Nelson Correia
Avocat à la cour – counsel
ADDEN AVOCATS
Anne Davy
Avocate associée
ADDEN AVOCATS · GRAND OUEST
Nelson Correia
CAA Paris 18 juin 2024, Ville de Paris, req. n° 23PA00354
Meublés touristiques, nuisances et salubrité publique.
La cour administrative d’appel de Paris donne raison à la Ville de Paris pour avoir refusé un permis de construire portant sur un changement de destination en vue de créer des meublés touristiques, en considérant que les nuisances sonores, générées par de tels hébergements, sont de nature à porter atteinte à la salubrité publique.
On le sait, depuis plusieurs années, la Ville de Paris entend limiter le développement des meublés de tourisme grâce à différentes réglementations : législation relative aux changements d’usage (durcie par le nouveau règlement municipal publié le 6 janvier 2022) ; adoption d’un règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme en application du code du tourisme (publié le 18 janvier 2022).
La réglementation destinée à contrôler la transformation des locaux commerciaux est intervenue tardivement puisqu’elle est le résultat, à l’initiative de la Ville de Paris, de l’article 55 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, complété par un décret n° 2021-757 du 11 juin 2021, entré en vigueur le 1erjuillet 2021.
Avant celle-ci, et pour contourner le régime strict de la législation des changements d’usage, la pratique des opérateurs économiques s’était donc concentrée sur les locaux commerciaux dont la transformation en meublés touristiques n’était alors soumise qu’à une autorisation d’urbanisme (au titre d’un changement de destination / sous-destination).
C’est ainsi que la Ville s’était tournée vers l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qui permet de refuser un projet (ou de l’assortir de prescriptions) s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations.
Alors que la mobilisation de ce fondement avait déjà pu être censurée par le tribunal administratif de Paris (comme c’était le cas dans la présente affaire, en première instance : jugement n° 2006667/4-2 du 12 septembre 2022), la Cour juge, en appel, que l’augmentation des flux et les risques de nuisances sonores dans la cour de l’immeuble d’habitation justifient un refus de permis de construire.
En l’espèce, la Cour relève que le projet prévoyait, dans un local auparavant occupé par une activité artisanale de confection, la création de trois logements touristiques distincts d’une capacité d’accueil totale et simultanée de douze personnes ; ces trois logements, destinés à l’hébergement d’hôtes munis de bagages et accueillis pour de courts séjours, pouvaient disposer, chacun, d’une entrée donnant sur la cour intérieure pavée de l’immeuble ; dans ces conditions, le projet, par sa nature, son importance, et eu égard à la configuration des lieux, présente un risque de nuisances, notamment sonores, excédant les désagréments habituels de voisinage inhérents à l’occupation de logements collectifs, et est ainsi de nature à porter atteinte à la salubrité publique.
Elle renouvelle le principe selon lequel des nuisances, notamment sonores, générées par des hébergements touristiques implantés dans des copropriétés, peuvent être de nature à porter atteinte à la salubrité publique, si le projet, notamment par sa nature, son importance ou ses conditions d’utilisation, compromet de façon grave et continue la qualité de vie des résidents de la copropriété (pour un précédent arrêt en ce sens : CAA Paris 10 mai 2023, req. n° 22PA02683).
On peut s’interroger si c’est volontairement que la Cour ne reprend pas la « grille d’analyse » de l’article R. 111-2 dégagée par le Conseil d’État dans une décision du 26 juin 2019 publiée au Recueil (req. n° 412429).
En effet, il en résulte que « lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique», l’administration doit (sous le contrôle du juge) d’abord envisager de délivrer le permis moyennant une prescription, à la condition que celle-ci n’implique pas de modifications substantielles du projet.
À supposer que le moyen ait été soulevé devant la Cour, la question serait, en réalité, de déterminer sous quelles conditions une prescription pourrait, en la matière, être valablement éditée sans générer une modification substantielle du projet. La suite lors d’un prochain contentieux ?
CE 31 mai 2024, SCI du Domaine de la Tour, req. n° 467427
Le moyen tiré de ce qu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée au visa d’un document d’urbanisme qui n’était plus en vigueur à la date de sa délivrance ne peut être utilement soulevé à l’appui d’un recours que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes du document d’urbanisme en vigueur à la date de sa délivrance.
