Elsa Sacksick
Avocate associée
Adden avocats
Spécialiste en droit public
En cette fin d’année 2022, l’actualité réglementaire du droit de l’urbanisme provient de trois sources différentes : le décret d’application de la loi Climat et Résilience relatif aux modalités d’octroi de l’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols (1), le projet de décret modifiant les destinations et sous-destinations (2) et enfin la révision du plan local d’urbanisme de la ville de Paris, la concertation sur le futur PLU Bioclimatique s’étant achevée le 4 novembre 2022 et l’arrêt du PLU étant prévue pour mars 2023 (3).
L’urbanisme commercial et l’interdiction d’artificialisation des sols
Conformément aux dispositions de l’article 215 de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivré pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols. Le même article prévoit des dérogations au principe général d’interdiction d’artificialisation.
Le décret n°2022-1312 du 13 octobre 2022 précise les modalités d’application des dérogations et définit les projets commerciaux considérés comme engendrant une artificialisation des sols, au sens de cette législation.
Ces nouvelles dispositions s’appliquent à toutes les demandes de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PCvAEC) (ou toutes les AEC autonomes) déposées à compter du 15 octobre 2022.
Tout d’abord, la qualification d’artificialisation au sens de l’urbanisme commercial n’est pas la même que celle retenue par la nomenclature pour le suivi et l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) dans les documents de planification et d’urbanisme issue du décret 2022-762 du 29 avril 2022. Un projet commercial engendre une artificialisation des sols si sa réalisation engendre, par rapport à l’état de ces mêmes parcelles au 23 août 2021, une augmentation des superficies des terrains qui subissent une l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. Ainsi, c’est l’artificialisation nette parcellaire qui est pris en compte. Autrement dit, un projet soumis à autorisation d’exploitation commerciale qui imperméabilise 100 m² d’emprise au sol sur une partie du terrain d’assiette du permis, mais renature 100 m² sur une autre partie dudit terrain d’assiette, n’entre pas dans le champ d’application de l’interdiction d’artificialisation des sols. Autrement dit encore, une compensation nette sur le terrain du projet permet d’échapper au régime d’interdiction et de dérogations prévu par l’article 215 de la loi Climat.
En revanche, si un projet commercial engendre une artificialisation nette des sols alors il est par principe interdit, sauf à ce qu’il remplisse les critères prévues au V de l’article L. 752-6 du code de commerce. Afin que les commissions d’aménagement commercial puissent le vérifier, le décret commenté prévoit des pièces supplémentaires à joindre au dossier de demande d’AEC et lorsqu’il s’agit d’un PCvAEC à la PC43.
Ainsi, en application du nouvel article R. 752-6 du code de commerce, toutes les analyses d’impact doivent présenter les effets du projet en matière d’artificialisation des sols et les projets engendrant une artificialisation des sols doivent y ajouter : la justification de l’insertion du projet dans l’urbanisation environnante et de l’absence d’alternative à la consommation d’espace naturel, agricole ou forestier ; une description de la contribution du projet aux besoins du territoire et de manière alternative, selon le motif de dérogation choisi :
– soit la justification de l’insertion du projet dans un secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire (ORT) ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ;
– soit la justification de l’insertion du projet dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé ;
– soit la justification que les mesures présentées permettent de compenser les atteintes prévues ou prévisibles, directes ou indirectes, occasionnées par la réalisation du projet, en transformant un sol artificialisé en sol non artificialisé, afin de restaurer de manière équivalente ou d’améliorer les fonctions écologiques et agronomiques altérées par le projet. L’équivalence est appréciée en termes qualitatifs et quantitatifs. Les gains obtenus par la compensation doivent être au moins égaux aux pertes occasionnées par le projet et intervenir en priorité au sein des zones de renaturation préférentielles ;
– soit la justification de l’insertion du projet au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine, identifiés dans le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du schéma de cohérence territoriale (SCOT), ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), entrés en vigueur avant le 23 août 2021.
