Nelson CORREIA
Avocat au Barreau de Paris
ADDEN AVOCATS
La conclusion d’une concession de service public et/ou de travaux confiant au concessionnaire la réalisation, sous sa maîtrise d’ouvrage, d’un bâtiment sur une partie seulement de l’unité foncière (périmètre concédé) appartenant au concédant vaut-elle ou non division en jouissance, et sur quel périmètre la demande de permis de construire le bâtiment doit-elle être déposée ?
Le lotissement se définit comme la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ayant pour objet de créer au moins un lot à bâtir (article L. 442-1 C. Urb.) L’unité foncière renvoie, quant à elle, à un « ilot de propriété » composé de toutes les parcelles contiguës appartenant à un même propriétaire (CE 27 juin 2005 Commune de Chambéry, req. n° 264667).
Si la notion de division « en propriété » ne suscite pas de difficultés interprétatives particulières (elle conduit à partager une unité foncière entre plusieurs propriétaires, soit par un acte translatif en cas d’aliénation, soit par un acte déclaratif en cas de partage), tel n’est pas le cas de la notion de division « en jouissance ».
Cette dernière apparaît en effet d’emblée plus difficile à cerner, et son identification demeure parfois délicate.
De prime abord, la jouissance, au sens de l’article L. 442-1, doit se comprendre comme étant la possibilité d’utiliser le sol pour y construire un bâtiment, indépendamment de sa propriété.
Pour retenir la qualification de division en jouissance, la jurisprudence a pu consacrer les notions de « droit d’usage exclusif » (CE 2 février 1977, req. n° 02051 – CE 13 octobre 1993, req. n° 109237), de « droit de jouissance exclusif » (CE 6 juillet 1977, req. n° 110375 – CE 27 octobre 1993, req. n° 110375 – CAA Lyon 13 juin 1995, req. n° 93LY00999), ou de « droit exclusif de construction » (CE 21 août 1996, req. n° 137834).
Sous réserve des stipulations propres à chaque espèce, c’est bien la notion d’un droit exclusif de construire (avec transfert de ce droit, qui emporte droit de « propriété » sur l’ouvrage construit) qui doit permettre de qualifier une division en jouissance.
Ce faisant, la location de plusieurs immeubles implantés sur un même terrain ne constitue pas une division en jouissance du sol puisqu’un tel usage (même au titre d’un droit d’usage exclusif) n’implique le bénéfice d’aucun droit à construire (CE 7 mars 2008, Commune de Mareil-le-Guyon, req. n° 296287 – CAA Versailles 8 juin 2006, req. n° 04VE03538).
En matière de contrats de concession, le montage consiste le plus fréquemment à mettre à disposition, auprès d’un tiers concessionnaire, une partie d’un terrain (relevant souvent du domaine public) appartenant à une collectivité publique.
Savoir si cette mise à disposition (en vue de l’édification, par le concessionnaire, d’un ou plusieurs bâtiments) s’assimile à une division en jouissance a un impact fondamental sur le périmètre foncier du permis de construire.
De deux choses l’une :
- si l’emprise foncière concédée s’assimile à une division en jouissance, cette dernière vient « délimiter » une nouvelle unité foncière, et la demande de permis de construire sera déposée et instruite en tenant compte de cette seule emprise concédée (CE 15 février 1993, Commune d’Épinay-sur-Seine, req. n° 131087).
- en revanche, si l’emprise concédée ne vaut pas division en jouissance, l’unité foncière à présenter dans la demande de permis de construire ne se limitera pas à la seule emprise concédée et devra intégrer toutes les parcelles contiguës appartenant à la collectivité publique concédante.
La domanialité publique, de par sa nature, suppose une propriété pleine et entière (CE 19 mars 1965, n° 59061) et il a été jugé qu’une propriété indivise était incompatible avec le domaine public (par exemple, en matière de copropriété : CE 11 février 1994, Préservatrice Foncière, req. n° 109564. – TC 7 octobre 2024, n° C4319). En outre, l’occupation du domaine public se caractérise par un principe de précarité et de révocabilité (articles L. 2122-3 et R. 2122-1 CGPPP).
Eu égard à ces principes, une division en jouissance, dans le cadre de la mise à disposition d’une partie d’une unité foncière au profit d’un concessionnaire, est-elle envisageable lorsqu’elle porte sur une dépendance du domaine public ?
Une réponse négative doit a priori être apportée compte tenu précisément de ces principes, alors même que le contrat confère au concessionnaire le droit (et même l’obligation) de construire.
C’est ce que rappellent deux décisions de la CAA de Marseille en se référant aux principes généraux de la domanialité publique précités et « de l’absence de droits acquis créés au profit [du] bénéficiaire », c’est-à-dire du concessionnaire (CAA Marseille 6 avril 2016, req. n° 14MA01811 : pour un contrat de concession relatif à l’édification d’un crématorium – CAA Marseille 3 avril 2015, req. n° 13MA00735 : pour un contrat de partenariat public-privé portant sur la conception, le financement, la construction, l’exploitation et la maintenance d’une unité de traitement des déchets ménagers).
En d’autres termes, il ressort de ces décisions de jurisprudence que le simple fait, pour une personne publique, de mettre à disposition une partie d’un terrain (au profit d’un concessionnaire pour que celui-ci réalise, sous sa maîtrise d’ouvrage, un bâtiment) n’entraîne pas une division en jouissance.
Cette analyse paraît cohérente puisque le(s) bâtiments(s) sont construits sur un terrain appartenant à une personne publique (et qu’ils relèvent donc du domaine public en raison de leur affectation au service public) et constituent des biens de retour qui ne sont pas la propriété du concessionnaire (CE 21 décembre 2012 Commune de Douai, req. n° 342788).
Cette situation peut générer des difficultés, car elle conduit, pour apprécier la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme (respect des règles d’emprise au sol, d’espaces libres, d’espaces végétalisés…), à prendre en compte la totalité de l’unité foncière, alors même que le contrat de concession ne met à la disposition du concessionnaire qu’une partie seulement (de cette unité foncière) pour réaliser et exploiter le(s) bâtiment(s).
Ainsi, et par exemple, lorsqu’un PLU impose une végétalisation du terrain à hauteur de 20 %, l’exigence réglementaire est calculée sur la base de l’unité foncière globale, alors même que le concessionnaire / pétitionnaire ne pourra réaliser de travaux que sur la partie du terrain mise à sa disposition et sur laquelle il est titré.
Cela renvoie aux mêmes difficultés d’application du règlement d’un PLU dans le cadre d’une division primaire depuis l’arrêt SCI du 3 rue Jules Gautier (CE 12 novembre 2020, req. n° 421590).
La seule hypothèse où il pourrait en aller autrement réside dans la possibilité, pour l’autorité concédante, de consentir des droits réels au concessionnaire sur le(s) bien(s) construit(s) sur le domaine public (article L. 3132-2 du CCP).
En pareille hypothèse, le droit de construire adossé à un droit réel délimite l’emprise foncière sur laquelle le permis de construire doit être déposé et détermine le périmètre d’application des règles d’urbanisme (CE 15 février 1993, Commune d’Épinay-sur-Seine, req. n° 131087).