Ce raisonnement peut se justifier sur les bases suivantes. Une première rappelée, par le Conseil d’État dans l’arrêt, selon laquelle si une autorisation d’urbanisme ne peut être délivrée que pour un projet qui respecte la réglementation d’urbanisme en vigueur, elle ne constitue pas un acte d’application de cette réglementation (CE 7 février 2008, Commune de Courbevoie, req. n° 297227). Une seconde selon laquelle une erreur sur un visa d’une décision administrative ne constitue pas, selon une jurisprudence constante, un vice de forme substantiel susceptible de conduire à son annulation (CE 31 mars 1995, req. n° 160774 – CE 3 juin 2013, req. n° 334251 – CE 5 avril 2002, req. n° 221890 – CE 14 octobre 1983, req. n° 02563).
CE 5 avril 2024, Syndicat des copropriétaires du 78 allée des Demoiselles, req. n° 466748
Afin de préserver la sécurité juridique des pétitionnaires et pour limiter les incertitudes liées à l’annulation d’un PLU, la loi ELAN a créé un article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme au terme duquel l’annulation d’un PLU est, par elle-même, sans incidence sur les autorisations d’urbanisme délivrées antérieurement dès lors que cette annulation repose « sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ».
Ces dispositions définissent ainsi le régime dans le cadre duquel le juge administratif apprécie, à l’occasion du recours contre une autorisation d’urbanisme, l’opérance des moyens tirés de ce que l’annulation d’un PLU, sur le fondement duquel l’autorisation a été délivrée, entraîne par voie de conséquence l’annulation de cette dernière.
Par une décision du 5 avril 2024, le Conseil d’État permet de synthétiser les grands principes en la matière et de préciser le contrôle qu’il exerce en qualité de juge de cassation.
Tout d’abord, le juge doit vérifier si l’un au moins des motifs d’illégalité du document est en rapport direct avec les règles applicables au projet. Ensuite, un vice de légalité externe est, en principe, étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet, sauf si le vice a été de nature à exercer une influence directe sur les règles d’urbanisme applicables.
En l’espèce, le Conseil confirme la règle de principe dès lors que le terrain du projet « est situé dans une partie urbanisée de très longue date » et que l’illégalité externe « affecte essentiellement le classement des parcelles, auparavant situées dans ces zones [naturelles, agricoles, forestières], que le nouveau plan a intégrées en zone urbaine », ce qui n’était pas le cas du terrain litigieux (cf. conclusions. F. Roussel prononcées sur cette décision).
Dans un arrêt de renvoi, la CAA de Douai (req. n° 18DA01112) a déjà pu considérer que la modification, après enquête publique, des règles de hauteur applicables dans des proportions remettant en cause l’économie générale du plan était de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet.
En revanche, un vice de légalité interne n’est, en principe, pas étranger sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet.
Au cas présent, le moyen de légalité interne portait sur l’insuffisante justification des objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain.
Le Conseil d’État juge que, compte tenu de la nature du terrain concerné (une parcelle déjà bâtie et située en zone urbaine de l’ancien comme du nouveau document d’urbanisme), l’illégalité concernait un objectif du plan d’aménagement et de développement durable, sans rapport direct avec les règles applicables au projet et devait ainsi être regardée comme étrangère.
Enfin, en qualité de juge de cassation, il considère qu’il lui revient d’exercer un contrôle de qualification juridique des faits sur le point de savoir si les vices, de légalité externe ou interne, invoqués doivent être regardés comme étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet.
Il est intéressant de relever ici que les faits de la présente affaire étaient liés à un permis de construire délivré à Toulouse sur le fondement du PLUiH postérieurement annulé par le CAA de Bordeaux (req. n° 21BX02287 : la Cour rejeta la requête de Toulouse Métropole confirmant que l’analyse de la consommation passée d’espaces naturels et agricoles et forestiers figurant au rapport de présentation et la justification des objectifs de modération de cette consommation figurant à ce rapport et dans le projet d’aménagement et de développement durables présentaient des insuffisances substantielles de nature à affecter les choix d’urbanisme opérés par le PLUiH).
Ainsi, le Conseil d’État, en jugeant que les vices de légalité interne et externe n’étaient pas suffisamment « directs », permet de « sauver » tous les permis de construire délivrés (sur le fondement du PLUiH annulé) dans une zone urbaine de Toulouse Métropole, dès lors que les motifs d’annulation dudit document sont étrangers aux règles applicables dans de telles zones.