Les nouvelles nouvelles destinations et sous-destinations
Trois apports importants du futur décret attendu d’ici la fin de l’année 2022.
Le premier apport porte sur le champ d’application des autorisations d’urbanisme. À la suite de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) et des décrets pris pour son application, les 9 destinations de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme ont été remplacées par une nouvelle liste de 5 destinations et 21 sous-destinations (articles R. 151-27 et R. 151-28 du même code).
Ces nouvelles destinations et sous-destinations s’appliquent pour déterminer le champs d’application des autorisations d’urbanisme depuis le 1er janvier 2016, quand bien même l’opération serait réalisée sur un territoire couvert par un PLU « non-alurisé » CE 7 juillet 2022 Ville de Paris, req. n° 454789 : mentionné aux Tab. Rec. CE).
En revanche, en ce qui concerne les dispositions des règlements des PLU, ce sont les destinations définies dans le document d’urbanisme qui s’appliquent, c’est-à-dire pour les PLU « non-alurisés » les anciennes destinations.
Face à cette dualité, peu aisée à gérer, le ministère a jugé nécessaire de clarifier les dispositions en matière de destinations de constructions et de règles d’application du droit des sols les concernant. Ainsi, le futur décret qui devrait intervenir d’ici la fin de l’année 2022, unifiera les deux régimes. Ainsi, tant que le PLU n’est pas « alurisé », ce seront les destinations du PLU qu’il faudra prendre en compte pour déterminer s’il y a un changement de destination soumis à autorisation d’urbanisme. Cette lecture est déjà celle de nombre de directions de l’urbanisme qui ont été surprises par la position du juge administratif qui a pourtant appliqué littéralement le texte qui lui était soumis.
Le deuxième apport du futur décret porte sur des modifications des nouvelles destinations et sous-destinations, notamment pour prendre en compte de nouveaux types d’occupation de locaux.
La modification la plus attendue à mon sens porte sur les bureaux des administrations. En effet, la définition de la sous-destination « locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilées » mentionnée à l’article 4 de l’arrêté de 2016 porte actuellement à confusion, car elle indique qu’il s’agit de « constructions pouvant être fermées au public ou ne prévoir qu’un accueil limité au public ». Le futur arrêté édicte clairement que ces constructions doivent avoir une partie substantielle de la construction dédiée à l’accueil du public. Ainsi, les bureaux des administrations publiques et assimilés fermées au public ou prévoyant un accueil limité du public seront clairement intégrées à la sous-destination « bureau » de la destination « autres activités des secteurs secondaires et tertiaires ».
Ensuite, les nouveaux concepts commerciaux sont appréhendés pour permettre au règlement des PLU de prévoir des dispositions spécifiques pour ces activités.
Ainsi, pour les dark kitchen, est créée une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » dans la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ». Quant aux dark stores, ils sont reliés à la sous-destination « entrepôts », comme les data-centers. Dans le futur arrêté, la définition de la sous-destination « entrepôt » est modifiée pour recouvrir les constructions destinées « à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente » et « les locaux hébergeant les centres de données ». Elle est également complétée par « les points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique », qui comprendront les dark stores qui disposent d’un point de retrait de marchandises et les drive piétons qui ne sont pas associés à des surfaces de ventes alimentaires.
La définition de la sous-destination « restauration » serait modifiée pour ne concerner que « les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d’une clientèle ».
Il reste la question de savoir si le futur décret prévoira ou non la dissociation entre l’artisanat et le commerce de détail dans la destination « commerces et activités de service » et la création de deux nouvelles sous-destinations : l’artisanat avec surface de vente dans la destination, et l’artisanat sans surface de vente dans la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ».
On peut également citer, la création d’une nouvelle sous-destination « lieux de culte » dans la destination « équipements d’intérêt collectif et services publics », l’ajout de la mention du secteur primaire dans la destination « autres activités des secteurs secondaire et tertiaire ».
En troisième et dernier lieu, le futur décret ouvrira la possibilité aux collectivités de soumettre les changements de sous-destination à la procédure de déclaration préalable pour garantir l’application des règles locales d’urbanisme attachées à ces sous-destinations. Ainsi, par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, le champ d’application de la procédure de déclaration préalable pourra être étendu aux changements de sous-destination.
