Alexandre LO CASTO PORTE
Avocat
LexCase Société d’avocats
La Loi climat et résilience adoptée le 22 août 2021 est venu décliner de nombreuses mesures autour d’un objectif ambitieux visant à réduire de moitié le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix prochaines années, en vue d’atteindre, d’ici 2050, un objectif de zéro artificialisation des sols « nette ».
Parmi les nouvelles dispositions, la refonte de l’article L. 752-6 du code de commerce instaurant une interdiction de principe de créer de nouvelles surfaces commerciales sur des parcelles non artificialisées a fait couler beaucoup d’encre. Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi, le décret d’application de ces dispositions vient de paraître le 14 octobre 2022 au Journal officiel, et permet d’y voir plus clair sur les conditions permettant de déroger à cette interdiction.
L’interdiction de principe des nouvelles surfaces commerciales
Pour mémoire, la Loi climat et résilience a modifié l’article L. 752-6 du code de commerce pour prévoir un principe général aux termes duquel les autorisations d’exploitation commerciale ne peuvent plus être délivrées « pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols ».
Cette notion d’artificialisation s’est dotée pour l’occasion d’une définition juridique large et dépourvue d’ambiguïtés, aux termes de la laquelle un sol peut être regardé comme artificialisé en cas d’« altération durable » de tout ou partie de « ses fonctions écologiques (…) en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage» (art. L. 101-2-1 du code de l’urbanisme).
L’artificialisation des sols étant « inhérente à l’acte de construire » comme l’a relevé le Conseil d’Etat dans le cadre de l’examen du projet de loi, le nouveau texte revient ainsi à instaurer une interdiction de principe de créer de nouvelles surfaces commerciales sur des parcelles vierges (cf. CE, avis du 4 février 2021, point 60).
Ces dispositions avaient ainsi donné lieu à des critiques liées au « deux poids, deux mesures » qu’elles instaurent entre les surfaces commerciales, et les surfaces de stockage du secteur logistique et du commerce électronique, qui ne sont pas soumises à la réglementation applicable à l’aménagement commercial, mais à celles des Installations Classées Pour la Protection de l’Environnement, et ne sont donc pas concernées par l’interdiction, alors qu’elles ont une incidence certaine en termes d’artificialisation (à titre d’exemple, entrepôt d’Amazon à Amiens : 170 000 m2).
Des possibilités de dérogations encadrées par le texte
Les nouvelles dispositions de l’article L. 752-6 du commerce prévoient toutefois des possibilités de dérogations restreintes, applicables dans les trois hypothèses suivantes :
- Hypothèse 1 : création d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial sur une surface de vente inférieure à 10 000 mètres carrés ;
- Hypothèse 2 : extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial existant, dès lors que la surface de vente totale reste inférieure à 10 000 mètres carrés ;
- Hypothèse 3 : extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 10 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d’une seule extension inférieure à 1 000 mètres carrés.
Dans ces trois cas de figure, il reste possible d’être autorisé à procéder à une extension via une artificialisation du sol, à condition pour le pétitionnaire de démontrer, dans le cadre de l’analyse d’impact jointe à sa demande d’autorisation, que le projet remplit les critères suivants :
- Critère n°1 : le projet s’insère au sein d’un secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la ville ;
- Critère n°2 : Le projet s’inscrit dans le cadre d’une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé, afin de favoriser, notamment, la mixité fonctionnelle du secteur concerné ;
- Critère n°3 : Le projet prévoit de compenser l’artificialisation envisagée par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé ;
- Critère n°4 : Le projet s’insérait, avant l’entrée en vigueur de la loi climat et résilience, au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés au SCoT, ou au sein d’une zone d’activité commerciale identifiée au PLU.
Étant précisé que, pour les projets d’une surface de vente supérieure à 3 000 m2 et inférieure à 10 000 m2, la dérogation ne peut être accordée qu’après avis conforme du représentant de l’État.
Des possibilités de dérogations précisées par décret
Dans ce cadre, le décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 publié le 14 octobre dernier au Journal officiel vient préciser les modalités d’obtention d’une dérogation à l’interdiction de nouvelles artificialisations.
En premier lieu, le décret précise que le régime de l’article L. 752-6 s’applique à tout projet d’équipement commercial entraînant une artificialisation des sols au sens de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme par rapport à l’état des parcelles à la date du 23 août 2021 (date d’entrée en vigueur de la loi). Cette précision est étonnante dès lors que les dispositions du décret ne s’appliquent que pour les demandes déposées à compter du 15 octobre 2022.
Le texte crée ainsi une interrogation sur le régime applicable en cas de nouvelle demande aux artificialisations opérées entre le 23 août 2021 et le 15 octobre 2022.
En deuxième lieu, le décret explicite le contenu de l’analyse d’impact que devra produire le pétitionnaire souhaitant obtenir une dérogation, qui devra :
1. Justifier de :
- l’insertion du projet dans l’urbanisation environnante en termes notamment de mixité fonctionnelle,
- la conformité du projet avec les règles d’urbanisme en vigueur ;
- l’absence d’alternative à la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers.
Le pétitionnaire devra, à ce titre, produire un plan ou une carte du projet pour appuyer ses explications.
2. Décrire la contribution du projet aux besoins du territoire, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique de ce dernier, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise.
3. De manière alternative :
- justifier de l’insertion du projet dans un secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (via une carte ou un plan du projet dans son environnement) ;
OU
- justifier de l’insertion du projet dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé (via une carte ou un plan du projet dans son environnement) ;
OU
- justifier que les mesures présentées permettent de compenser toutes les atteintes résultant du projet en transformant un sol artificialisé en sol non artificialisé « afin de restaurer de manière équivalente ou d’améliorer les fonctions écologiques et agronomiques altérées par le projet » ;
Sur ce point, le décret confirme que la CDAC disposera d’une marge de manœuvre importante pour apprécier l’équivalence « en terme qualitatif et quantitatifs ». Le texte précise également que les mesures de compensation devront prioritairement être mises en œuvre à proximité immédiate du projet et dans les zones de renaturation préférentielle inscrites au PLU ;
OU
- justifier de l’insertion du projet, avant l’entrée en vigueur de la loi climat et résilience, au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés au SCoT, ou au sein d’une zone d’activité commerciale identifiée au PLU.
En troisième lieu, le décret organise la procédure d’avis conforme du préfet applicable aux projets présentant une surface supérieure à 3 000 mètres carrés et inférieure à 10 000 mètres carrés. En pratique, le dossier sera transmis au préfet par le secrétariat de la CDAC dès son enregistrement. Si le préfet n’a pas communiqué son avis cinq jours au moins avant la réunion de la CDAC, l’avis sera réputé défavorable.
En définitive, le décret d’application confirme largement que l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de nouvelle artificialisation sera très encadrée et laissera une grande marge de manœuvre à la CDAC pour instruire les demandes et apprécier les compensations proposées par les pétitionnaires.