Ordonnances du 17 juin 2020, des évolutions intéressantes, dont les effets pourraient se faire attendre

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Jean-Philippe Strebler
Urbaniste qualifié (opqu)
Maître de conférences associé à l’université de Strasbourg
Directeur du PETR Sélestat – Alsace centrale

L’article 46 de la loi ELAN du 23 novembre 2018 avait, sur proposition du Gouvernement, habilité celui-ci à légiférer par ordonnance d’une part, pour « limiter et simplifier (…) les obligations de compatibilité et de prise en compte pour les documents d’urbanisme », et d’autre part, « adapter le périmètre et le contenu du schéma de cohérence territoriale ». Le délai de 18 mois accordé par le législateur ayant été prolongé de 4 mois en raison de l’état d’urgence sanitaire, le Président de la République a signé, le 17 juin 2020, deux ordonnances dont le Parlement avait fixé l’entrée en vigueur « à compter du 1eravril 2021 ». Le projet de loi de ratification de ces deux ordonnances a été déposé le 9 septembre 2020 au Sénat.

Même si ces deux ordonnances ont été signées le même jour et qu’elles concernent toutes les deux les SCoT (ainsi que les autres documents d’urbanisme s’agissant de la hiérarchie des normes), elles sont indépendantes l’une de l’autre, que ce soit dans leurs objets et leurs effets. Ainsi, même si la possibilité lui en avait été donnée, l’ordonnance relative à la hiérarchie des normes s’est gardée d’apporter la moindre modification au contenu du SCoT… réservant ces changements à l’ordonnance relative à la modernisation des SCoT. Les apports de ces deux ordonnances doivent donc être présentés séparément.

Rationnaliser la hiérarchie des normes

Un régime sophistiqué de relations juridiques

Il est peu de dire que le régime actuel des normes juridiques qui s’imposent aux documents d’urbanisme est d’une singulière complexité, résultant – comme c’est souvent le cas – d’une « sédimentation » législative qui, au fil des textes adoptés, ajoute de nouvelles obligations sans remettre en cause des dispositions qui seraient dès lors obsolètes…

Même si l’ensemble des normes supérieures qui s’imposent aux SCoT- ainsi qu’aux PLU en l’absence de SCoT- ne peuvent jamais s’appliquer « cumulativement »(par exemple, seul l’un des quatre documents de planification régionale – schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) pour les régions « continentales » hors Île-de-France, schéma d’aménagement régional (SAR) pour les régions d’Outre-Mer, schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF) et plan d’aménagement et de développement durable de Corse (PADDuC) – s’applique sur un territoire de SCoT ; de même, il est peu probable (mais pas impossible…) qu’un tel territoire de SCoT soit concerné à la fois par un parc national et par un parc naturel régional…), le nombre de ces normes supérieures potentiellement opposables est impressionnant : au total, 24 normes s’imposent aux SCoT tandis que, même en présence d’un SCoT opposable, 12 normes s’imposent aux PLU ! Ces obligations de compatibilité ou de prise en compte ne sont pas d’ailleurs mentionnées dans le seul code de l’urbanisme : le code de l’environnement (art. L. 219-1 concernant les documents stratégiques de façade ou de bassin maritime), le code des transports (art. L. 1214-9 et L. 1214-30 concernant, en Île-de-France, le plan de mobilité et les plans locaux de mobilité), le code de la construction et de l’habitation (art. L. 302-14 concernant le schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France) ou le code minier (art. L. 621-1 concernant le schéma départemental d’orientation minière en Guyane) expriment à l’égard des documents d’urbanisme des obligations de compatibilité ou de prise en compte qui ne figurent pas dans le code de l’urbanisme !