Pour achever ce panorama des conséquences de l’illégalité d’un PLU, il faut rappeler que si, au terme du raisonnement précédent, le PLU sous l’empire duquel a été délivrée l’autorisation contestée est annulé pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet, il convient alors d’appliquer l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme (remise en vigueur du document d’urbanisme immédiatement antérieur), pour lequel un avis du Conseil d’État du 2 octobre 2020 vient donner le mode d’emploi (avis n° 436934).
L’article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme est entré en vigueur le 1er janvier 2019 et s’est appliqué aux instances en cours à cette date, quelle que soit la date de l’autorisation, la date d’introduction de la requête ou celle à laquelle le moyen a été soulevé (CE avis 17 juin 2020, req. n° 437590). L’article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme n’est pas applicable aux décisions de refus de permis ou d’opposition à déclaration préalable. Pour ces décisions, l’annulation du document d’urbanisme leur ayant servi de fondement entraîne l’annulation de ladite décision.
Anne Davy
CE 17 juin 2024, Société de l’Aygue Longue, req. n°461667 : mentionné aux Tables du recueil Lebon
Extension d’ensembles commerciaux de plus de 20 000 m² de surface de vente : précisions sur le calcul du délai d’un mois d’auto-saisine de la CNAC
Le Conseil d’État apporte deux éclairages bienvenus sur le régime de la mise en œuvre par la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) de son pouvoir d’autosaisine prévu par le code de commerce (article L. 752-17), et que l’on rencontre assez rarement en pratique.
D’une part, le régime de l’autosaisine peut être actionné dès lors que l’ensemble commercial à étendre présente une surface de vente de plus de 20 000 m² après opération, même si l’extension porte à elle-seule sur surface de vente inférieure (dans cette affaire l’extension porte sur une surface de vente de 8 349 m2 et l’ensemble commercial présente, après projet, une surface de vente de 26 000 m² environ). Le Conseil juge en effet qu’ « il résulte des dispositions combinées des III, IV et V de l’article L. 752-17 du code de commerce, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dont elles sont issues, que le législateur a entendu, en prévoyant que la Commission nationale d’aménagement commercial est systématiquement informée des projets dont la surface de vente est supérieure ou égale à 20 000 mètres carrés et de ceux ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet, que la Commission nationale puisse s’autosaisir de l’ensemble de ces projets, et non seulement de ceux dont la surface de vente devant être autorisée est supérieure ou égale à 20 000 m2 ».
D’autre part, et c’est l’apport principal de cet arrêt, le Conseil d’État se prononce sur les modalités de calcul du délai d’un mois dans lequel la CNAC peut exercer son pouvoir d’autosaisine consécutivement à un avis ou une décision favorable rendu par une commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Ce délai d’un mois est prévu par l’article L. 752-17 V du code de commerce et il court à compter de la notification au secrétariat de la CNAC de l’avis ou de la décision de la CDAC (art. R. 752-4-1).
Le code prévoit que la CNAC doit notifier sa décision d’autosaisine par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (LRAR) ou par courrier électronique sécurisé, au préfet du département de la commune d’implantation, au demandeur et, si le projet nécessite un permis de construire, à l’autorité compétente en matière de permis de construire ; le respect du délai de saisine est apprécié à la date de la notification de la décision au demandeur. Le Conseil d’État précise qu’en cas de notification par voie de LRAR, le demandeur est réputé en avoir reçu notification à la date de la première présentation du courrier par lequel elle lui est adressée.
Or, en l’espèce, la CNAC n’a expédié sa décision d’autosaisine que le jour de l’expiration du délai d’un mois. Elle n’a donc pas pu être reçue par les destinataires dans le délai d’un mois susvisé.
Dans ces conditions, la CNAC n’était pas compétente pour se prononcer sur le projet litigieux et ne pouvait, dès lors, légalement substituer, à l’avis favorable de la CDAC, l’avis défavorable qu’elle a émis.
Le Conseil d’État constate que l’avis défavorable de la CNAC est illégal et annule en conséquence l’arrêté du maire refusant le permis de construire sur ce fondement. Il enjoint au maire de réexaminer la demande de permis de construire dans un délai de trois mois sur la base de l’avis favorable initialement obtenu devant la CDAC.