Quelle est l’incidence de la crise sanitaire sur les procédures d’urbanisme ?

ELAN

Jean-François ROUHAUD
Avocat associé
Société d’avocats Lexcap

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de 2 mois à compter du 24 mars 2020, soit jusqu’au 24 mai 2020. Cette durée est susceptible d’être modifiée. La loi du 23 mars 2020 habilite par ailleurs le Gouvernement, en son article 11, à prendre dans un délai de 3 mois à compter de sa publication, toute mesure relevant du domaine de la loi, pouvant entrer en vigueur à compter du 12 mars 2020, afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Ces mesures trouvent place dans plusieurs ordonnances publiées au journal officiel du 26 mars 2020. L’une d’elle est l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Trois autres ordonnances concernent plus spécifiquement la justice : l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Ces quatre textes font partie des 25 ordonnances publiées le 26 mars 2020 par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire décrété face à l’épidémie de coronavirus.

À cette date du 26 mars 2020, le dispositif adopté ne vise pas spécifiquement les procédures d’urbanisme. La portée générale des mesures édictées permet toutefois de les y inclure. Sont ainsi adaptées, dans le domaine de l’urbanisme, tant l’action administrative que l’activité des juridictions.

 

1. L’action administrative : des délais suspendus, prorogés voire reportés…

Les délais et procédures en matière administrative sont modifiées par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. La portée de ces modifications est très générale.

Les mesures prises s’appliquent à l’ensemble des administrations de l’Etat, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs ainsi qu’aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale (article 6 de l’ordonnance).

Elles concernent aussi bien les délais imposés à l’administration (article 7 de l’ordonnance) que les délais imposés par l’administration (article 8 de l’ordonnance).

Elles visent les différentes formes de l’action administrative : l’édiction d’une décision, la formulation d’un accord ou d’un avis, la vérification du caractère complet d’un dossier ou la sollicitation de pièces complémentaires, la réalisation de contrôles et de travaux, la mise en conformité à des prescriptions de toute nature…

Ces mesures couvrent une temporalité très large car elles portent tant sur les délais qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 que sur les délais dont le point de départ aurait dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Au final, l’ensemble de ce dispositif modifie sensiblement l’exercice de l’action administrative pendant cette période tant en ce qui concerne la délivrance des demandes d’autorisations d’urbanisme et leur mise en oeuvre, que les documents d’urbanisme ou, encore, le mesures administratives en matière d’urbanisme.

La délivrance des autorisations d’urbanisme

En France, chaque jour, des milliers de demandes d’autorisation d’urbanisme sont déposées et des milliers d’autorisations sont accordées ou refusées. L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 adapte au contexte de crise sanitaire les délais d’instruction de ces demandes. Trois situations méritent d’être distinguées selon les dates des demandes et l’état d’avancement de leur instruction.

Demandes déposées avant le 12 mars 2020 dont le délai d’instruction est expiré avant le 12 mars 2020

Pour ces demandes, une décision est intervenue qui est soit expresse soit tacite. La crise sanitaire n’a donc aucun impact sur l’instruction de ces demandes. En revanche, les mesures prises par le gouvernement ont une incidence sur le caractère définitif des autorisations accordées.

En ce qui concerne le délai de recours des tiers et en application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, il est automatiquement prorogé de 2 mois commençant à courir à compter de l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (ce délai d’1 mois expire, en l’état actuel des textes, le 24 juin 2020).

Cette prorogation ne vaut toutefois que si le délai de recours des tiers expire entre le 12 mars 2020 et le terme du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Prenons l’exemple d’un recours qui doit être formé dans le délai de 2 mois à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme affichée sur le terrain le 15 février 2020. Le recours doit être formé avant le 15 avril 2020. Deux possibilités s’offrent au requérant. Le recours peut être formé avant le 15 avril 2020. Le recours peut également être formé jusqu’au terme du délai de 2 mois commençant à courir à l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (l’expiration du délai de recours expire donc, en l’état actuel des textes, le 24 août 2020).

Il n’est pas inutile de souligner à ce sujet qu’en vertu de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme, « le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées». Le bénéfice de la prorogation des délais de recours dépend donc, in fine, de la réalisation de cet affichage.

Les mêmes règles s’appliquent en ce qui concerne les recours exercés par le représentant de l’État dans le cadre de l’exercice de son contrôle de légalité.

