Le principe de participation du public

Yann Aguila
Avocat à la Cour

1) Le principe de participation du public est-il applicable en matière d’urbanisme ?

Le principe de participation du public, déjà consacré dans le Code de l’environnement, a été élevé au rang constitutionnel par l’article 7 de la Charte de l’environnement de 2004. Ce dernier consacre le droit « d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Le principe de participation est donc applicable non seulement en matière d’environnement stricto sensu, mais également aux décisions d’urbanisme dès lors qu’elles ont une « incidence sur l’environnement ». C’est ainsi que la première application de l’article 7 de la Charte de l’environnement par le Conseil d’État était relative à l’articulation des lois Montagne et Littoral, et donc au droit de l’urbanisme (CE 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, req. n° 297931).

D’autres articles de la Charte de l’environnement ont également été appliqués lors du contrôle d’un permis de construire (CE 19 juillet 2010, Association du quartier Les Hauts de Choiseul, req. n° 328687) ou d’une déclaration d’utilité publique (CE 16 avril 2010, Association Alcaly et autres, req. n° 320667). Il reste cependant encore des incertitudes sur le champ d’application de ce principe (par exemple, son application aux autorisations d’occupation du sol d’une certaine importance), qu’il appartiendra à la jurisprudence de lever progressivement, notamment en précisant l’étendue de la notion de « décision publique ayant une incidence sur l’environnement ».

2) Dans quelle mesure l’article 7 de la Charte de l’environnement est-il invocable ?

Il faut distinguer deux questions. Contre une loi, la Charte de l’environnement, et en particulier son article 7, sont invocables sans aucune restriction. Le Conseil constitutionnel l’a affirmé tant dans le cadre de son contrôle a priori [1], qu’a posteriori (décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, France Nature Environnement). Par ailleurs, l’article 7 est également invocable contre un acte administratif, devant le juge administratif. L’arrêt Commune d’Annecy a clarifié la jurisprudence en affirmant expressément que la Charte s’impose à l’administration. Le Conseil d’État interprète l’article 7 comme conférant une compétence exclusive au législateur pour organiser la participation du public. Cette solution a été reprise par les décisions du 24 juillet 2009, CRII-GEN, req. n°s 305614 et 305615 qui annulent les décrets relatifs à la participation du public en matière d’autorisation de culture d’OGM, ces décrets étant intervenus dans le domaine de la loi en organisant eux-mêmes la procédure. De manière intéressante, dans cette dernière décision, le Conseil d’État censure non seulement le décret, mais même la loi, pour méconnaissance de la Charte. Comme la loi renvoyait expressément au décret le soin d’organiser cette procédure, elle méconnaissait frontalement l’article 7. Or, s’agissant d’une loi antérieure à la Charte, le Conseil d’État a fait application de la théorie de l’abrogation implicite : il écarte lui-même la loi de 1992, comme ayant été implicitement abrogée par la Charte de 2004.

La Charte peut donc bien être invoquée, au contentieux, contre un acte administratif. Une incertitude subsiste cependant sur le point de savoir ce qu’il reste de l’arrêt Association Eaux et rivières de Bretagne (CE 19 juin 2006, req. n° 282456). Cet arrêt affirmait que « lorsque des dispositions législatives ont été prises pour assurer la mise en œuvre des principes » de la Charte, alors « la légalité des décisions administratives s’apprécie par rapport à ces dispositions ». Si cet arrêt semblait avoir été renversé par la jurisprudence Commune d’Annecy, le Conseil d’État l’a pourtant confirmé lorsqu’existent des dispositions législatives de mise en œuvre (CE 23 avril 2009, France Nature Environnement, req. n° 306242).

Mais qu’en est-il en l’absence de loi de mise en œuvre ? Un arrêt laisse entendre que dans cette hypothèse, il appartient tout de même à l’administration d’organiser une consultation du public lorsqu’elle édicte une décision particulière (CE 23 février 2009, Fédération transpyrénéenne des Éleveurs de montagne, req. n° 292397).

3) La convention d’Aarhus est-elle également invocable devant le juge administratif ?

L’invocabilité de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998, principale source internationale dans ce domaine, est plus problématique. Selon la jurisprudence traditionnelle, une stipulation d’une convention internationale ne peut être invoquée devant le juge que si elle est « d’effet direct », c’est-à-dire si d’une part, par sa forme, elle est suffisamment claire et précise, et si, d’autre part, par son contenu, elle régit directement la situation des particuliers.

Sur cette base, le Conseil d’État procède à une sélection en distinguant, parfois même au sein d’un même article, les stipulations invocables devant lui, de celles qui ne le sont pas. En matière de participation du public, le juge administratif juge ainsi qu’au sein de l’article 6 de la Convention d’Aarhus, son paragraphe 3 est d’effet direct, mais il dénie ce caractère à son paragraphe 4. Ce dernier, en vertu duquel la participation du public « commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence », n’est donc pas invocable devant le juge administratif. On peut le regretter. En ce début du XXIe siècle, compte tenu du formidable développement du droit international, ne faudrait-il pas procéder à une relecture de cette jurisprudence ?

4) Quelles sont les procédures minimales impliquées par le principe de participation du public ?

L’interprétation jurisprudentielle de l’article 7 de la Charte va permettre au juge de préciser la portée de cette exigence. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que la simple publication d’un projet, en l’absence de procédure de recueil des observations du public, ne permettait pas de satisfaire l’exigence de participation (décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, France Nature Environnement, à propos des décrets de nomenclature et des prescriptions générales applicables aux installations classées).

De même, le Conseil d’État avait déjà esquissé un contenu minimal exigé par la participation du public, telle qu’elle est prévue par la directive du Conseil n° 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Le juge administratif a jugé que la consultation d’un organisme représentatif (composé d’élus locaux, de représentants des syndicats et des associations) ne valait pas consultation du public (CE 6 juin 2007, Réseau Sortir du nucléaire, req. n° 292386).

5) Le principe de participation du public s’applique-t-il aux actes réglementaires ?

Traditionnellement, en France, les outils de participation du public (enquête publique ou débat public) n’étaient mis en œuvre que pour les décisions individuelles ou des projets particuliers. L’article 7 de la Charte de l’environnement exige pourtant la participation du public pour toutes les « décisions publiques » ayant une incidence sur l’environnement. Le Conseil d’État a interprété cette notion de manière large comme visant autant les décisions individuelles que réglementaires[2]. En conséquence, l’article 244 de la loi Grenelle II codifié à l’article L.120-1 du Code de l’environnement a institué un mécanisme de participation du public à l’édiction des actes réglementaires.

C’est un progrès important, même si certains ont pu regretter le caractère minimaliste de cette nouvelle procédure. Elle ne s’applique qu’aux décisions de l’État ou de ses établissements publics. Elle est organisée soit seulement sur internet, soit par la consultation d’un organisme consultatif ad hoc. Par ailleurs, la durée minimale de mise à disposition du public n’est que de quinze jours et aucun dispositif ne garantit la prise en considération de l’avis du public. Des progrès sont donc encore à faire pour aboutir au niveau d’exigence de participation du public en vigueur pour les décisions individuelles.


[1] La première décision reconnaissant l’invocabilité de la Charte est la décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, qui appliquait l’article 6. La décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 relative à la « Loi relative aux organismes génétiquement modifiés » fait application de son article 7.

[2] Avis de la Section des travaux publics du Conseil d’État lors de l’examen du projet d’ordonnance relatif à la création d’un régime d’autorisation simplifiée applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement, et avis de décembre 2008 de l’Assemblée générale lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Cf. Conseil d’État, Rapport public 2010 p. 93

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