Les clauses annexées à une DIA sont-elles toutes opposables ?

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Michaël MOUSSAULT
Avocat associé
DS Avocats

 

Louis CHEVALLIER
Avocat
DS Avocats

Les Journées du BJDU se dérouleront le 6 et 7 décembre prochain et seront l’occasion d’aborder les sujets ayant fait l’actualité de l’année écoulée en maîtrise foncière. Si la question du sort des clauses annexées à une déclaration d’intention d’aliéner n’est pas nouvelle, elle n’en reste pas moins, par sa récurrence, un sujet d’actualité. Le caractère parfois contraignant de ces clauses conduit les titulaires du droit de préemption à s’interroger sur leur opposabilité et sur les limites de cette opposabilité.

Sur le principe d’opposabilité des clauses mentionnées ou annexées à une DIA

Pour bien appréhender la question de l’opposabilité des clauses contenues dans une DIA, il est important de rappeler que la préemption est analysée par la jurisprudence[1]comme la substitution d’un des contractants, et non comme la formation d’un nouveau contrat entre le propriétaire et le titulaire du droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’une aliénation sous forme de vente de gré à gré ne faisant pas l’objet d’une contrepartie en nature est envisagée, la DIA doit être considérée comme une offre d’acquérir (3eCiv., 16 juin 1982, Bull. civ. 1982, III, n° 162, p. 118 ; CE 5 octobre 1988, n° 65449 ; CE 19 février 1997, n° 133249). De la même manière, lorsqu’une condition est contenue dans une DIA ou dans les pièces qui y sont annexées, cette condition doit être regardée comme faisant partie intégrante de cette offre d’acquérir.

Par conséquent, dans la mesure où le bénéficiaire du droit de préemption doit, en sa qualité de substituant, reprendre à sa charge les conditions de la vente projetée, ces conditions lui sont  opposables (3eCiv., 30 mai 1996, n° 94-14678 ; CA Montpellier, 4 novembre 2003, RG n° 02/03169).

Très concrètement, si le titulaire du droit de préemption exerce son droit « aux conditions et prix proposés », en application du b) de l’article R. 213-8 du code de l’urbanisme, il sera tenu par les conditions notifiées dans la DIA.

En effet, en acceptant les conditions et prix proposés dans l’offre d’acquérir matérialisée par la DIA, le titulaire du droit de préemption s’engage contractuellement à les respecter[2].

Ces clauses – qui sont donc opposables au titulaire du droit de préemption lorsqu’il exerce son droit « aux conditions et prix proposés » dans la DIA – peuvent parfois être contraignantes comme l’illustre un arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier : « Le titulaire du droit de préemption est tenu par les conditions fixées dans la déclaration d’aliéner, et notamment par la clause restrictive de jouissanceimposée par Mesdames L.et J. dans la déclaration d’aliéner, par laquelle elles se réservent « le droit de pénétrer dans l’immeuble pendant trois ans et l’acquéreur ne peut apporter aucune modification du bien vendu pendant la même période ». (CA Montpellier, 4 novembre 2003, RG n° 02/03169)

Cet arrêt est particulièrement intéressant car dans cette affaire, les restrictions étaient telles que les clauses pouvaient faire obstacle à la réalisation du projet d’intérêt général qui a motivé l’exercice du droit de préemption.

Compte tenu des risques générés par ces clauses, il est utile de préciser les limites de leur opposabilité et de s’interroger sur la possibilité, pour le bénéficiaire du droit de préemption, de s’y soustraire.

Sur les limites de l’opposabilité des clauses mentionnées ou annexées à une DIA

Deux limites à l’opposabilité des clauses contenues dans une DIA peuvent être identifiées : d’une part, les clauses mentionnées ou annexées dans une DIA n’auront pas pour effet d’étendre ou de restreindre le champ d’application du droit de préemption et d’autre part, le titulaire du droit de préemption pourra formuler une contre-offre qui empêchera la formation du contrat aux conditions prévues dans la DIA.

Sur l’absence d’effet des clauses mentionnées dans une DIA sur le champ d’application du droit de préemption urbain

La première limite du principe d’opposabilité des conditions mentionnées dans une DIA est constituée par son absence d’effet sur le champ d’application du droit de préemption urbain. En effet, une telle clause ne peut restreindre ou étendre le champ d’application du droit de préemption urbain, qu’il soit matériel ou géographique.

Ainsi, une condition d’indissociabilité ne peut restreindre le champ d’application matériel du droit de préemption en incluant un bien qui n’y est pas soumis par nature.