Reste la question du retrait de l’autorisation d’urbanisme accordée. En vertu de l’alinéa 1er de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis de construire ou d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s’il est illégal et dans le délai de 3 mois suivant la date de la décision. Selon l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 qui vise toutes les décisions administratives enfermées dans un délai, le délai de retrait de l’autorisation sera différent selon la date de l’autorisation retirée ;

  • Si la date de l’autorisation conduit à ce que le délai de retrait expire entre le 12 mars 2020 et le terme du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, le délai de retrait de l’autorisation sera suspendu jusqu’à l’expiration de ce délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire ; le délai de retrait reprendra son cours uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension (la suspension du délai en arrête temporairement le cours sans effacer le délai ayant déjà couru) ;
  • Si la date de l’autorisation conduit à ce que le point de départ du délai de retrait se trouve entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, le point de départ du délai de retrait est purement et simplement reporté au jour de l’expiration de ce délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Demandes déposées avant le 12 mars 2020 dont le délai d’instruction n’est pas expiré avant le 12 mars 2020

Pour toutes les demandes déposées avant le 12 mars 2020 et dont le délai d’instruction n’est pas expiré avant cette date, le délai d’instruction est suspendu du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le délai d’instruction reprendra son cours uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension.

À titre d’exemple, s’agissant d’une demande de permis d’aménager déposé le 13 mars 2020 dont le délai d’instruction est de 3 mois, le délai d’instruction de cette demande commencera à courir pendant un délai de 3 mois à l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. En l’état actuel des textes, ce délai de 3 mois débutera donc le 24 juin et expirera le 24 septembre 2020. 

Compte tenu de la rédaction retenue par l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306, on peut s’interroger sur la capacité de l’autorité administrative à statuer avant le 24 juin 2020 sur la demande d’autorisation dès lors que le délai d’instruction ne commencera pas à courir avant cette date.

Un tel dispositif permet d’éviter que des autorisations d’urbanisme tacites ou des refus d’autorisation tacites puissent survenir pendant cette période malgré les contraintes résultant du confinement. En revanche, dans la mesure où le délai d’instruction a déjà commencé à courir, la mesure de suspension du délai ne semble pas s’opposer à ce que l’autorité administrative puisse statuer sur ces demandes avant l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Demandes déposées à compter du 12 mars 2020

Pour toutes les demandes d’autorisation déposées à compter du 12 mars 202, le point de départ du délai d’instruction est purement et simplement reporté au jour de l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

À titre d’exemple, s’agissant d’une demande de permis d’aménager déposé le 13 mars 2020 dont le délai d’instruction est de 3 mois, le délai d’instruction de cette demande commencera à courir pendant un délai de 3 mois à l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. En l’état actuel des textes, ce délai de 3 mois débutera donc le 25 juin et expirera le 25 septembre 2020.

Compte tenu de la rédaction retenue par l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306, on peut douter que l’autorité administrative puisse statuer avant le 25 juin 2020 sur la demande d’autorisation dès lors que le délai d’instruction n’aura pas commencé à courir.

Cette mesure s’applique, dans les mêmes conditions, au délai d’un mois dans lequel l’autorité administrative compétente peut demander au pétitionnaire de compléter sa demande ainsi qu’aux délais impartis aux autorités consultées pour formuler un accord ou un avis et aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public.

La mise en oeuvre des autorisations d’urbanisme

La mise en œuvre des autorisations d’urbanisme est également concernée par les mesures édictées car l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 vise de façon générale « les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis » de l’administration « peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 ».

Les règles décrites pour la délivrance des autorisations d’urbanisme valent ainsi pour les différents événements susceptibles d’intervenir au cours de la mise en œuvre de ces autorisations. C’est le cas notamment du délai imparti à l’administration pour procéder ou faire procéder à un récolement des travaux à la suite de la régularisation d’une déclaration attestant cet achèvement et la conformité des travaux (DAACT). C’est le cas également du délai imparti à l’administration pour répondre à un recours gracieux dirigé contre une autorisation d’urbanisme et, de manière plus générale, contre tout acte d’urbanisme.

L’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 appréhende de manière spécifique un certain nombre de mesure administratives ou juridictionnelles dont le terme vient à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit des « mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation », des « mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction », des « autorisations, permis et agréments ». Ces mesures sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de 2 mois suivant la fin de cette période.

