La loi 3DS : des correctifs apportés dans le domaine de l’urbanisme

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Malicia Donniou
Avocate
Ginkgo Avocats

Initialement intitulée loi 3D , puis loi 4D pour finalement devenir la loi 3DS – la décomplexification abandonnée au profit de la simplification – le projet de loi Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification a été publié le 22 février 2022.

Cette loi résulte des propositions formulées lors du grand débat national lancé en janvier 2019 par le Président de la République à la suite de la crise des gilets jaunes. L’exposé des motifs de la loi 3DS indique que l’ambition du texte est de répondre aux besoins de proximité et d’efficacité exprimés par les élus et les citoyens. Ce projet de loi est ainsi présenté comme une nouvelle étape de la décentralisation « permettant aux territoire d’être plus dynamiques, plus agiles face aux principaux défis auxquels ces territoires font face : la transition écologique, le logement, les transports, la santé et la solidarité ».

Pour autant, le Gouvernement affiche une volonté de stabilité « en vue de ne pas rompre avec les grands équilibres institutionnels ». Ce dernier parti pris visant à limiter les impacts de la réforme est particulièrement visible s’agissant des dispositions relatives à l’urbanisme. En effet, si la loi 3DS comprend de nombreux articles dans ce domaine, elle a principalement pour objet de pérenniser certains dispositifs et d’apporter des correctifs par rapport à ceux existants.

Des adaptations relatives aux documents d’urbanisme peu significatives

La loi 3DS apporte des correctifs aux dispositions de la loi Climat et résilience ayant pourtant été très récemment publiée (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets).

Pour rappel, la loi Climat fixe un objectif d’absence d’artificialisation nette des sols, objectif dit de « zéro artificialisation nette » ou  ZAN, à l’horizon 2050. Pour y parvenir, la loi fixe un premier objectif intermédiaire à savoir la division par deux du rythme de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années (2022-2031). Cet objectif sera traduit dans les documents d’urbanisme de planification régionale (SRADDET, SDRIF, SAR et PADDUC) dans un premier temps, puis dans les documents de planification locale (SCOT, PLU, cartes communales) dans un second temps, selon la méthode des « bilans de consommation effective d’espace ». La stratégie visant à la réduction de la consommation d’espaces est donc organisée à l’échelle régionale, mais doit aussi être adaptée à la spécificité de chaque territoire, selon les modalités prévues par le décret actuellement en consultation (décret relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires).

Cette territorialisation des besoins consistant à répartir l’objectif régional entre les différents bassins de vie a également justifié la création d’une Conférence des SCOT composée de tous les présidents des établissements publics en charge du SCOT et de deux représentants des communes et intercommunalités compétentes en matière de documents d’urbanisme et non couvertes par un SCOT. Lors de l’élaboration des documents de planification régionaux, en complément de le concertation organisée associant l’ensemble des parties prenantes, la Conférence des SCOT peut formuler une proposition au Conseil régional sur l’intégration des objectifs ZAN. La circulaire intitulée « mise en œuvre opérationnelle de la loi  Climat et résilience  en matière de lutte contre l’artificialisation des sols » en date du 7 janvier 2022 indique que « ces deux canaux assurent la remontée des besoins de terrain et le dialogue entre les différents niveaux de collectivité ». Le délai pour réunir et faire aboutir la proposition de la Conférence des SCOT était prévu initialement au 22 février 2022 dans le cadre de la loi Climat. L’article 114 de la loi 3DS issu d’un amendement déposé par le Gouvernement prévoit que le délai maximal pour faire aboutir la proposition de la Conférence des SCOT est allongé jusqu’au 22 octobre 2022. Le SRADDET ne pourra, par ailleurs, pas être arrêté avant la transmission de la proposition par la Conférence des SCOT susvisée ou, à défaut, avant l’expiration d’un délai de 14 mois à compter de la promulgation de la loi Climat (au lieu des 8 mois initialement prévus). Enfin, le délai de deux ans laissé aux régions pour assurer l’intégration des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols est repoussé de 6 mois, soit jusqu’au 22 février 2024.

Toujours en lien avec la loi Climat, la loi 3DS prévoit désormais la possibilité de sécuriser les études de consommation des espaces des projets de plans locaux d’urbanisme arrêtés. Dans le cadre de l’élaboration ou de la révision de leurs documents d’urbanisme, les collectivités compétentes doivent en effet réaliser des études relatives à la consommation d’espaces. Le rapport de présentation s’appuie sur un diagnostic ayant notamment pour objet l’analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), l’exposé des dispositions qui favorisent la densification de ces espaces, ainsi que la limitation de la consommation des espaces naturels, agricoles ou forestiers et la justification des objectifs chiffrés de modération de la consommation d’espace et de lutte contre l’étalement urbain.

