Le droit de l’urbanisme à l’épreuve de la crise sanitaire en 6 points

ELAN

Laura CECCARELLI-LE GUEN
Avocate associée
DS AVOCATS

En cette période de crise sanitaire sans précédent, le confinement ordonné par le Gouvernement et la mobilisation des services de l’État et des collectivités territoriales dans la lutte contre la propagation de l’épidémie impactent de façon notable les professionnels de l’immobilier.

En matière d’urbanisme, les craintes sont multiples : risque de péremption des permis en cas d’impossibilité de réaliser les travaux dans les délais impartis ; ralentissement de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme et environnementales ; prolongation du délai de recours contentieux contre les actes administratifs…

Revenons en 6 points sur les questions les plus fréquentes relatives aux effets des adaptations liées au Covid-19 sur le droit de l’urbanisme.  

1. Quels sont les textes de références et les dates à retenir ?

Les principaux textes qui concernent le droit de l’urbanisme sont deux ordonnances du 25 mars 2020, l’une portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif (n° 2020-305, modifiée par l’ordonnance n°2020-405 du 8 avril 2020) et l’autre relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (n° 2020-306) qui a fait l’objet d’une circulaire du 26 mars 2020.

Toutefois, une ordonnance modifiant l’ordonnance n° 2020-306 sur plusieurs points importants (suppression dans certains cas de la durée tampon d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, remplacement du mécanisme de report des délais de recours par un mécanisme de suspension…) devrait être présentée au Conseil des Ministres du 15 avril prochain. Les développements qui suivent devront donc être actualisés après sa publication.

En l’état actuel, ces textes prévoient notamment des mécanismes de suspension ou de prorogation des délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (dite période protégée).

Pour l’heure, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 à 00h 00 (date de la publication de la loi du 23 mars 2020 au Journal Officiel), sur l’ensemble du territoire national. Le gouvernement peut y mettre fin plus tôt par décret, sur tout ou partie du territoire. En revanche, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire nécessite une loi.

Mais il existe des divergences d’interprétation sur la date exacte à laquelle les différents délais et mesures recommenceront à courir, certains auteurs retenant le 24 juin et d’autres le 25 juin.

Selon nous, par sécurité juridique, la date à retenir pour la fin de la période protégée est celle du 24 juin. Cette position est d’ailleurs celle adoptée par le Conseil d’Etat, dans sa fiche pratique sur l’adaptation des procédures devant les juridictions administratives ou encore par le Ministère de l’économie et des Finances dans le BOFIP. Mais il serait utile que le gouvernement clarifie ce point.

Evidemment, si la date de la fin de l’état d’urgence sanitaire est décalée, la fin de la période protégée sera décalée d’autant.

Par ailleurs, il est important de rappeler que les délais échus avant le 12 mars 2020 ou après la fin de la période protégée ne sont pas concernés.

2. Quelles sont les incidences sur les demandes d’autorisations d’urbanisme ou environnementales ?

 

Hypothèses Effets des adaptations liées au Covid-19 Texte
Autorisations délivrées avant le 12.03.20 venant à échéance pendant la période protégée (PP) Prorogation de la durée de validité des permis et déclarations préalables de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de la PP art 3, ord. n°2020-306
Demandes déposées avant le 12.03.20 dont le délai d’instruction expire pendant la PP Entre le 12.03.20 et la fin de la période protégée : suspension des délais d’instruction.

Pas de décision tacite d’acceptation ou de non-opposition ; pas de rejet implicite.

Reprise du délai d’instruction à compter de la fin de PP pour le reste.

Possibilité de réponse expresse dans ce délai.

 

art. 7 ord. n°2020-306

 

Dossiers incomplets  
Demande déposée avant le 12.03.20 pour laquelle une demande de pièces complémentaires a été faite, mais les pièces non produites Pas de décision tacite de rejet à l’issue de la période de 3 mois pour déposer les pièces manquantes si ce délai expire pendant la PP.

Dépôt des pièces par le pétitionnaire : soit pendant la PP, soit à la fin de la PP dans le délai qui restait à courir pour le faire.

 

art. 7 ord. n°2020-306

 

NB : l’article 2 de l’ord. n°2020-306 aurait pu être invoqué, mais l’application de l’art. 7 nous semble plus sécurisante.

Demande déposée à compter du 12.02.20 pour laquelle des pièces sont manquantes Suspension des délais impartis à l’autorité compétente pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires jusqu’au la fin de la PP.

Reprise du délai pour le reste à compter de la fin de la PP.

art. 7 ord. n°2020-306

 

 

Demande déposée avant le 12.03.20 dont le délai d’instruction expire après la PP En principe, pas de suspension du délai sauf si la délivrance de l’autorisation est subordonnée à une décision, accord ou avis préalable devant intervenir implicitement durant la PP. art. 1 I., ord. n° 2020-306

art. 7 ord. n°2020-306

 

Demandes déposées pendant la PP Point de départ du délai d’instruction reporté jusqu’à l’achèvement de la PP. art. 7 ord. n°2020-306

 

 

3. Quelles sont les incidences sur les procédures de participation du public ?

D’une façon générale, lorsqu’une décision devait être prise à l’issue d’une procédure de participation du public (enquête publique, participation par voie électronique) :

  • si les délais n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus jusqu’à la fin de la période protégée, et recommenceront à courir pour le reste à compter de cette date ;
  • le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir pendant cette période protégée est reporté à la fin de celle-ci (art. 7, ord. n° 2020-306).