Ce dispositif intéresse au premier chef les autorisations d’urbanisme dont le délai de validité expire pendant l’état d’urgence sanitaire. Ces autorisations seront donc automatiquement prorogées jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. À titre d’exemple, une autorisation dont le délai de validité expire le 10 avril 2020 verra ce délai prorogé jusqu’au 24 août 2020.

Les documents d’urbanisme

Le dispositif mis en place par le gouvernement concerne également les documents d’urbanisme comme les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les schémas de cohérence territoriale (SCOT). De nombreux documents ont en effet été approuvés ou révisés avant les élections municipales. Certains sont en cours d’élaboration ou de révision.

Cette situation questionne nécessairement les délais impartis au représentant de l’État pour exercer son contrôle de légalité et même, dans certains cas, l’entrée en vigueur des documents concernés.

Comme pour bon nombre d’actes édictés par les collectivités territoriales, le représentant de l’État dans le département peut adresser à la collectivité compétente, dans le cadre de l’exercice de son contrôle de légalité, un recours dans un délai de 2 mois à compter de la réception de l’acte, en préfecture ou en sous-préfecture, en précisant la ou les illégalités dont l’acte est entaché et en demandant sa modification ou son retrait.

Ce droit de recours du préfet entre dans le champ d’application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire. Si le délai d’exercice du contrôle de légalité vient à expiration entre le 12 mars 2020 et le terme du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, il est automatiquement prorogé d’un délai de 2 mois commençant à courir à compter de l’expiration de ce délai d’1 mois.

Est plus épineuse la situation des documents d’urbanisme dont l’entrée en vigueur peut dépendre de l’intervention préfectorale. En effet, l’article L. 143-24 du code de l’urbanisme prévoit, pour les SCOT, que « le schéma est exécutoire deux mois après sa transmission à l’autorité administrative compétente de l’Etat ». S’agissant des PLU, ils deviennent exécutoires à l’issue d’un délai d’1 mois à compter de leur transmission à l’autorité administrative compétente de l’État lorsqu’ils portent « sur un territoire qui n’est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale approuvé » ou lorsqu’ils comportent « des dispositions tenant lieu de programme local de l’habitat » (article L. 153-24 du code de l’urbanisme).

Les textes confèrent au préfet la possibilité de notifier à la personne publique concernée, dans les délais prévus, les modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au document et prévoient que ce dernier ne devient exécutoire qu’après l’intervention, la publication et la transmission à l’autorité administrative compétente de l’État des modifications demandées.

Les délais prescrits par les textes pour l’intervention préfectorale sont concernés par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 dès lors qu’il s’agit bien d’une « notification » prescrite « par la loi ou le règlement » à peine de « déchéance » du droit consenti à l’autorité préfectorale. L’entrée en vigueur de ces documents est, en revanche, plus incertaine. En effet, les mesures prises par le Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire, plus particulièrement celles de l’ordonnance n° 2020-306, visent l’accomplissement de différents actes et formalités prescrits par la loi ou le règlement ainsi que certaines mesures administratives ou juridictionnelles. Mais elles ne concernent pas l’entrée en vigueur des actes administratifs.

De plus, si la loi a prévu un mécanisme d’entrée en vigueur différée des SCOT et de certains PLU, elle n’a pas prévu que cette entrée en vigueur dépende d’une décision préfectorale. C’est seulement dans le cas où le préfet notifie les modifications qu’il juge nécessaire de solliciter que l’entrée en vigueur dudit document est retardée.

S’il était confirmé que l’entrée en vigueur des documents d’urbanisme n’est nullement concernée par les mesures adoptées par le Gouvernement, cette appréciation conduirait à une situation paradoxale dans laquelle les délais offerts au préfet pour s’opposer au caractère exécutoire du document d’urbanisme seraient prorogés après l’entrée en vigueur de ce document… Une autre appréciation serait de considérer que la suspension ou le report du délai imparti au préfet pour notifier les modifications qu’il juge nécessaire de solliciter diffère implicitement mais nécessairement la date d’entrée en vigueur du document d’urbanisme pour une durée équivalente.

La crise sanitaire interroge également les délais impartis aux personnes publiques associées pour formuler leur avis, dans le cadre des procédures en cours, sur un projet de document entre la phase d’arrêt de projet et la phase d’enquête publique. L’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 devrait régler ces situations :

  • Pour tous les avis devant être formulés dans un délai qui n’était pas expiré le 12 mars 2020, le délai imparti est suspendu du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire; ce délai reprendra son cours uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension ;
  • Pour tous les avis devant être formulés dans un délai commençant à courir à compter du 12 mars 202, le point de départ du délai imparti est purement et simplement reporté au jour de l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Reste enfin la question de la poursuite des procédures d’élaboration ou de révision des documents d’urbanisme en cours, dont l’enquête publique n’a pas été réalisée.

