SCOTez-vous bien !

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Jean-Philippe Strebler
Juriste – Urbaniste qualifié (opqu)
Maître de conférences associé à l’université de Strasbourg

Plus de vingt ans après l’entrée en vigueur du nouveau régime des documents d’urbanisme issu de la loi SRU du 13 décembre 2000, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) semblent avoir bien tiré leur épingle du jeu !

Même si certains ont pu proposer de supprimer les SCoT parce qu’ils seraient devenus inutiles entre des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET… et autres SDRIF, SAR ou PADDuC selon les régions ou collectivités) et des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) « généralisés », force est de constater que, non seulement les SCoT n’ont pas été supprimés, mais ils couvrent très largement le territoire et les « attentes » exprimées à leur égard sont toujours – voire  de plus en plus – fortes.

« C’est un beau roman… »

Au terme d’une élaboration – dont il n’est pas rare qu’elle s’étende sur plus d’un mandat d’élu local (6 ans…) –, les SCoT avaient vocation à remplacer les « schémas directeurs » (qui remplaçaient eux-mêmes à partir de la loi du 7 janvier 1983 les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967) qui avaient été particulièrement critiqués et qui concernaient en 2000, moins d’une commune sur cinq et moins de la moitié (environ 40 %) de la population. Les SCoT devaient désormais favoriser l’expression de projets stratégiques d’aménagement du territoire, fédérateurs à l’échelle intercommunale voire intercommunautaire.

Non sans une petite « pression » législative : non seulement – à la différence des plans d’occupation des sols (POS) dont l’agonie juridique (résultant de l’absence de leur remplacement par des PLU) a été beaucoup plus longue… – les schémas directeurs antérieurs sont devenus caducs au 1er janvier 2013 (soit moins de dix ans après la création des SCoT), mais l’absence de SCoT interdit, sauf dérogation accordée par le préfet, l’ouverture de nouveaux secteurs à l’urbanisation. Contrairement à certaines « légendes », les SCoT n’ont jamais – libre administration des collectivités territoriale oblige – été « obligatoires ». Mais, l’interdiction d’ouverture à l’urbanisation en l’absence de SCoT – dont le champ d’application a été progressivement étendu de 2001 à 2007 pour concerner « presque » toutes les communes (en restent exclues les communes d’Île-de-France, de Corse et d’Outre-mer) – a constitué une forte « incitation » à l’élaboration des SCoT dès lors que les territoires avaient quelques velléités d’expansion urbaine.

En 2021, 471 périmètres de SCoT couvraient ainsi les trois quarts du territoire et près de neuf communes sur dix, mais surtout,
97 % de la population ! Certes 94 SCoT étaient alors encore en cours d’élaboration, mais force est de constater que ni les schémas directeurs antérieurs, ni même, à une autre échelle, les PLU, n’avaient et n’ont jusqu’ici atteint un tel niveau de couverture du territoire ni concerné autant d’habitants !

Il ne semble d’ailleurs pas que ce « succès » de la planification stratégique locale soit la conséquence de la seule « incitation » législative à l’élaboration des SCoT. Malgré les réticences que peuvent parfois exprimer les élus en charge de leur élaboration à l’égard d’un document technique voire technocratique, il n’est pas exclu que ces élus aient pu « prendre goût » à ces documents, qu’ils aient trouvé un intérêt réel à exprimer localement un projet stratégique de territoire qui ne leur soit pas « dicté » par l’État ou la région, et qui préserve néanmoins pour les PLU, via l’obligation de « compatibilité », une marge de manœuvre et d’appréciation dans la mise en œuvre des objectifs et des orientations exprimées par les SCoT.

« Tu me fais tourner la tête !… »

Et pourtant, le régime juridique des SCoT ne constitue pas – et de loin – un long fleuve tranquille ! Les « générations » de SCoT se succèdent ainsi au fil des réformes législatives : les SCoT originels de la loi SRU (loi solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000) ont été suivis par les SCoT « grenellisés » (loi dite « Grenelle II », portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010), puis par les SCoT« alurisés » (loi « ALUR » pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014), les SCoT « modernisés » (ordonnance relative à la modernisation des SCoT du 17 juin 2020) et, dans les mois à venir, les SCoT « climatisés » (loi « climat et résilience » du 22 août 2021)… Sans compter les « ajustements » législatifs intermédiaires, marqués par quelques « tergiversations »… comme cela a notamment été le cas en matière d’orientations concernant les commerces, où des revirements législatifs sont intervenus à moins de trois mois d’intervalle, constituant sans doute une forme de record de versatilité législative…

Chaque évolution législative tendait évidemment à « améliorer » les SCoT, mais – à l’exception peut-être de l’ordonnance du 17 juin 2020 tendant à leur « modernisation » qui a apporter une forme de « souplesse » bienvenue –, il s’agissait presque systématiquement de compléter les attentes de l’État à l’égard des SCoT et donc de compléter, d’enrichir le « contenu » des SCoT. Ce qui a nécessité, presque toujours, de prévoir des dispositions « transitoires » qui organisaient la « bascule » des SCoT existants et, surtout, des SCoT en cours d’élaboration ou d’évolution, vers les nouvelles exigences de contenu.