Par ailleurs, à la suite de la modification apportée par la loi Climat, le PADD définit, sur le fondement du diagnostic territorial, les objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, pour la réalisation des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols. La réalisation du diagnostic doit être conforme aux dispositions de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme et encourt l’annulation en cas de non-respect de ces dispositions. Le PLUi-H de Toulouse a été récemment annulé en raison du fait que l’analyse de la consommation des espaces naturels et agricoles et la justification des objectifs de modération de cette consommation présentaient des insuffisances substantielles au regard des exigences fixées par le code de l’urbanisme (Tribunal administratif de Toulouse, 20 mai 2021, n°1902329 et autres – confirmé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, 15 février 2022, n°21BX02287).

Pour éviter qu’une telle situation se reproduise à nouveau, un dispositif permettant au préfet de sécuriser ces études a été créé. L’article 113 de la loi 3DS prévoit ainsi la possibilité, pour le préfet, de prendre formellement position sur la sincérité de l’analyse de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers réalisée au titre du diagnostic du rapport de présentation et sur la cohérence avec le diagnostic des objectifs chiffrés de modération et de consommation de l’espace de lutte contre l’étalement urbain contenus dans le PADD en créant un nouvel article L. 153-16-1 du code de l’urbanisme. Il s’agira d’un avis simple, formulé dans les conditions prévues à l’article L. 153-16. Le législateur précise toutefois qu’ « une sécurisation à ce stade amont du projet de PLUi pourra rendre plus difficile une censure en aval ». Cette nouvelle disposition s’inscrit dans la lignée de la circulaire du 7 janvier 2022 portant sur la « mise en œuvre opérationnelle de la loi Climat et résilience en matière de lutte contre l’artificialisation des sols » qui a pour objet de préciser le rôle dévolu aux préfets pour faire connaître les objectifs de la loi Climat et résilience et les enjeux de sobriété foncière aux élus locaux.

Une dernière modification aux documents d’urbanisme est enfin apportée sans lien direct avec la loi Climat. L’article 35 de la loi 3DS instaure en effet un nouvel article 151-42-1 au code de l’urbanisme permettant au règlement du PLU de soumettre à certaines conditions l’implantation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent (éoliennes), dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ; ou qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant.

Selon le rapporteur du projet de loi 3DS à l’Assemblée Nationale, il s’agit de revenir peu ou prou à un système de zonages qui prévoit la régulation de l’installation d’éoliennes à certains endroits en fonction de critères objectifs. Pour rappel, il existait jusqu’en 2013 des « zones de développement de l’éolien » qui permettaient aux collectivités de définir les secteurs où les éoliennes pouvaient être acceptées et celles où elles étaient interdites. La loi 3DS ne précise pas la nature des conditions susceptibles d’être posées, et aucun décret d’application n’est prévu pour éclairer ce point. Il n’est toutefois pas exclu que les conditions qui seront posées aboutissent à l’impossibilité de les implanter dans certains secteurs. Dans ce contexte, il ne peut être considéré qu’il s’agisse d’une véritable nouveauté, mais plutôt de la remise en vigueur d’un ancien dispositif.

Des corrections apportées au régime des opérations de revitalisation de territoire pour favoriser leur mise en œuvre

Créées par la loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), les opérations de revitalisation de territoire (ORT) ont pour objet de « lutter contre toutes les formes de fractures territoriales qu’elles touchent les quartiers politiques de la ville, les territoires ruraux, les petites viles et les villes moyennes ». Sans apporter de grands changements à cet outil, la loi 3DS apporte quelques adaptations dont l’objectif est d’en favoriser la mise en œuvre.

L’article 95 de la loi 3DS crée un nouvel article L. 303-3 au code de la construction et de l’habitation dérogeant à l’article L. 303-2 du même code, lequel impose la présence du centre-ville de la ville principale du territoire de l’établissement public de coopération intercommunale signataire dans le périmètre d’une ORT. Deux conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’il soit dérogé à la présence du centre-ville de la ville principale du territoire de l’ECPI signataire : une situation de discontinuité territoriale ou d’éloignement avec la ville principale doit être présentée et une ou des villes justifiant des caractéristiques de centralité   ̶  notion appréciée au regard de la diversité des fonctions urbaines exercées en matière d’équipements et de services vis-à-vis des communes alentours   ̶ doit(vent) être identifiée(s). Cette dérogation est accordée par le préfet.

L’article 96 de la loi 3DS étend par ailleurs le périmètre des ORT en intégrant les parties déjà urbanisées de toutes les communes membres de l’EPCI signataire de la convention. Cette retouche vise à favoriser le recyclage des entrées de villes et des zones pavillonnaires en permettant aux collectivités d’inclure, au sein de l’opération, tous les secteurs à revitaliser. Il convient de souligner que le dispositif antérieur intégrait, pour quelques cas précis, des secteurs périphériques au centre-ville. La circulaire du 4 février 2019 relative à l’accompagnement par l’État des projets d’aménagement des territoires, indique qu’« en plus des centres-villes, un ou plusieurs autres secteurs d’interventions peuvent le cas échéant être identifiés selon le projet associé à la stratégie territoriale : ce sont des secteurs sur lesquels il importe d’intervenir pour garantir le succès de la (re)dynamisation du cœur de l’agglomération. Ils peuvent être soit détachés soit contiguës du centre-ville et peuvent par exemples viser : le renforcement de polarités secondaires fonctionnant avec le centre-ville (pôles gares, zones portuaires, polarités administratives ». La loi 3DS codifie ainsi le régime antérieur et permet d’élargir la possibilité d’introduire des parties urbanisées situées en dehors des centres-villes dans le périmètre d’une ORT.