Enfin, le principe de « compatibilité limitée » ou de « SCoT intégrateur » réaffirmé par la loi Grenelle II – selon lequel le SCoT« intégrant » les normes juridiques avec lesquelles il doit être compatible ou qu’il doit prendre en compte, les PLU ne sont tenus à la seule compatibilité avec le SCoT, sans obligation à l’égard de ces normes que le SCoT a lui-même « intégrées » – n’a pas empêché le maintien malencontreux de « doubles obligations » pesant sur les SCoT mais aussi sur les PLU même en présence d’un SCoT opposable (zones de bruit des aérodrome, documents stratégiques de façade ou de bassin maritime, plan de mobilité d’Île-de-France, schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France ou schéma départemental d’orientation minière en Guyane). Enfin, le législateur a estimé devoir imposer des obligations de « compatibilité » et des obligations de « prise en compte », les secondes correspondant à une forme « atténuée » de la compatibilité dont il serait possible de s’écarter pour un motif d’intérêt général… Il est évident que la complexité d’un tel « réseau » d’obligations juridiques ne peut qu’aboutir à son inefficacité, tandis qu’il crée des risques juridiques pour les documents d’urbanisme qui n’auraient qu’imparfaitement respecté ces obligations.

Limiter et simplifier les obligations juridiques

Ce constat a conduit le Parlement à habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance « toute mesure propre à limiter et simplifier les obligations de compatibilité et de prise en compte pour les documents d’urbanisme », en particulier pour réduire le nombre de normes opposables aux documents d’urbanisme et supprimer le lien de prise en compte au profit de la seule compatibilité, ainsi que pour prévoir les conditions et modalités de cette opposabilité de ces normes juridiques (L. n° 2018-1021, 23 nov. 2020, art. 46, § I, 1° et 2°).

C’est dans le cadre de cette habilitation qu’est intervenue l’ordonnance n° 2020-745 du 17 juin 2020 tendant à « rationaliser » la hiérarchie des normes applicable aux documents d’urbanisme. En revanche, le Gouvernement n’a pas mis en œuvre les possibilités envisagées par la loi ELAN de modifier le contenu des SCoT et des SRADDET ou de limiter l’obligation de compatibilité des PLU avec le document d’orientation et d’objectifs du SCoT aux seuls projet d’aménagement et de développement durable et orientations d’aménagement et de programmation concernant l’ensemble du territoire du PLU (L. n° 2018-1021, art. 46, § I, 3°, 4° et 5°).

De fait, la rationalisation de la hiérarchie des normes :

  • transforme six obligations de prise en compte en obligations de compatibilité :
  • pour les SCoT: schéma régional de cohérence écologique, schéma régional des carrières, schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France et schéma départemental d’orientation minière en Guyane ;
  • pour les PLU en présence de SCoT: plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et plans locaux de mobilité en Île-de-France ;

pourtant, même si la loi ELAN envisageait de « supprimant le lien de prise en compte au profit de la seule compatibilité », l’ordonnance a maintenu deux obligations de prise en compte par les SCoT des « objectifs » du SRADDET (alors que les « règles » du SRADDET s’imposent en termes de compatibilité) et des programmes d’équipement de l’État, des collectivités territoriales et des établissements et services publics ;

  • supprime quatre obligations de compatibilité et six obligations de prise en compte :
  • pour les SCoT : la compatibilité avec les six directives territoriales d’aménagement (DTA) qui avaient été temporairement maintenues en vigueur après la loi Grenelle II, et la prise en compte du schéma régional de l’aquaculture marine, du schéma départemental d’accès à la ressource forestière et de la charte d’un pays dont le périmètre avait été publié par arrêté préfectoral ;
  • pour les PLU en présence d’un SCoT : la compatibilité avec les zones de bruit des aérodromes, les documents stratégiques de façade ou bassin maritime et le plan de mobilité d’Île-de-France et la prise en compte du schéma régional de l’habitat et de l’hébergement en Île-de-France, du schéma départemental d’orientation minière en Guyane (puisque la compatibilité avec ces cinq documents s’impose aux SCoT) et du schéma départemental d’accès à la ressource forestière (qui disparaît totalement des normes s’imposant aux documents d’urbanisme) ;
  • reprend, dans le code de l’urbanisme, des « précisions » déjà exprimées dans le code de l’environnement : l’obligation de compatibilité avec la charte ;
  • de parc national concerne les « objectifs de protection et les orientations » de cette charte (c.env., art. L.331-3, III) ;
  • de parc naturel régional ne concerne pas les « orientations et mesures de la charte qui seraient territorialement contraires au SRADDET » (c.env., art. L. 333-1, V).

