Sites et sols pollués : la nouvelle procédure de cessation d’activité des installations classées pour la protection de l’environnement

ELAN

Carole Lvovschi-Blanc
Avocate Associée
Ginkgo Avocats

La nouvelle procédure de cessation d’activité des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) entrée en vigueur depuis le 1er juin 2022 

Le décret n°2021-1096 du 19 août 2021, pris pour l’application de l’article 57 de la loi Asap du 7 décembre 2020, introduit d’intéressantes et importantes évolutions à la procédure de cessation d’activité des ICPE. On constate que la procédure se formalise, ce qui devrait contribuer à la sécurité juridique des opérations immobilières lorsqu’elles impliquent une cessation d’activité – et elles sont nombreuses : fonciers industriels en reconversion, réhabilitation d’immeubles accueillant d’anciens garages automobiles ou des stations-services en pied d’immeuble, reconfiguration d’entrepôts de stockage impliquant la sortie de la nomenclature ICPE… Le décret du 19 août 2021 ne manque pas de régler certaines difficultés rencontrées par les opérateurs, bien qu’il suscite de nouvelles interrogations.

La procédure gagne en lisibilité pour ses principaux acteurs, et à titre principal, pour l’exploitant ICPE. Par la même occasion, la nouvelle approche portée par ce texte apporte une certaine sécurité juridique aux opérations immobilières.

Le décret organise les opérations de gestion des sites et sols pollués en quatre étapes clairement identifiées et objectivées. La « cessation d’activité » proprement dite était jusqu’alors la seule porte d’entrée – qui plus est, mal définie. Dorénavant, le processus comporte (1) la mise à l’arrêt définitif, (2) la mise en sécurité, (3) le cas échéant, la détermination de l’usage futur, et (4) la réhabilitation (ou remise en état, les deux termes étant assimilés par les auteurs du décret).

En apportant un socle de définitions aux termes de « mise à l’arrêt définitif », « mise en sécurité » et « réhabilitation ou remise en état », le décret donne une substance à chacune de ces opérations (art. R. 512-75-1 du C.Env.).

(1) Ainsi, le point de départ nommément désigné est la mise à l’arrêt définitif, qui consiste « à arrêter totalement ou à réduire dans une mesure telle qu’elles ne relèvent plus de la nomenclature définie à l’article R. 511-9 toutes les activités classées d’une ou plusieurs installations classées d’un même site ». Peu importe donc, qu’un exploitant n’ait pas adressé à l’administration sa notification de cessation d’activité : s’il a matériellement arrêté les activités qui justifiaient le classement, l’administration considérera qu’il y a eu mise à l’arrêt définitif et l’exploitant pourra être immédiatement identifié comme débiteur des obligations administratives découlant du régime des ICPE.

Le décret prend soin de préciser que la mise à l’arrêt définitif de l’ICPE vaut indépendamment de la poursuite d’autres activités sur le site et de la libération des terrains – ce qui acte formellement la pratique de la cessation partielle d’activité. Dans cette logique, le décret crée une procédure de report de réhabilitation sur demande de l’exploitant, donnant lieu à arrêté préfectoral après transmission, trois mois avant la mise à l’arrêt définitif de l’ICPE, d’un calendrier prévisionnel et des justifications à la demande de report.

(2) La mise en sécurité du site est désormais pensée comme une étape à part entière du processus, en particulier pour les ICPE déclarées. Le décret introduit une liste non exhaustive des mesures de mise en sécurité, globalement issues de la pratique, auxquelles s’ajoutent le calibrage de la surveillance des effets de l’installation sur son environnement par un diagnostic d’identification des enjeux, et l’introduction de mesures de gestion temporaires ou de restrictions d’usage temporaires. Notons que les terrains voisins de l’ICPE arrêtée peuvent être concernés.

C’est ici que l’intervention des bureaux d’études certifiés en matière de sites et sols pollués (ou disposant de compétences équivalentes) annoncée par la loi ASAP se précise, puisque pour les ICPE enregistrées et autorisées et pour certaines ICPE déclarées, les exploitants doivent faire attester par ces derniers de la bonne mise en œuvre de ces mesures.

L’attestation est transmise à l’inspection des installations classée, ce qui la décharge d’une mission de contrôle qu’elle n’est pas toujours, en pratique, en mesure de réaliser et lui permet de focaliser sur les installations présentant les plus de dangers pour l’environnement. Les professionnels du secteur n’ont pas manqué de souligner qu’un tel déplacement de la charge du contrôle des mesures prises par l’exploitant risquait de faire peser sur les bureaux d’études un risque accru de mise en cause de leur responsabilité – risque tempéré toutefois par un encadrement réglementaire précis de la mission de ces acteurs.

(3) S’agissant de la détermination de l’usage, un projet de décret relatif à la définition des types d’usages, soumis au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 17 mai dernier, doit être prochainement approuvé. L’objectif est d’offrir une typologie réglementaire des usages pour guider l’application de la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, dont le Ministère en charge de la Transition écologique rappelle qu’elle s’articule autour de la gestion du risque selon l’usage.

(4) S’agissant enfin de la réhabilitation, qui consiste à « placer le ou les terrains d’assiette d’une ou plusieurs installations classées pour la protection de l’environnement dans un état permettant un usage futur du site déterminé, dans le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et, le cas échéant, de l’article L. 211-1 », le décret a principalement précisé le contenu du mémoire de réhabilitation et répliqué la pratique de l’attestation délivrée par un bureau d’études, qui porte cette fois sur l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site avec l’usage futur retenu d’une part, et sur leur bonne mise en œuvre d’autre part.

Cette attestation sera transmise au Préfet, au maire ou président de l’EPCI ainsi qu’aux propriétaires des terrains, mais aussi à l’ARS en cas de pollution du sol ou des eaux et si une exposition des populations ne peut être exclue.

À noter que le décret prévoit un intéressant dispositif, qu’on pourrait qualifier de pragmatique, permettant à l’exploitant de solliciter du Préfet un assouplissement des mesures de remise en état lorsqu’il rencontre une impossibilité technique de mise en œuvre des mesures annoncées, engendrant des surcoûts manifestement excessifs. L’hypothèse de la mise en œuvre de cette possibilité par le dernier exploitant d’un site cédé pourra, le cas échéant, conduire les acquéreurs à anticiper les clauses idoines en cas de remise en état de moindre ampleur qu’initialement prévue.

Dans ce contexte, il convient de souligner que le décret formalise la fin de la procédure de cessation d’activité pour les ICPE autorisées et enregistrées, celle-ci étant « réputée achevée » à l’issue d’un délai de deux mois après la transmission de la dernière attestation, dès lors que le Préfet n’aura émis ni opposition ni demande complémentaire.

Autrement dit, à l’occasion des opérations de cession foncière, la question de la preuve de la bonne fin du processus orchestrée par le dernier exploitant ne se posera plus dans les mêmes termes : si l’attestation a bien été transmise et que le Préfet n’a pas contesté la qualité des mesures envisagées, les opérateurs peuvent être rassurés quant au « déclassement administratif » du terrain (sans préjudice naturellement, du maintien trentenaire de la responsabilité du dernier exploitant).

Il semble toutefois que cette formalisation ne vaudra pas pour les ICPE seulement déclarées, pour lesquelles l’étape qui retiendra désormais toute l’attention de l’administration reste celle de la mise en sécurité.