La Cour de cassation l’a rappelé très clairement, s’agissant d’une condition d’indivisibilité entre un bien et un bail à construire[3]. Cette inopposabilité a également été admise à l’encontre d’une clause d’indissociabilité portant notamment sur un fonds de commerce (CA Rouen, 16 janvier 2013, RG n° 11/04556).

Il est à noter que ces solutions jurisprudentielles auraient pu être consacrées sur le plan législatif, mais la proposition de loi n’a pas été adoptée[4].

L’impossibilité de restreindre le champ d’application du droit de préemption s’entend également au sens géographique dans la mesure où sont considérées comme inopposables des clauses d’invisibilité portant sur des terrains non contigus situées hors du périmètre du droit de préemption urbain (TA Cergy-Pontoise, 29 août 2008, n° 06-09675 ; CAA Bordeaux, 5 décembre 2005, n° 01BX02629).

Cette solution garantit les intérêts du titulaire du droit de préemption urbain dont le champ d’application ne peut donc être restreint par l’effet d’une condition d’indissociabilité.

Inversement, une condition mentionnée dans une DIA ne peut pas permettre au titulaire du droit de préemption d’étendre le champ d’application de son droit sur des biens qui n’y sont pas soumis, comme l’a déjà précisé la Cour de cassation, au sujet d’une clause d’indivisibilité portant sur un fonds de commerce[5].

Cette même logique préside aux règles applicables en cas d’aliénation d’une unité foncière partiellement incluse dans un périmètre de préemption, telles qu’elles sont prévues à l’article L. 213-2-1 du code de l’urbanisme. Dans cette hypothèse, il sera adressé une DIA relative à l’ensemble de l’unité foncière au titulaire du droit de préemption qui ne pourra que préempter la seule portion de cette unité comprise dans le périmètre de ce droit.

Au contraire, si le titulaire du droit de préemption exerce son droit aux « prix et conditions proposés » sur l’ensemble de l’unité foncière et, partant, sur une partie de cette unité non comprise dans la zone de préemption, il commet une illégalité (CAA Nantes, 24 mars 2009, n° 08NT01394)

Autrement dit, les conditions de vente sont sans conséquence sur le champ d’application géographique du droit de préemption puisque le titulaire du droit de préemption ne peut exercer son droit que sur la partie du bien qui y est soumise.

Dans ce cas, le bénéficiaire du droit de préemption ne pourra pas préempter aux « prix et conditions » prévus dans la DIA (puisqu’une partie du bien n’est pas soumise au droit de préemption), il devra préempter à un autre prix qui concernera uniquement la partie du bien assujetti au droit de préemption, sans pouvoir disposer de l’ensemble des options prévues à l’article R. 213-8 du code de l’urbanisme.

Reste la question des clauses contraignantes d’une DIA relatives à des biens soumis au droit de préemption.

Sur la possibilité de proposer une contre-offre permettant d’échapper à l’opposabilité d’une clause notifiée dans une DIA

Le principe d’opposabilité des conditions de vente prévues dans une DIA ne signifie pas pour autant que le titulaire du droit de préemption ne peut jamais y échapper. Comme il a été précisé ci-avant, une DIA s’analyse comme une offre d’acquérir et les clauses qui y sont mentionnées en font partie intégrante. Toutefois, le titulaire du droit de préemption n’est pas définitivement contraint par cette proposition puisqu’il dispose de la faculté de présenter une contre-offre.

En effet, le c) de l’article R. 213-8 du code de l’urbanisme permet au titulaire du droit de préemption, lorsque l’aliénation est envisagée sous forme de vente de gré à gré ne faisant pas l’objet d’une contrepartie en nature, de notifier au propriétaire une offre d’acquérir à un prix différent de celui proposé dans la DIA et, à défaut d’acceptation de cette offre, son intention de faire fixer le prix du bien par la juridiction compétente en matière d’expropriation.

Cette faculté est également prévue au b) de l’article R. 213-9 du code de l’urbanisme, lorsque l’aliénation prévoit une contrepartie en nature. En proposant ainsi une nouvelle offre, le titulaire de droit de préemption peut échapper à l’application des clauses figurant dans la DIA dès lors que sa contre-proposition ne reprend pas lesdites clauses. Il s’agit en effet d’une nouvelle proposition de contracter à un prix et des conditions différentes, comme l’a déjà analysé la doctrine [6][7].