Le futur PLU Bioclimatique de la Ville de Paris
En décembre 2020, le Conseil de Paris a prescrit la révision du plan local d’urbanisme (PLU) de la Ville de Paris.
Une concertation sur l’avant-projet des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) et du règlement du futur PLU bioclimatique a été ouverte par la Ville de Paris du 5 septembre 2022 au 4 novembre 2022.
En 2023, le nouveau PLU de la Ville de Paris ne sera pas approuvé, mais il aura tout de même un impact sur l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme. En effet, tout projet de constructions, installations ou opérations de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU pourra donner lieu à un sursis à statuer, dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et développement durable (PADD) du PLU bioclimatique de la Ville de Paris (L. 153-11 code de l’urbanisme).
Seuls les pétitionnaires pouvant se prévaloir d’un certificat d’urbanisme antérieur au 16 novembre 2021, date du débat sur le PADD ne prendront pas le risque se voir opposer un sursis à statuer, quand bien même leur projet ne serait pas conforme au règlement du futur PLU tel qu’il sera arrêté, a priori en mars 2023.
Le futur règlement du PLU qui a pu être dévoilé lors de la concertation comporte trois grands items : « Ville en transition, vertueuse et résiliente », « Ville inclusive, productive et solidaire » et « Une ville qui valorise ses identités urbaines ».
Sans revenir sur chacun des items parmi les éléments importants à retenir (sauf à ce qu’après prise en compte des observations émises lors de la concertation le projet de règlement évolue) :
- le renforcement des espaces verts protégés (EVP), avec notamment la localisation de nouveaux espaces et la suppression de la possibilité d’en restituer ailleurs sur le même terrain ;
- tous les espaces libres devront être aménagés en pleine terre et végétalisés lorsque cela est techniquement possible ;
- suppression du potentiel d’extension de 10% de la surface de protection de l’emploi (SPE) en secteur de protection de l’habitation ;
- ajout en secteur de protection de l’habitation (qui deviendrait secteur de développement ou de promotion de l’habitation) d’une servitude de mixité fonctionnelle obligeant, au-delà d’un certain de seuil de surface de plancher, les projets de construction, restructuration lourde ou changement de destination à intégrer une part minimale d’habitation, même lorsque le bâtiment ne contient pas d’habitation. Concernant cette servitude, la question de sa constitutionnalité dépendra de sa justification et des contraintes réelles que la règle précise imposera.
- renforcement de la servitude de mixité sociale avec une actualisation du périmètre du secteur de déficit en logement social (où 30% de la SDP « habitation » créée doivent être affectés au logement locatif social) et du secteur de non-déficit (où 30 % de la SDP « habitation » créée doivent être affectés au logement locatif social ou intermédiaire), une augmentation du taux (actuellement de 30%) de logement locatif social ou intermédiaire dans ces secteurs, un abaissement du seuil de déclenchement de la servitude et la création d’une zone d’hyper-déficit avec obligations renforcées.
- préservation des espaces libres en cœur d’îlot avec une réduction de 20 à 18 mètres de la bande de constructibilité principale, afin d’inciter à construire des logements traversants, sur rue plutôt qu’en cœur d’îlot, l’instauration d’un principe d’implantation des constructions préservant les continuités des espaces libres entre les parcelles, l’instauration d’une hauteur limite de construction de 15 mètres (rez-de-chaussée + quatre étages environ) en cœur d’îlot, avec possibilité de dépassement pour s’adosser à un étage au-dessus des murs pignons voisins ;
- majoration de trois mètres (un niveau) pour les surélévations à usage d’habitation.
Il y a bien entendu bon nombre d’autres mesures, cette liste choisie n’est pas exhaustive, mais tente de relever les contraintes nouvelles du projet de PLU bioclimatique qui pourraient être opposées au cours de l’année 2023 par les services instructeurs avec le couperet du sursis à statuer.