Sébastien Ferrari
Agrégé des Facultés de droit, professeur de droit public
Co-directeur scientifique du BJDU
Alors que la 28e édition des journées du BJDU vient de s’achever, le Bulletin de jurisprudence du droit de l’urbanisme, aujourd’hui utilement complété par le blog du droit de l’urbanisme et de l’aménagement, fête, quant à lui, ses trente ans.
Le succès d’une revue entièrement – et exclusivement – dédiée à une jeune – et turbulente – branche du droit, l’urbanisme, comme de la formule, résolument tournée vers les praticiens, qui a été retenue pour en traiter, n’était pourtant pas assuré au moment de sa création en 1994. Le foisonnement des revues juridiques n’était pas encore celui d’aujourd’hui, mais n’en était pas moins déjà une réalité, ce d’autant que le domaine de l’urbanisme suscitait un intérêt croissant de la part de la doctrine comme des éditeurs par l’effet conjugué de la décentralisation et de l’adoption de plusieurs grandes lois dans les années 80.
Le pari était donc ambitieux, même si quelques signes avant-coureurs, en particulier l’intervention toute récente de la loi Bosson du 9 février 1994, précédée du rapport bien connu du Conseil d’État, L’urbanisme : pour un droit plus efficace, publié en 1992 et dont le maître d’œuvre n’était autre que le président D. Labetoulle, laissaient présager une montée en puissance des préoccupations liées à l’urbanisme, compte tenu des enjeux en cause, qu’il s’agisse du cadre de vie, des activités économiques, bientôt rejoints par d’autres comme la mobilité et l’environnement. Corrélativement, le besoin de leur apporter des réponses sur le terrain juridique, dont certaines ont été, pour le moins, originales, s’est fait plus pressant.
Si elle était donc « de son temps », la revue nouvellement créée a incarné une certaine manière d’appréhender la matière qui lui a permis non seulement de tenir ce pari, mais aussi et surtout de traverser les décennies, avec près de 180 numéros parus à ce jour, y compris les plus difficiles pour le secteur de l’édition juridique. C’est que la formule initialement imaginée par ses concepteurs, le président J.-C. Bonichot et le préfet L. Touvet, sollicités par P. Bougon fondateur des éditions EFE, s’est révélée être particulièrement adaptée à l’approche concrète qui était attendue de son public. Disposer d’une vue exhaustive du domaine tout en bénéficiant d’une analyse synthétique et claire du droit en vigueur, ce qui est une gageure dans un contexte encore et toujours fortement marqué par de – trop – nombreuses et fréquentes évolutions.
L’exhaustivité du traitement passe, en effet, depuis l’origine par le rassemblement de l’ensemble des sources de première main de la matière : législatives, réglementaires, jurisprudentielles et administratives. La structure – quasiment inchangée – de la revue en est le reflet. La rubrique « chroniques » permet d’éclairer les thèmes importants, qu’il s’agisse de réformes d’envergure et de questions pratiques nouvelles, tandis que la rubrique « réponses ministérielles » regroupe les prises de position du Gouvernement sur l’application du droit de l’urbanisme. Placée au centre, la jurisprudence, celle du Conseil d’État avant tout mais aussi les solutions dégagées par les juges du fond, voire même d’autres juridictions, complète le triptyque. Elle bénéficie d’une double mise en perspective avec la reproduction fidèle des conclusions des rapporteurs publics et la formulation d’observations par des universitaires et/ou des membres du Conseil d’Etat.
Avec la croissance du contentieux de l’urbanisme, devenue endémique au fil des années, une chronique de jurisprudence commentée est venue compléter ce panorama, nécessairement sélectif, afin de couvrir l’ensemble des questions tranchées par la juridiction administrative. Cette place de premier rang donnée à la jurisprudence correspond bien à la réalité pratique, jamais démentie. Compte tenu de la complexité et de l’instabilité de la réglementation d’urbanisme, mais aussi de la nécessité de son adaptation aux situations concrètes, le juge occupe un rôle central dans son application.