Le même article 96 de la loi 3DS étend la possibilité de déroger au document d’urbanisme applicable dans les zones urbaines situées dans le périmètre d’intervention d’une ORT afin de « contribuer à la revitalisation du territoire, de faciliter le recyclage et la transformation des zones déjà urbanisées ou de lutter contre la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers » en créant un nouvel article L. 152-6-4 au code de l’urbanisme. Pour rappel, la loi Climat et résilience avait intégré les secteurs d’intervention des ORT dans le champ d’application de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme définissant les cas qui permettent de déroger aux règles du PLU afin de favoriser la réalisation de logements, disposition que la loi 3DS a supprimé. Sur le fondement de l’article L. 152-6-4 du code de l’urbanisme introduit par la loi 3DS, l’autorité compétente peut désormais autoriser des dérogations au plan local d’urbanisme en tenant compte de la nature du projet, de la zone d’implantation, de son intégration harmonieuse dans le tissu urbain existant, de la contribution à la revitalisation de la zone concernée et à la lutte contre la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers et dans le respect des objectifs de mixité sociale.

L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire pourra ainsi, par décision motivée, déroger aux règles de retrait fixant une distance minimale par rapport aux limites séparatives ; déroger aux règles relatives au gabarit et à la densité, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit et de la densité prévus dans le document d’urbanisme ; déroger aux obligations en matière de stationnement, en tenant compte de la qualité et des modes de desserte, de la densité urbaine ou des besoins propres du projet au regard des capacités de stationnement existantes à proximité ; autoriser une destination non autorisée par le document d’urbanisme, dès lors qu’elle contribue à la diversification des fonctions urbaines du secteur concerné ; autoriser une dérogation supplémentaire de 15 % des règles relatives au gabarit pour les constructions contribuant à la qualité du cadre de vie, par la création d’espaces extérieurs en continuité des habitations, assurant un équilibre entre les espaces construits et les espaces libres.

Par ailleurs, pour rappel, en matière d’autorisation d’exploitation commerciale (AEC), la loi ELAN avait créé à l’article L. 752-1-2 du code de commerce, la possibilité pour les préfets de suspendre l’enregistrement et l’examen par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) des AEC portant sur des projets situés sur le territoire d’une commune signataire d’une convention ORT, mais en dehors des secteurs d’intervention de cette opération. La loi 3DS étend ce « moratoire préfectoral » aux demandes d’AEC situées à l’intérieur du périmètre d’intervention d’une ORT, en dehors des centres-villes. Le fait que le projet soit situé au sein du secteur d’intervention d’une ORT ne constitue donc plus une garantie contre une mesure de suspension, comme c’était le cas dans le cadre de la loi ELAN.

Enfin, dans l’objectif de permettre la réalisation d’une ORT sur un foncier pouvant être morcelé ou discontinu, la loi ELAN avait introduit pour une durée de 5 ans, la possibilité de délivrer un permis d’aménager un lotissement sur des unités foncières non contigües à titre expérimental. Ces « permis d’aménager multisites » sont désormais codifiés à l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation (art. 112 de la loi 3DS). N’est toutefois conservée que l’une des conditions présente dans le dispositif expérimental à savoir que l’opération d’aménagement garantisse l’unité architecturale et paysagère des sites concernés. Le respect des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) du PLU n’est plus mentionné dans les conditions, mais demeure obligatoire.

La nouveauté introduite par la loi 3DS est que le permis d’aménager multisites peut désormais bénéficier aux opérations d’aménagement prévues par un contrat partenarial d’aménagement (PPA) (art. 112 de la loi 3DS – nouvel art. L. 312-2-1 du code de l’urbanisme).

En codifiant des dispositifs déjà existants ou en remettant en vigueur des dispositifs ayant déjà existés, et en apportant correctifs, aménagements et adaptations, la loi 3DS n’apporte pas de nouveautés majeures en droit de l’urbanisme. Au travers des modifications apportées aux documents d’urbanisme et aux ORT, la loi 3DS s’inscrit dans l’objectif d’encourager la réhabilitation de l’existant, la reconquête des centres-villes et plus globalement les projets d’aménagement. C’est dans ce même objectif que le droit de préemption dévolu à la collectivité territoriale cocontractante dans le cadre d’une Grande opération d’urbanisme (GOU) peut désormais être délégué à un établissement public y ayant vocation (aménageur – EPA ou EPF) ou au concessionnaire d’une opération d’aménagement et que les cessions à la Société du Grand Paris de biens nécessaires à la réalisation et à l’exploitation des projets d’infrastructures déclarés d’utilité publique sont exclues du droit de préemption urbain et en zone d’aménagement différée, et du droit de priorité (art. 49 de la loi 3DS).