Dominique Moreno
CCI Paris Ile-de-France
L’urgence climatique et les crises successives de tous ordres affectent nos parcours résidentiels, professionnels, marchands ou touristiques… Penser nos territoires autrement, les rendre durablement vivables et attractifs, tels sont les défis à relever. Notre manière d’aménager et de construire s’en trouve profondément bouleversée à l’heure de la lutte contre l’artificialisation des sols. C’est l’ambition de la loi Climat et résilience n°2022-1104 du 22 août 2021.
Si la définition de l’artificialisation des sols suscite quelques soubresauts avec la contestation des premiers décrets du 29 avril 2022 et l’annonce de futurs textes correctifs, le décret relatif à l’aménagement commercial est entré en vigueur le 15 octobre 2022. En tant que fonction territoriale à part entière, les équipements commerciaux sont donc soumis à l’exigence de sobriété foncière. L’article 215 de la loi Climat et résilience leur est d’ailleurs dédié et le décret d’application n°2022-1312 du 13 octobre 2022[1] en détermine les modalités.
Un principe d’interdiction des projets d’équipement commercial générateurs d’artificialisation
Selon le nouvel article L 752-6 V du code de commerce issu de cet article 215, une autorisation d’exploitation commerciale[2] (AEC) ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols au sens de l’article L 101-2-1, alinéa 9, du code de l’urbanisme, à savoir l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sols, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou usage. En application de cet article du code de l’urbanisme, le nouvel article R 752 du code de commerce vise l’augmentation de terrains artificialisés par rapport à l’état des mêmes parcelles à la date du 23 août 2021. Ce bilan est apprécié de manière « surfacique » au regard de l’état antérieur déclaratif ; en cas de contestation par les services instructeurs ou des tiers, la preuve est apportée par tout moyen. Ce principe était d’application immédiate de par la loi sans attendre la parution du décret.
Des dérogations certes encadrées mais au large « potentiel »
Les dérogations visées par l’article 215 ne concernent que les équipements d’une surface de vente inférieurs à 10 000 m². Au-delà de ce seuil, l’interdiction est absolue. Son mode de calcul est donc déterminant, c’est pourquoi il est directement précisé par la loi. Seules sont ainsi concernées au titre des dérogations, les opérations suivantes :
- La création d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une surface de vente inférieure à 10 000 m² ;
- L’extension de la surface de vente d’un magasin ou d’un ensemble commercial dès lors que la surface de vente totale reste inférieure à 10 000 m² ;
- L’extension d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial ayant déjà atteint ce seuil de 10 000 m² ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d’une seule extension inférieure à 1 000 m². Les demandes de dérogation répétées ou successives sont ainsi proscrites.
Selon ce même article 215, l’AEC peut être délivrée si le pétitionnaire démontre dans son analyse d’impact que son projet :
- s’insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d’urbanisation adéquat ;
- répond aux besoins du territoire ;
- et obéit à un des critères suivants :
- insertion dans une opération de revitalisation de territoire (ORT) ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville,
- insertion dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ;
- compensation par la transformation d’un sol artificialisé en un sol non artificialisé au sens de l’article L 101-2-1 susvisé, avant dernier alinéa, à savoir « une surface soit naturelle, nue ou couverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures » ;
- insertion au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés comme secteurs à enjeux par le document d’orientation et d’objectifs (DOO) du schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans un plan local d’urbanisme (PLU) intercommunal, documents entrés en vigueur avant le 23 août 2021.
Le décret n°2022-1312 du 13 octobre 2022 apporte diverses précisions et s’applique aux demandes déposées à compter du 15 octobre 2022. S’agissant de la présentation dans l’analyse d’impact des effets du projet en matière d’artificialisation des sols (C. com. art. R 752-6, II, ajout d’un 4°) pour tout projet engendrant une artificialisation des sols susceptible d’entrer dans le cadre des exceptions, il s’agit pour le pétitionnaire d’apporter :
- la justification de l’insertion du projet dans l’urbanisation environnante, notamment par amélioration de la mixité fonctionnelle du secteur, de sa conformité avec les règles d’urbanisme et la justification de l’absence d’alternative à la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers ;
- la description de la contribution du projet aux besoins du territoire, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale, l’offre de m² commerciaux existants dans la zone de chalandise ;
- les mesures de compensation des atteintes prévues ou prévisibles, directes ou indirectes occasionnées par le projet (renaturation, désartificialisation), visant à restaurer ou améliorer de manière équivalente, les fonctions altérées par le projet. Cette équivalence est appréciée en termes quantitatifs et qualitatifs : les gains générés par la compensation au moins égaux aux pertes générées par le projet. Ces mesures sont mises en œuvre « en plus de ce qui peut être fait à proximité immédiate du projet », en priorité dans les zones de renaturation préférentielles si elles sont identifiées dans un document d’urbanisme en vigueur avant le 23 août 2021.
Pour tout projet d’une surface de vente entre 3 000 et 10 000 m², la dérogation n’est accordée qu’après avis conforme du préfet au terme de la procédure suivante : transmission par le secrétariat de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) du dossier de demande au préfet dès enregistrement (C. com. art. R 752-10-1) ; dans les 5 jours précédant la CDAC, envoi de l’avis du préfet aux membres, à défaut de parvenir dans ce délai, l’avis est réputé défavorable (C. com. art. R 752-13).
Ainsi, les facultés de dérogation, malgré les conditions posées par la loi et le décret, ouvrent de larges brèches dans le principe d’interdiction des projets générateurs d’artificialisation des sols. Le seuil de 10 000 m² de surface de vente, en-dessous duquel les dérogations sont ouvertes, reste élevé pour des projets en zones rurales ou en zones peu denses, plus exposées à l’artificialisation que celles très densifiées. La définition des besoins des territoires, que le décret accompagne de l’adverbe « notamment », laisse des potentialités importantes d’interprétation. Sans faire obstacle à la mutation et à la réhabilitation d’équipements commerciaux, dont certains se dégradent ou sont frappés de vacance, la vigilance devra rester de mise afin que le principe légal d’interdiction ne soit pas vidé de sa substance. De nombreuses questions procédurales et de fond restent en suspens, elles sont à découvrir dans notre article à paraître dans le premier numéro du BJDU de l’année 2023 (janvier/février).
Mais la loi Climat et résilience n’est pas la seule voie permettant un développement vertueux de l’aménagement commercial. D’autres outils ont été récemment instaurés ou renforcés, notamment par la loi 3DS[3] n°2022-217 du 21 février 2022, privilégiant la contractualisation et l’expérimentation. Là encore, ils sont à découvrir dans notre article précité à paraître.
[1] JO 14 octobre 2022
[2] Requise au-delà d’un seuil de principe de 1 000 m² de surface de vente (C. com. art. L 752-1 et s.)
[3] Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification de l’action publique.