Finalement, le bilan « quantitatif » de la rationalisation de la hiérarchie des normes est limité pour ce qui concerne les SCoT (pour lesquels 15 obligations de compatibilité et 9 obligations de prise en compte sont remplacées par 18 obligations de compatibilité et 2 obligations de prise en compte), mais il est sensible pour les PLU en présence de SCoT (où 8 obligations de compatibilité et 4 obligations de prise en compte deviennent 6 obligations de compatibilité). S’il ne s’agit sans doute pas d’une révolution, cette évolution permet à tout le moins de gagner en « lisibilité ».

Les nouvelles modalités de mise en compatibilité

Mais l’apport majeur de l’ordonnance du 17 juin 2020 réside bien plus encore dans la réorganisation des conditions et modalités d’opposabilité des normes supérieures lorsque les documents d’urbanisme sont entrés en vigueur avant l’adoption de ces normes supérieures. Le régime actuel prévoit qu’un document d’urbanisme préexistant doit être mise en compatibilité avec une nouvelle norme supérieure (ou doit la prendre en compte) dans un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur d’une telle norme supérieure. Mais la loi a prévu trois autres régimes d’opposabilité de normes supérieures.

Compte tenu du nombre de normes supérieures qui s’imposent (et dont les calendriers d’élaboration ou d’évolution ne font l’objet d’aucune coordination systématique…) et des délais différents d’opposabilité de ces normes, les documents d’urbanisme pourraient – théoriquement- se trouver dans un « tourbillon » permanent de procédures de modifications ou, plus probablement de révisions (puisque l’incompatibilité d’un document d’urbanisme ne concerne sans doute pas des « points de détails » qui pourraient être « modifiés » mais des options majeures qui doivent être « révisées »…), avec une capacité limitée d’anticiper les échéances à respecter…

Ce constat avait déjà amené le Sénat à adopter en novembre 2016 une proposition de loi tendant à stabiliser le contenu des documents d’urbanisme au regard de l’ « instabilité chronique » résultant de l’évolution des normes supérieures.

L’ordonnance du 17 juin 2020 a repris ce dispositif à son compte : désormais, il reviendra aux collectivités compétentes de procéder, au plus tard tous les trois ans, à une « analyse de la compatibilité (et de la prise en compte) » des normes supérieures qui auraient été adoptées ou modifiées durant cette période triennale et, au vu de cette analyse, de délibérer pour maintenir le document d’urbanisme en vigueur (sans y apporter de changement, soit parce qu’aucune norme supérieure n’a été adoptée ou modifiée, soit parce que le document d’urbanisme reste compatible avec les normes qui ont évolué) ou pour approuver, au terme d’une procédure de modification « simplifiée », la mise en compatibilité qui s’impose.

Toutefois, afin d’accélérer les effets des SCoT, les communes et EPCI doivent procéder à l’analyse de la compatibilité de leur PLU avec le SCoT dans l’année qui suit l’entrée en vigueur du SCoT : soit le PLU reste compatible avec le SCoT et la collectivité délibérera pour le maintenir en vigueur (sans changement), soit une modification simplifiée du PLU devra être approuvée pour le mettre en comptabilité avant la fin de l’année suivant l’entrée en vigueur du SCoT.

Exception faite de la compatibilité des PLU avec le SCoT (qui doit être assurée dans l’année suivant l’entrée en vigueur du SCoT), les évolutions des SCoT, PLU et cartes communales qu’imposeront les évolutions des normes supérieures s’inscriront donc désormais dans un rythme triennal, avec des échéances prévisibles, permettant aux collectivités de prendre les dispositions nécessaires. Il faut toutefois relever une « imperfection » de ce nouveau système qui impose que, dans ce rythme triennal, il faudra assurer la compatibilité des documents d’urbanisme avec toute norme supérieure entrée en vigueur au cours de la période triennale (depuis l’adoption du document d’urbanisme ou la dernière délibération de maintien en vigueur ou de mise en compatibilité)… même si cette entrée en vigueur devait intervenir quelques semaines avant la fin des trois ans, sans plus permettre de mener à bien la procédure de modification simplifiée qui rendrait le document d’urbanisme compatible !

Pour limiter les risques juridiques, il aurait sans doute été intéressant que l’analyse de compatibilité ne concerne que les normes supérieures entrées en vigueur jusqu’à six mois avant la fin de la période triennale, pour que les documents d’urbanisme puissent encore être mis en compatibilité avant la fin des trois ans.