L’article 12 de l’ordonnance n° 2020-306 règle spécifiquement la question mais il ne concerne que des « projets présentant un intérêt national et un caractère urgent » (article 12 de l’ordonnance). S’agissant de documents d’urbanisme qui ne présentent pas de tels caractères, la raison commande d’interrompre et de reporter toute procédure d’enquête publique à une période plus propice à l’information et à la participation du public.

Les mesures administratives en matière d’urbanisme

Le domaine de l’urbanisme offre enfin un certain nombre de situations dans lesquelles l’administration impose aux usagers des délais pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature.

C’est le cas par exemple lorsque des travaux ont été entrepris ou exécutés sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance d’une telle autorisation. En pareil cas, l’autorité administrative compétente peut, après avoir invité une personne à présenter ses observations, la mettre en demeure, dans un délai qu’elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l’aménagement, de l’installation ou des travaux en cause, soit de déposer, selon le cas, une demande d’autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation (article L. 481-1 du code de l’urbanisme).

L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 s’applique à ce type de situation en prévoyant expressément que « lorsqu’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l’administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature sont, à cette date, suspendus ». Le texte prévoit tout aussi expressément que cette suspension produit ses effets jusqu’à l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le délai en question reprendra son cours uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension.

L’article 8 prévoit aussi que cette adaptation des délais ne trouve pas à s’appliquer lorsque ces délais résultent d’une décision de justice.

Enfin, lorsque de tels délais auraient dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, leur point de départ est reporté jusqu’à l’achèvement de cette période.

 

2. L’activité juridictionnelle facilitée tant pour les juridictions que pour les justiciables

Au-delà de l’action administrative, les textes publiés concernent l’activité des juridictions. La philosophie générale du dispositif retenu vise à la fois à assurer la continuité du service public de la justice malgré la propagation de l’épidémie et à aménager les délais auxquels sont soumis les différents acteurs de la justice et ce, pour tenir compte des contraintes de la crise sanitaire et notamment du confinement.

L’adaptation des délais de procédure et de jugement

Bien que les objectifs poursuivis soient les mêmes, toutes les mesures adoptées ne sont pas identiques à l’ensemble des juridictions. Les spécificités de certaines organisations et les enjeux propres à certaines affaires ont nécessité des mesures différenciées.

Pour ce qui peut concerner le contentieux de l’urbanisme, il est possible de retenir que les mesures édictées :

  • Adaptent les délais fixés pour la réalisation des différents actes et formalités,
  • Modifient les délais de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif,
  • Aménagent les délais impartis aux juridictions de l’ordre administratif pour statuer.

Délais relatifs à la réalisation des actes et des formalités

Pendant la période d’urgence sanitaire, la prorogation des délais échus trouve à s’appliquer devant les juridictions de l’ordre administratif comme devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale. Les modalités de cette prorogation sont prévues par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Ainsi, « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » (article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020).

La période de référence pour identifier les actes et formalités concernés est celle qui court entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire : les actes et formalités en cause sont ceux qui doivent être accomplis entre le 12 mars 2020 et l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

N’entrent pas dans le champ de cette mesure :

  • Les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 : leur terme n’est pas reporté ;
  • Les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire : ces délais ne sont ni suspendus, ni prorogés.

Lorsque le délai de recours est inférieur à deux mois, ce délai est automatiquement prorogé à compter de l’expiration du délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire, pour une durée équivalente au délai fixé par la loi. Lorsque le délai de recours est supérieur à deux mois, ce délai est automatiquement prorogé pour une durée de 2 mois à compter de l’expiration du délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Ces règles sont applicables aux recours dirigés à l’encontre des autorisations d’urbanisme mais également à l’encontre de l’ensemble des recours susceptibles d’être formés en matière d’urbanisme.

Elles sont aussi applicables aux délais de péremption, aux délais de prescription, etc. Elles concernent de façon générale tout « acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office ».