Autrement dit, si les dispositions de l’article R. 213-8 c) du code précité ne prévoit pas expressément que cette nouvelle offre s’entend également des conditions proposées puisqu’il n’est évoqué que la proposition d’un prix, l’esprit et l’articulation avec le b) de ces mêmes dispositions (préemption « aux prix et conditions proposés ») conduisent à considérer que le titulaire a la possibilité de modifier les conditions de vente proposées par le vendeur dans sa DIA.

Il s’agit de la même logique qui préside à l’application de l’article R. 213-9 du même code, où la proposition d’un nouveau prix permettra au titulaire du droit de préemption d’échapper à la contrepartie en nature prévue dans la DIA et, partant, à modifier les conditions de vente initiales[8].

La doctrine a déjà pu souligner l’avantage de cette solution qui permet de respecter l’équilibre entre la satisfaction de l’intérêt général et la liberté contractuelle[9]. En effet, en formulant une contre-offre, le titulaire du droit de préemption ne démantèle pas le contrat initialement prévu, mais en propose un nouveau que le vendeur est libre de refuser en renonçant à l’aliénation, comme le permet le c) de l’article R. 213-10 du code de l’urbanisme.

S’agissant de cette contre-offre qui sera matérialisée par la décision de préemption, (et bien que cela ne soit pas expressément prévu par les textes) sa motivation pourra préciser que les conditions initialement proposées dans la DIA ne sont pas reprises et, le cas échéant, que celles-ci faisaient obstacle à la réalisation du projet justifiant l’exercice du droit de préemption.

Se pose, enfin, la question de savoir si la décision de préemption peut prévoir un prix identique à la DIA, mais seulement à des conditions différentes. Comme il vient d’être précisé, l’article R. 213-8 c) précité prévoit uniquement la possibilité pour le titulaire du droit de préemption de proposer un prix sans envisager de pouvoir proposer de nouvelles conditions de vente.

Ainsi, dans le silence des textes et pour faire échec à une clause jugée trop contraignante, il paraît plus prudent de proposer un nouveau prix, différent de celui indiqué dans la DIA.

[1]Cass. 3èmeciv., 19 juillet 1982 : Bull. civ. 1982, III, n° 180, n° pourvoi 81-11080

[2]L’opposabilité des conditions contenues dans une déclaration d’intention d’aliéner, Dutrieux, JCP N 2002. 1283

[3]« (…) La cour d’appel, (…) a retenu, à bon droit, que le droit de préemption de la commune ne pouvait concerner le bail à construction dont la société CIEN était titulaire et que la transmission simultanée du terrain et du droit au bail ne pouvait y faire échec, et en a exactement déduit qu’il ne pouvait être fait grief au notaire rédacteur de ne pas avoir fait apparaître la solidarité voulue par les deux venderesses dès lors que cette condition était inopposable à la commune pour l’application de son droit » (3eCiv., 11 mai 2000, n° 97-18160).

[4]Une proposition de loi du 18 mai 2011 visant à faire du droit de préemption urbain un véritable outil de politique foncière au service de l’aménagement des territoires prévoyait notamment d’inclure dans l’article L. 213-3 du code de l’urbanisme une disposition selon laquelle serait considérée comme inopposable au titulaire du droit de préemption une condition d’indissociabilité mentionnée dans une DIA portant sur un élément qui par nature n’était pas soumis à ce droit.

[5]Qu’en statuant ainsi,en se prononçant sur la consistance et la valeur du fonds de commerce alors que seuls les biens immobiliers sont soumis au droit de préemption, la Chambre des expropriations de la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés » (3eCiv., 9 juin 2004, n° 03-70.066)

[6]L’opposabilité des conditions contenues dans une déclaration d’intention d’aliéner, Dutrieux, JCP N 2002. 1283

[7]Les conditions de la vente sont-elles opposables à l’administration ?, Élise Carpentier, BJDU 2/2017, p. 73

[8]À cet égard, la jurisprudence administrative mentionnait « une offre substituant à cette contrepartie en nature le paiement d’une somme de 4 153 euros, incluse dans le prix global de 41 403 euros proposé par la commune » (CAA Nancy, 10 juin 2010, n° 09NC00542)

[9]  Le Professeur Carpentier évoque un « équilibre entre la satisfaction de l’intérêt général par l’exercice du droit de préemption urbain et la sauvegarde des droits et libertés individuels. Elle offre la juste mesure permettant de regarder le droit de préemption comme un droit d’insertion et non comme celui de démanteler un contrat ou un groupe de contrat ». Les conditions de la vente sont-elles opposables à l’administration ?, Élise Carpentier, BJDU 2/2017, p. 73