Si la prévisibilité qui résulte de ce nouveau régime est appréciable, le principe selon lequel les mises en compatibilité seront désormais effectuées par modification « simplifiée » posent de graves questions. En effet, une telle procédure se résume à une délibération approuvant la modification du document d’urbanisme après la « mise à disposition » du public, sans enquête publique. Et ce, quels que soient les changements nécessaires pour assurer la mise en compatibilité du document d’urbanisme, y compris s’il s’agit de changer le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) alors que de tels changements relèvent, par principe, du champ de la révision du document d’urbanisme !

Or, l’incompatibilité d’un document d’urbanisme avec une norme supérieure met très probablement en cause des options majeures du document (sinon, il ne s’agirait pas d’incompatibilité) : c’est donc de manière presque « confidentielle » (sans enquête publique) qu’au nom de l’obligation de compatibilité avec une norme supérieure, il sera désormais possible d’apporter des changements majeurs aux documents d’urbanisme. Par exemple, il est très probable que, dans les prochaines années, les objectifs de limitation de la consommation foncière et de l’étalement urbain exprimés par les SRADDET et par les SCoT (qui doivent être compatibles avec les règles des SRADDET et prendre en compte leurs objectifs), imposent la réduction voire la suppression de nombreuses zones à urbaniser (voire de zones urbaines non bâties…) délimitées par les PLU : au nom de la compatibilité avec le SCoT, l’inconstructibilité de ces terrains (reclassés en zone agricole, naturelle et forestière ou à urbaniser non constructible…) pourrait être décidée « en catimini », sans enquête publique, après « mise à disposition » du public d’un « dossier de modification simplifiée tendant à la mise en compatibilité du PLU avec le SCoT » qui, avec un tel intitulé ne maquera sans doute pas d’intéresser largement les propriétaires concernés ! On ne peut pas exclure que de telles atteintes au droit de propriété sans concertation ou participation effectivement garantie du public puisse, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité posée à l’occasion d’un contentieux relatif à un tel reclassement de zonage, donner l’occasion au Conseil constitutionnel de déclarer cette procédure contraire aux droits garantis par la Constitution…

Il aurait paru plus respectueux des droits de citoyens que la mise en compatibilité des documents d’urbanisme relève du champ de la modification « de droit commun » (avec une enquête publique), ce qui n’aurait sans doute pas allongé significativement la durée de la procédure de mise en compatibilité mais aurait permis une participation citoyenne effective. Peut-être la loi de ratification de l’ordonnance pourrait-elle, par amendement parlementaire à défaut d’initiative gouvernementale, corriger ce point ?…

Bien sûr, il ne serait pas « interdit » à une collectivité de mettre son document d’urbanisme en compatibilité par une procédure de révision, mais le délai d’un an imparti avant qu’un PLU ne soit illégal en raison de son incompatibilité avec un SCoT entré en vigueur ne permet guère de mener une procédure de révision dans un délai aussi bref…

La dernière « innovation » apportée par l’ordonnance du 17 juin 2020 « officialise »la pratique de certains services déconcentrés d’exprimer, en sus des informations portées à la connaissance des collectivités qui élaborent des documents d’urbanisme (c.urb., art. L. 132-2), les « enjeux » pour le territoire tels que l’État les ressent. Si une telle « note d’enjeux » (qui n’a jamais été interdite…) n’est pas adressée spontanément par le préfet, les établissements publics de SCoT (ainsi que, en l’absence de SCoT exclusivement, les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de PLU…) pourront en demander la transmission par le préfet, même si un retard ou omission dans la transmission de cette note n’aura pas d’effet sur la procédure d’élaboration ou de révision (c.urb., art. L. 132-4-1).

Moderniser les SCoT

Le second chantier ouvert par la loi ELAN tendait à adapter le périmètre et le contenu du SCoT, pour tirer les conséquences de la création des SRADDET et de la compétence intercommunale en matière de PLU. En effet, avec la généralisation des SRADDET et l’exercice intercommunal de la compétence en matière de PLU, certains ont pu estimer que les SCoT n’avaient tout simplement plus de raison d’être !