Ces mesures devraient ainsi concerner différents cas prescrits par la loi ou le règlement, tels que :

  • L’obligation de notification des recours prévue par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme,
  • La possibilité d’invoquer tout nouveau moyen, dans le contentieux des autorisations d’urbanisme, dans un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense (article R. 600-5 du code de l’urbanisme),
  • L’obligation de confirmer une demande d’autorisation d’urbanisme dans le délai de 2 mois suivant l’annulation juridictionnelle d’un refus d’autorisation d’urbanisme (article L. 600-2 du code de l’urbanisme),
  • La possibilité d’assortir un recours dirigé contre une autorisation d’urbanisme d’une requête en référé suspension jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (article L. 600-3 du code de l’urbanise).

L’ordonnance n° 2020-305 et l’ordonnance n° 2020-304 prévoient plusieurs exceptions à ce dispositif, mais aucune d’entre elles ne concerne spécifiquement le domaine de l’urbanisme.

En matière pénale, l’ordonnance 2020-303 portant adaptation de règles de procédure pénale prévoit en son article 3 que les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Ces dispositions ont bien évidemment matière à s’appliquer dans le contentieux pénal de l’urbanisme.

Dans le même sens, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, les délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à 10 jours.

Délais relatifs aux clôtures d’instruction dans les procédures en cours devant les juridictions de l’ordre administratif

L’ordonnance n° 2020-305 relatives aux juridictions de l’ordre administratif prévoit que les mesures de clôture d’instruction dont le terme vient à échéance entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire « sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de cette période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge » (article 16 de l’ordonnance).

À titre d’exemple, une clôture d’instruction fixée par un Tribunal administratif, dans une procédure contentieuse, le 18 mars 2020, sera automatiquement reportée, par l’effet de l’ordonnance, un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le juge pourra en outre reporter cette clôture.

Délais relatifs aux décisions des juridictions de l’ordre administratif

L’ordonnance n° 2020-305 relatives aux juridictions de l’ordre administratif prévoit également que durant cette même période, le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (article 17 de l’ordonnance).

Cette mesure peut trouver à s’appliquer notamment à l’obligation qui est faite, par l’article R. 600-6 du code de l’urbanisme, à la juridiction administrative, de statuer dans un délai de 10 mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement.

L’ordonnance prévoit plusieurs exceptions à ce dispositif. Aucune d’entre elles ne concerne spécifiquement le domaine de l’urbanisme.

La modification de l’organisation et du fonctionnement des juridictions

Tant l’ordonnance n° 2020-305 relative aux juridictions de l’ordre administratif, que celle n° 2020-304 concernant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et celle n° 2020-303 adaptant les règles de procédure pénale, assouplissent l’organisation et le fonctionnement des juridictions afin de s’adapter aux risques de propagation du virus mais aussi aux contraintes du confinement.

En ce qui concerne plus spécifiquement les juridictions de l’ordre administratif, les mesures dérogent à l’organisation et au fonctionnement des juridictions durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020. En matière d’urbanisme, les mesures suivantes peuvent trouver à s’appliquer :

– les formations de jugement des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel peuvent délibérer en se complétant, en cas de vacance ou d’empêchement, par l’adjonction d’un ou plusieurs magistrats en activité au sein de l’une de ces juridictions, désignés par le président de la juridiction (article 3 de l’ordonnance),

– les magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans peuvent être désignés par le président de leur juridiction pour statuer par ordonnance dans les conditions prévues à l’article R. 222-1 du code de justice administrative (article 4 de l’ordonnance), ce qui concerne notamment les ordonnances donnant acte d’un désistement, les ordonnances constatant un non-lieu à statuer,

– la communication des pièces, actes et avis aux parties peut être effectuée par tout moyen (article 5 de l’ordonnance),

– le président de la formation de jugement peut décider que l’audience aura lieu hors la présence du public ou que le nombre de personnes admises à l’audience sera limité (article 6 de l’ordonnance),

– les audiences des juridictions de l’ordre administratif peuvent se tenir en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats (article 7 de l’ordonnance),

– le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer à l’audience des conclusions sur une requête (article 8),

– il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé (article 9),

– par dérogation à l’article R. 222-25 du code de justice administrative, le président de la cour ou le président de chambre peut statuer sans audience publique sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 de ce code (article 10),

– la décision de la juridiction administrative peut être rendue publique par mise à disposition au greffe de la juridiction (article 11),

– la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement (article 12),

– lorsqu’une partie est représentée par un avocat, la notification de la décision de la juridiction administrative est valablement accomplie par la seule expédition de la décision à son mandataire (article 13).