du nombre d’étages par rapport à un autre type de construction ». L’article L. 152-5-2 du CU dans lequel cette disposition est codifiée ajoute de manière salutaire, tant « l’exemplarité environnementale » dont il est question est sujette à interprétation, qu’« un décret en Conseil d’État définit les exigences auxquelles doit satisfaire une telle construction ». Bien qu’aucun renvoi ne soit effectué vers l’article R. 171-3 du CCH, espérons que le pouvoir réglementaire reprendra peu ou prou les critères que fixent ce dernier. Ainsi, les bâtiments particulièrement vertueux sur le plan environnemental pourront être surélevés de sorte que la dérogation fait ici aller de pair sobriété énergétique et densité.

Enfin, et en dépit de l’intérêt que peuvent présenter ces nouvelles possibilités de dérogations au PLU pour concrétiser les objectifs assignés au droit de l’urbanisme par l’article L. 101-2, leur pertinence mérite, à plusieurs égards, d’être questionnée.

En premier lieu, c’est la sécurité juridique du dispositif qui peut être interrogée, compte tenu du pouvoir d’interprétation qu’il ménage à l’autorité compétente. En particulier, plusieurs dispositions contiennent des règles qualitatives qui fixent des objectifs à atteindre. Si ce type de règle est effectivement plus ductile et de la sorte plus adaptable et moins contraignante pour les porteurs de projets que les règles quantitatives, elles sont malgré tout, elles aussi, à cause de la marge d’appréciation qu’elles ouvrent, porteuses d’insécurité juridique.

Premièrement, hormis pour la dérogation prévue par l’article L. 152-5-1, mais c’était aussi le cas de celle codifiée à l’article L. 152-5, l’autorité compétente pourra déroger aux règles dont s’agit « en tenant compte de la nature du projet et de la zone d’implantation », ce qui ouvre un innombrable champ de possible et la voie à d’interminables discussions contentieuses.

Deuxièmement, l’autorité compétente peut, depuis l’ordonnance de 2013, déroger aux règles de gabarit et de hauteur « sous réserve que le projet s’intègre harmonieusement dans le milieu environnement » (art. L. 152-6 1°), mais encore, depuis la loi climat, déroger à hauteur de 15% supplémentaires aux « règles relatives au gabarit pour les constructions contribuant à la qualité du cadre de vie » (art. L. 152-6 6°), deux impératifs qui pourront à l’évidence recevoir des lectures divergentes. Bien heureusement, tant la notion « d’exemplarité environnementale » (art. L. 152-5-2) est sujette à interprétation, le législateur a habilité le pouvoir réglementaire à en définir les contours, ce qu’il fera, on l’espère, avec célérité, en reprenant la définition fixée à l’article R. 171-3 du CCH précité pour éviter de multiplier les standards.

Troisièmement, le pouvoir d’interprétation est d’autant plus important que la mise en œuvre de la dérogation dépend du bon vouloir de l’autorité compétente. Un pétitionnaire peut ainsi être amené à calibrer un projet en misant sur le fait qu’il bénéficiera d’une dérogation qui peut tout à fait, par suite, lui être refusée de façon discrétionnaire par l’autorité administrative.

En second lieu, c’est le principe même de la planification urbaine qui peut être interrogé par le développement et l’élargissement de ce procédé dérogatoire. Alors que les servitudes qu’il contient ont au préalable été discutées par l’autorité en charge de son élaboration avec les personnes publique associées et le public, puis examinées par le préfet dans le cadre du contrôle légalité, cela suggère en creux que les PLU peuvent potentiellement s’opposer à la mise en œuvre des objectifs qu’ils sont censés poursuivre. Déroger à la règle au stade de son application revient à avouer que celle-ci était mal calibrée ce qui peut jeter le discrédit sur la démarche planificatrice dont le coût pour les finances publiques n’est de surcroît pas anodin. Aussi, bien que les dérogations soient également encadrées par des motifs d’intérêts généraux, leur usage (ou leur non-usage) peut engendrer une rupture d’égalité devant la loi et alimenter la défiance envers l’autorité administrative, qui n’a pas besoin de cela en ces temps de pandémie.