La démarche de concertation « Planifions nos territoires ensemble » mise en œuvre par le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales entre mars et novembre 2019 a permis de souligner tout l’intérêt des SCoT en tant que documents de planification « stratégique » des territoires locaux. L’ordonnance du 17 juin 2020 traduit trois orientations principales : l’élargissement souhaité du périmètre du SCoT au « bassin d’emploi », le positionnement du SCoT à une échelle « stratégique » et la modernisation et l’allègement de son contenu.

L’ambition de périmètres étendus

En 2020, les quelques 473 périmètres de SCoT arrêtés (dont 356 SCoT approuvés) concernaient, en moyenne, 1 054 km², 65 communes et 135 000 habitants, mais avec des disparités extrêmes : les plus petits périmètres de SCoT concernent 78 km², 3 communes ou 6 000 habitants, tandis que les périmètres les plus étendus couvrent 12 000 km², 466 communes ou 7,1 millions d’habitants !

Si l’on peut raisonnablement s’interroger sur la capacité d’un SCoT à « mettre en cohérence » les questions d’urbanisme, d’habitat, de développement économique, de déplacements et d’environnement (c.urb., art. L. 143-3)à l’échelle de 3 communes ou de moins de 100 km² ou de 10 000 habitants, force est de constater que l’extrême hétérogénéité des quelque 500 périmètres de SCoT résulte exclusivement d’arrêtés préfectoraux qui ont « validé » ces périmètres, alors que les critères de délimitation sont identiques pour l’ensemble du territoire national !

Le périmètre de SCoT – proposé par les collectivités intercommunales compétentes et arrêté par le préfet – doit « prendre en compte » les besoins de protection des espaces naturels et agricoles et les besoins et usages des habitants en matière de logements, d’emplois, d’équipements, de services et d’espaces verts. Ces critères relèvent plutôt des logiques de « bassins de vie » (selon l’Insee, il s’agit du « plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants » (services aux particuliers, commerce, enseignement, santé, sports, loisirs et culture, transports)). L’ordonnance y ajoute la prise en compte des « déplacements et modes de vie quotidiens au sein du bassin d’emploi » (référence aux « zones d’emploi » que l’Insee définit comme un « espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent », a priori plus vastes que les bassins de vie). Pour autant, il n’est pas certain que cette ambition emporte des évolutions significatives de la géographie des 500 périmètres de SCoT déjà arrêtés.

En effet, un périmètre de SCoT est soumis à une contrainte « structurelle » : il ne peut scinder le périmètre d’une communauté de communes, d’agglomération ou urbaine ou d’une métropole. Or, il ne semble pas que le périmètre de ces établissements publics de coopération intercommunale ait été défini en fonction des « bassins d’emplois » (dont les contours statistiques évoluent régulièrement…) : il est fréquent que des communautés soient concernés par plusieurs bassins d’emplois… ce qui laisserait donc ouverte leur intégration à plusieurs périmètres de SCoT potentiels (sachant qu’elles ne pourraient au final être membres que d’un seul établissement public (et donc périmètre) de SCoT. Il ne semble pas acquis que les ambitions de périmètres de SCoT élargis justifient la recomposition de la géographie intercommunale…

Mais, potentiellement, le « critère » supplémentaire de délimitation du périmètre de SCoT (qui ne remplace pas les autres critères) ne concernera sans doute que les « nouveaux » périmètres de SCoT qui pourraient encore être délimités sur le quart du territoire national (concernant 17 % des communes et 10 % de la population française) qui n’est pas encore compris dans un périmètre de SCoT arrêté. Là où aucun périmètre de SCoT n’a encore été délimité, le préfet pourrait refuser d’arrêter un périmètre proposé par les EPCI compétents qui prendrait insuffisamment en compte les déplacements et modes de vie quotidiens au sein du bassin d’emploi (c.urb., art. L. 143-3), tout comme il pourrait initier la délimitation d’un nouveau périmètre prenant en compte ce critère (c.urb., art. L. 143-7).