La conséquence de ces évolutions incessantes et des régimes transitoires qu’elles prévoient est que le « paysage » des SCoT constitue désormais un véritable « patchwork » territorial :

  • il y a bien sûr les territoires sans périmètre de SCoT arrêté : en 2021 : 14 % des communes, 23 % du territoire et 6 % de la population ; ces chiffres montrent qu’il s’agit de territoires très largement moins densément peuplés que la moyenne…
  • il y a aussi les territoires qui n’ont pas encore approuvé leur SCoT en cours d’élaboration depuis plus ou moins longtemps : en 2021 : 19 % des communes, 24 % du territoire et 22 % de la population ;
  • mais, pour les 377 SCoT approuvés (concernant 68 % des communes) – dont 122 SCoT en cours de révision –, il y a des SCoT grenellisés, des SCoT alurisés, des SCoTmodernisés (encore très rares…) et bientôt en principe des SCoT climatisés (qui pourraient d’ailleurs être climatisés sans même avoir été modernisés…) ! Pour déterminer le régime juridique – et donc le contenu – applicable à chacun de ces quelque 400 SCoT, il faut non seulement connaître sa date d’approbation, mais aussi l’avancement de la procédure et/ou l’option éventuellement prise par son établissement public si sa procédure d’élaboration ou de révision était en cours au moment de l’entrée en vigueur d’une réforme législative…

Une telle instabilité législative (et réglementaire) – toujours bien sûr, pour une « bonne cause » et un intérêt général supérieur ! – peut expliquer les faiblesses juridiques de certains documents dont les auteurs peuvent légitimement ne plus savoir où donner de la tête et à quel texte se vouer…

Rançon probable de leur succès – ne dit-on pas qu’on ne prête qu’aux riches ! –, les attentes législatives à l’égard des SCoT se sont multipliées au fil des réformes, que ce soit en matière d’environnement, de mise en œuvre des dispositions de la loi littoral ou de la loi montagne, de commerce et d’artisanat, de lutte contre l’artificialisation des sols, etc.

Pour autant, ces attentes « élargies » ne doivent pas faire perdre de vue un principe fondamental : en tant qu’expression d’un projet territorial stratégique, les SCoT doivent « se borner » à exprimer des objectifs et des orientations, avec lesquels – notamment – les plans locaux d’urbanisme (PLU), programmes locaux de l’habitat (PLH), plans de mobilités (PdM) et autres autorisations d’exploitation commerciale ou cinématographique ou autorisations d’urbanisme (concernant des projets d’une surface de plancher supérieure à 5 000 m²) doivent « se contenter » d’être compatibles. Certains SCoT ont parfois tendance à vouloir dépasser ce cadre légal pour exprimer, non plus des objectifs et des orientations, mais des « règles » qu’il s’agirait ensuite pour les PLU ou les autorisations d’exploitation commerciale par exemple, de « respecter » et non plus simplement avec lesquelles ils devraient être « compatibles »

En cas de contentieux, le juge administratif ne manque pas de relever l’ « excès de pouvoir » dont les « prescriptions réglementaires » de tels SCoT sont entachées.

D’ailleurs, l’enjeu d’un SCoT réside sans doute moins dans la précision et le niveau des « contraintes » qu’il exprime que dans le fait que ses objectifs et ses orientations soient compris, acceptes et partagés par les acteurs du territoire : à quoi peuvent servir des objectifs ou orientations sans la volonté des collectivités concernées de les mettre en œuvre ? Lors des procédures d’élaboration et d’évolution des SCoT, il semble tout à fait déterminant de rechercher et d’obtenir, en faisant preuve de pédagogie et de persuasion, l’adhésion des élus dont les décisions – compatibles avec le SCoT – contribueront ensuite à la mise en œuvre du projet de territoire. Mieux vaut un SCoT « raisonnablement »ambitieux, mais qui sera effectivement mis en œuvre, qu’un SCoT « parfait » – sur le papier –, mais qu’aucun acteur ne contribuera à mettre en œuvre.

D’autant qu’un SCoT ne saurait être figé, mais qu’il est au contraire appelé à évoluer : au moins tous les six ans, les résultats de son application doivent être analysés et, au vu de cette analyse, l’établissement public en charge du SCoT doit, soit décider le maintien en vigueur du SCoT pour une nouvelle période maximale de six ans, soit prescrire la révision du SCoT. Il s’agit d’éviter, comme avaient pu l’être certains schémas directeurs antérieurs, que des SCoT « dépassés » par les évolutions du territoire ne soient pas revus, réajustés pour intégrer ces évolutions. Avec une sanction très lourde : en l’absence de délibération qui, au vu de l’analyse des résultats de l’application du SCoT, décide son maintien en vigueur ou prescrit sa révision, le SCoT est tout simplement – et automatiquement – caduc… cette caducité entraînant la remise en vigueur de l’interdiction susévoquée d’ouverture à l’urbanisation qui résulte de l’absence de SCoT opposable ! Quelques territoires qui ont négligé cet exercice ont ainsi fait l’amère expérience d’un retour à l’absence de SCoT…

« Bravo, M. le SCoT !… »

Finalement, malgré des évolutions législatives (trop) fréquentes, malgré de petits hiatus juridiques, le « succès » – et l’intérêt – des SCoT ne se dément pas et, même si certains souhaitent que les SCoT aillent encore « plus loin » tandis que d’autres trouvent que les SCoT « en font trop », les élus des territoires expriment souvent une certaine fierté après avoir, durant plusieurs années, contribué à l’expression d’un projet stratégique cohérent et partagé pour leur territoire.