Justement, l’approche concrète, indispensable sur le fond à la maîtrise du droit de l’urbanisme, a trouvé d’emblée son expression dans la forme même de la revue. La formulation synthétique des questions de droit posées au juge ou au Gouvernement et des réponses à leur apporter respectivement, sous la forme de résumés en ce qui concerne la jurisprudence, facilite la compréhension rapide par les praticiens du nouvel état du droit positif qu’ils seront amenés à appliquer, autant que des enjeux en cause, mis en exergue par les conclusions, puis remis en perspective par les observations dont elles sont assorties. Les abstracts, longtemps regroupés dans des tables annuelles, voire même semestrielles au départ, que la dématérialisation a rendu moins utiles, permettent enfin de rattacher les différentes positions et solutions juridiques, dont la revue rend compte, aux grandes catégories et principes qui ordonnent la matière.
Ces choix éditoriaux, dont il faut rétrospectivement saluer le caractère visionnaire, n’ont aucunement perdu de leur pertinence. Tout au plus, au gré de l’expansion du droit de l’urbanisme, l’ancrage de la revue dans l’actualité a amené à élargir la focale vers de nouveaux thèmes, en particulier l’environnement, devenu l’un des piliers de la matière par le truchement du développement durable promu dès 2000 par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), l’aménagement commercial, désormais intégré procéduralement au droit commun de l’urbanisme, et la fiscalité, dont la refonte en 2010 n’a pas manqué de susciter de nombreuses interrogations.
Compte tenu de la rapidité et de l’ampleur des évolutions du droit de l’urbanisme à l’œuvre, l’idée d’organiser des « journées », suivant un rythme annuel, s’est rapidement imposée, les premières s’étant tenues dès 1996, afin de dresser le bilan de la période écoulée, riche tout à la fois en réponses mais aussi et surtout en interrogations nouvelles, ce que les trois dernières décennies n’ont jamais démenti.
Suivant une méthode éprouvée au fil des éditions, ces journées entendent étudier et discuter les défis contemporains auquel est confronté le droit de l’urbanisme en organisant autour des quatre points cardinaux de la matière – planification, autorisations, aménagement et maîtrise foncière – les présentations et analyses des textes et jurisprudences de l’année les plus pertinents, suivies d’échanges nombreux et concrets avec ceux qui pratiquent ce droit au quotidien. Elles sont ainsi devenues un lieu incontournable pour saisir les enjeux et les tensions, souvent assez vives, qui traversent un droit changeant et parfois instable comme pour mettre les outils sur lesquels il s’appuie à l’épreuve de la réalité de la pratique.
Les enjeux auxquels le droit de l’urbanisme contemporain doit répondre sont multiples et volatiles, au gré des évolutions des politiques publiques dont il tente la synthèse, mais aussi des transformations qui traversent plus largement notre société, qu’il s’agisse de sa digitalisation ou des transitions énergétique et écologique qu’elle doit réussir.
La succession des réformes, d’ampleur variable, mais à un rythme toujours aussi soutenu, appelle aujourd’hui comme hier une adaptation rapide et rigoureuse des différents acteurs, privés comme publics, aux nouveaux dispositifs. Surtout, la bonne maîtrise de ces instruments, toujours plus nombreux, mis au service d’un droit foisonnant et toujours plus complexe passe par une mise en cohérence réactive et claire, ainsi que par des échanges constants et soutenus entre les parties prenantes. La préoccupation de répondre utilement à ces différents besoins, qui a présidé à la création de la revue, puis de ses prolongements, a toujours habité l’esprit des spécialistes éminents, de la doctrine comme de la juridiction administrative, qui se sont succédé sous la présidence vigilante du président J.-C. Bonichot et la coordination exigeante de C. Dubesset. Elle constitue plus que jamais la ligne éditoriale de la revue, à laquelle il faut souhaiter de rencontrer dans les prochaines décennies le même intérêt et le même succès qu’elle a suscités au cours des trois premières qui viennent de s’écouler.