L’élargissement des périmètres de SCoT existants semble quant à elle beaucoup moins probable :

  • si le préfet – comme l’établissement public en charge d’un SCoT – peut engager une procédure tendant à l’élargissement d’un périmètre de SCoT existant, cette procédure ne peut aboutir qu’avec l’accord de la majorité qualifiée des EPCI concernés (représentant au moins 2/3 des communes et 1/2 des habitants ou 1/2 des communes et 2/3 des habitants) : faute d’un tel accord, l’État ne dispose pas de moyen d’imposer l’extension d’un périmètre existant ;
  • l’hypothèse la plus simple à mettre en œuvre consiste à étendre un périmètre existant à des EPCI qui ne sont intégrés dans aucun autre périmètre de SCoT: le ou les EPCI acceptent de devenir membre(s) de l’établissement public de SCoT (qui accepte leur adhésion) ; le périmètre de SCoT est « automatiquement » étendu et l’établissement public de SCoT devra engager la révision du schéma permettant de couvrir la totalité de son périmètre au plus tard lors de l’analyse des résultats de l’application du SCoT (c.urb., art. L. 143-10) ;
  • une autre hypothèse simple pourrait consister à « fusionner » deux périmètres de SCoT qui seraient gérés par un même établissement public (sauf s’il s’agit d’un PETR qui ne peut être compétent en matière de SCoT que pour un schéma couvrant tout son périmètre) qui assurerait la gestion des deux SCoT qui resteraient applicables jusqu’à l’approbation d’un SCoT unique ;
  • en revanche, scinder des périmètres de SCoT existants serait particulièrement délicat puisqu’en cas de retrait d’un établissement public de SCoT, les dispositions du SCoT sont abrogées et les communes concernées se verraient opposer, jusqu’à l’entrée en vigueur d’un SCoT les concernant, toutes les interdictions résultant de l’absence de SCoT (c.urb., art. L. 142-4)… ce qui constituerait un frein sérieux à de tels « redécoupages »

Dans le cas particulier où le périmètre du SCoT correspond à celui d’un PLU intercommunal, l’analyse des résultats de l’application du SCoT (au plus tard six ans après l’approbation du SCoT) doit comporter un examen de l’opportunité d’élargir le périmètre du schéma, et le conseil communautaire doit alors débattre spécifiquement sur l’évolution éventuelle du périmètre avant de décider du maintien en vigueur ou de la révision du SCoT (c.urb., art. L. 143-28).

L’ambition de l’État de voir des périmètres de SCoT étendus pour prendre en compte les « bassins d’emplois » pourrait donc n’avoir qu’un effet d’annonce avec une traduction effective très limitée.

L’ambition d’un projet plus « stratégique »

Sans bouleversement fondamental sur le fond, le contenu du SCoT est réorganisé pour mettre davantage en avant le projet stratégique dont le SCoT devrait être l’expression, bien plus que les champs « prescriptifs » dans lesquels il s’engage parfois.

Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) devient le « projet d’aménagement stratégique » (PAS), pour lequel le code n’énumère plus une litanie de thématiques pour lesquelles le PADD devait fixer les objectifs des politiques publiques (urbanisme, logement, transports et déplacements, implantation commerciale, équipements structurants, développement économique, touristique et culturel, développement des communications électroniques, qualité paysagère, protection et mise en valeur des espaces naturels, agricoles et forestiers, préservation et mise en valeur des ressources naturelles, lutte contre l’étalement urbain, préservation et remise en bon état des continuités écologiques) (c.urb., art. L. 141-4)., mais exprime désormais des « attentes » légales : les objectifs de développement et d’aménagement du territoire à 20 ans doivent favoriser « un équilibre et une complémentarité des polarités urbaines et rurales, une gestion économe de l’espace limitant l’artificialisation des sols, les transitions écologique, énergétique et climatique, une offre d’habitat, de services et de mobilités adaptés aux nouveaux modes de vie, une agriculture contribuant notamment à la satisfaction des besoins alimentaires locaux », et respecter et mettre en valeur « la qualité des espaces urbains comme naturels et des paysages » (c.urb., art. L. 141-3).

Le contenu du document d’orientation et d’objectifs (DOO) est lui aussi réorganisé : les neuf thématiques (gestion économe des espaces, protection d’espaces agricoles, naturels et urbains, habitat, transports et déplacements, équipements commercial et artisanal, qualité urbaine, architecturale et paysagère, équipements et services, infrastructures et réseaux de communications électroniques, performances environnementales et énergétiques) sont regroupées en trois « blocs » (activités économiques, agricoles et commerciales ; offre de logements, de mobilité, d’équipements, de services et densification ; transition écologique et énergétique, valorisation des paysages, objectifs chiffrés de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers).

Cette « réorganisation » permet globalement de retrouver toutes les orientations thématiques que les SCoT« ante-modernisation »avaient pu exprimer, d’autant que le DOO peut décliner toute autre orientation nécessaire à la traduction du PAS, si elle relève des objectifs des politiques d’urbanisme (c.urb., art. L. 101-2) et de la compétence des collectivités publiques en matière d’urbanisme (c.urb., art. L. 141-4). Les dispositions spécifiques relatives au commerce (c.urb., art. L. 141-6), aux zones de montagne (c.urb., art. L. 141-11) et au littoral (c.urb., art. L. 141-12 à 14) sont reprises par l’ordonnance, à la seule exception du « chapitre individualisé valant schéma de mise en valeur de la mer » (que les SCoT existants qui auraient choisi d’intégrer un tel chapitre individualisé gardent, par exception, la possibilité de conserver).

Toutefois, il semble désormais exclu qu’un « SCoT modernisé » comporte les dispositions très « prescriptives » qui permettaient au DOO de « dicter » aux PLU certaines de leurs dispositions réglementaires (valeurs minimales de densité maximale à garantir dans des secteurs délimités (c.urb., art. L. 141-7) voire densité minimale imposée dans des secteurs définis à proximité des transports collectifs existants ou programmés (c.urb., art. L. 141-8), obligations minimales ou maximales de réalisation d’aires de stationnement (c.urb., art. L. 141-15)) : dès lors que le Conseil d’Etat souligne que le SCoT ne dispose des seules capacités « prescriptives » prévues par la loi (CE, 18 déc. 2017, ass. Regroupement des organismes de sauvegarde de l’Oise et a., n° 395216), les SCoT« modernisés »ne pourront plus aller dans ce niveau de prescriptions, même s’ils gardent la possibilité d’exprimer des « orientations » en matière de densité (notamment sous forme « logements/hectare ») ou de stationnement. Seule reste expressément prévue la possibilité pour le DOO d’exprimer, à l’égard des PLU, des conditions d’ouverture à l’urbanisation de nouveaux secteurs (urbanisation prioritaire de friches, de terrains en zone urbanisée, de zones déjà ouvertes à l’urbanisation (c.urb., art. L. 141-8, 1°), réalisation d’une étude de densification des zones urbanisées (c.urb., art. L. 141-8, 2°) ou d’une évaluation environnementale (c.urb., art. L. 141-9)).

À côté de ces deux documents fondamentaux – PAS et DOO – l’ordonnance relègue en annexe le contenu de l’actuel rapport de présentation (ce qui ne change rien aux exigences juridiques de contenu concernant le diagnostic territorial, l’évaluation environnementale ou la justification des choix (c.urb., art. L. 141-15)). L’établissement public de SCoT peut aussi annexer au SCoT « tous documents, analyses, évaluations ou autres utilisés pour l’élaboration du schéma ». Un « programme d’actions » (à valeur indicative) peut également être annexé au PLU permettant d’ afficher, dans le dossier de SCoT dès lors que cela semble opportun, les actions prévues pour mettre en œuvre la stratégie, les objectifs et les orientations du SCoT, notamment lorsqu’elles s’inscrivent dans des objectifs nationaux ou régionaux ou des dispositifs contractuels (c.urb., art. L. 141-19) ; cette annexe n’est toutefois pas obligatoire et rien n’interdit de définir et de mettre en œuvre un programme d’actions de mise en œuvre du SCoT sans qu’il soit « annexé » au dossier de SCoT.

L’établissement public de SCoT, si ses membres lui ont transféré leur compétence concernant l’élaboration d’un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) peut aussi choisir d’intégrer ce PCAET dans le SCoT, en répartissant alors les éléments du PCAET dans le PAS et le DOO ainsi que dans un programme d’actions. Cette intégration (non obligatoire : s’il est compétent, l’établissement public de SCoT garde la possibilité d’élaborer et de mettre en œuvre un PCAET qui ne serait pas intégré au dossier de SCoT) comporte plusieurs contraintes procédurales à l’égard des établissements publics membres (c.urb., art. L. 141-16 à -18).

Enfin, si le SCoT relève de la compétence d’un pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), le nouveau projet d’aménagement stratégique (PAS) du SCoT pourra, si les élus le souhaitent, tenir lieu de « projet de territoire » prévu par l’article L. 5741-2 du code général des collectivités territoriales.

Une entrée en vigueur à partir du 1eravril 2021

Le législateur a fixé lui-même l’entrée en vigueur des ordonnances qu’il a habilité le Gouvernement à adopter « à compter du 1eravril 2021 » (Loi n° 2018-1021, art. 46). Ainsi, les ordonnances du 17 juin 2020 ont-elles toutes les deux prévu que leurs dispositions seront applicables aux documents d’urbanisme dont l’élaboration ou la révision sera prescrite après le 31 mars 2021 : tous les documents d’urbanisme dont l’élaboration ou la révision aura été prescrite avant le 1eravril 2021 restent soumis au régime actuel.

Éventuellement, un établissement public de SCoT qui a engagé l’élaboration ou la révision d’un SCoT avant le 1eravril 2021 et qui n’aura pas encore arrêté le projet de SCoT peut décider – au plus tard lorsqu’il arrête le projet de schéma – d’appliquer l’une ou l’autre ou les deux ordonnances par « anticipation » à la condition que le SCoT n’entre pas en vigueur avant le 1eravril 2021. Cette condition semble assez facile à respecter puisqu’un SCoT approuvé entre en vigueur « au plus tôt » deux mois après sa transmission au préfet (si celui-ci ne s’oppose pas à cette entrée en vigueur) : un SCoT approuvé transmis au préfet après le 31 janvier 2021 ne pourrait donc pas entrer en vigueur avant le 1eravril 2021 ; dans le contexte particulier de l’état d’urgence sanitaire – et du calendrier de réinstallation des organes délibérants des établissements publics de SCoT-, il semble assez improbable qu’un projet de SCoT en cours d’élaboration ou de révision le 18 juin 2021 ait pu être arrêté avant l’automne 2020, pour faire l’objet des consultations administratives et d’une enquête publique et puisse être approuvé au début de l’année 2021…

Si une application anticipée est décidée, elle concernera toutes les dispositions de l’ordonnance qu’il sera décidé d’appliquer par anticipation : il ne serait pas possible d’opter pour la nouvelle hiérarchie des normes (par exemple : suppression de l’obligation de compatibilité avec une directive territoriale d’aménagement) ou pour une mise en compatibilité par modification simplifiée et de ne pas opter pour l’analyse triennale de compatibilité (ou l’inverse) ; de même, l’option d’élaborer un SCoT tenant lieu de PCAET ne pourra pas maintenir de rapport de présentation et de PADD…

Pourtant, en l’absence d’application anticipée pour des procédures d’élaboration ou de révision prescrites avant le 1eravril 2021, les effets des deux ordonnances pourraient n’être perçus qu’après plusieurs années : tant qu’aucune révision d’un document d’urbanisme ne sera prescrite, aucune disposition des ordonnances ne s’appliquera.

Un SCoT dont l’élaboration ou la révision aurait été prescrite en décembre 2019 et dont l’établissement public n’opterait pas pour l’application anticipée du régime des SCoT modernisé pourrait n’entrer en vigueur qu’après quatre années de procédure… et ne devoir être mis en révision qu’après six autres années… : le SCoT« modernisé » pourrait n’être approuvé que dans une quinzaine d’années !

En fait, seul l’intérêt que présentent les dispositions résultant de ces deux ordonnances – la hiérarchie des normes rationnalisée comporte des obligations plus limitées de compatibilité, organise un rythme régulier et prévisible de mise en compatibilité, par modification « simplifiée » ; le SCoT « modernisé » offre plus de possibilités, qui restent « optionnelles »– pourrait inciter les collectivités à relever de ces nouveaux régimes… tout simplement en prescrivant la révision de leurs documents d’urbanisme dès le 1eravril 2021 (ou avant cette date, avec option d’application anticipée), même si la mise en œuvre de cette révision ne présente par elle-même aucune « urgence ».