Les nouvelles mesures prises par le Gouvernement ont prévus des adaptations uniquement pour les enquêtes publiques portant sur des projets présentant un intérêt national et un caractère urgent déjà en cours le 12 mars 2020 ou devant être organisées pendant la période protégée (art. 12, ord. n° 2020-306)

Pour ces seuls projets, lorsque le retard ou l’impossibilité d’organiser l’enquête est susceptible d’entraîner des « conséquences difficilement réparables »l’autorité compétente bénéficie d’un dispositif d’aménagement spécial (art. 12, ord. n° 2020-306).

Dans cette hypothèse, l’autorité compétente peut adapter les modalités de l’organisation de l’enquête publique :

  • en poursuivant l’enquête publique par des moyens dématérialisés ;
  • en adaptant la durée totale de l’enquête publique pour tenir compte le cas échéant de l’interruption due à l’état d’urgence sanitaire, avec l’assurance que les observations déjà recueillies seront« dûment » prises en compte par le commissaire enquêteur;
  • ou encore en organisant d’emblée une enquête publique par des moyens dématérialisés.

Lorsque la durée de l’enquête excède la durée de la période protégée, l’autorité compétente peut décider de revenir, après cette date, aux modalités d’organisation de droit commun.

Dans tous les cas, le public doit être informé de la décision prise par tout moyen compatible avec l’état d’urgence sanitaire.

Pour les autres enquêtes publiques, c’est-à-dire celle qui ne portent pas sur un projet présentant un intérêt national et un caractère urgent, des interrogations subsistent.

À notre sens, la lecture a contrariode l’article 12 de l’ordonnance n° 2020-306 laisse penser que les enquêtes concernant d’autres projets ne peuvent avoir lieu pendant la période protégée.

Plusieurs hypothèses sont envisageables :

  • les enquêtes publiques qui venaient de s’achever semblent pouvoir bénéficier des dispositions prévues pour suspendre les délais pendant la période protégée : le commissaire enquêteur pourra remettre son rapport après cette période, et l’administration pourra prendre la décision en bénéficiant de la prorogation des délais ;
  • les enquêtes qui n’ont pas encore démarré, semblent devoir être reportées ;
  • ce sont les enquêtes publiques en cours qui posent le plus de difficulté. Selon notre analyse, le plus simple serait d’obtenir une interruption de l’enquête sur décision du tribunal administratif en invoquant l’empêchement du commissaire enquêteur (art. L. 123-4 code env.). A défaut, il existe un risque de recommencer ultérieurement l’enquête publique.

S’agissant des procédures de participation par voie électronique, les textes n’ont pas prévu de dispositions spécifiques au sujet de leur maintien lorsque tous les avis préalables nécessaires ont pu être recueillis (par exemple l’avis de l’autorité environnementale sur l’étude d’impact) .

Il est cependant possible de relever que l’ordonnance n° 2020-391 du 1eravril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics, prévoit la possibilité pour le maire d’ouvrir et d’organiser les procédures de participation par voie électronique prévues à l’article L. 123-19 I du code de l’environnement, sans délibération du conseil municipal (article L. 2122-22 CGCT 29°).

Or, c’est précisément le type de participation par voie électronique qui est organisé en matière d’urbanisme puisqu’il concerne notamment les permis de construire ou d’aménager relatifs à des projets soumis à évaluation environnementale après examen au cas par cas, ou ayant fait l’objet d’une concertation facultative en application de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme.

Malgré tout, des interrogations subsistent.

Certes, cette procédure est déjà dématérialisée mais elle prévoit des possibilités de consultations du dossier sur place incompatibles avec l’état d’urgence sanitaire et en l’état, les textes n’ont pas prévu de dérogation spécifique sur ce point.

En outre, il risque d’être difficile d’organiser de telles procédures pendant la période d’état d’urgence sanitaire (manque de personnel, saturation des réseaux informatiques…).

Il convient donc d’être particulièrement prudent et de n’envisager d’organiser une telle procédure de participation par voie électronique que pour les projets les plus urgents.

4. Quels impacts sur les demandes d’avis au titre de l’évaluation environnementale ?

Sur les demandes d’avis au titre de l’évaluation environnementale, les mêmes mécanismes s’appliquent.

À savoir, pendant la période protégée, les délais qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont suspendus jusqu’à la fin de cette période, et recommenceront à courir pour le reste à la fin de cette période (art. 6 et 7, ord. n° 2020-306).

Ainsi que cela a été exposé plus haut, aucune décision tacite ne peut intervenir pendant la période protégée de sorte que :

  • l’absence de réponse de l’autorité en charge du cas par cas :
    • dans le délai de 15 jours, ne signifie pas que le dossier est réputé complet ;
    • dans le délai de 35 jours ne signifie pas qu’une évaluation environnementale, doit obligatoirement être réalisée ;
  • il n’y aura pas d’avis tacite de l’autorité environnementale dans un délai de deux ou trois mois (selon l’autorité compétente).

Il est à rappeler ici que dans l’hypothèse où l’un de ces délais devait commencer à courir pendant la période protégée, son point de départ est alors reporté à l’achèvement de la période.

5. Qu’en est-il des contrôles de l’administration pour vérifier la conformité d’une construction ?

Les textes organisent également une suspension des contrôles de l’administration pendant la période protégée (art. 8, ord. n° 2020-306).

Notamment, sont suspendus lorsqu’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 :

  • le délai de trois mois imparti à l’administration pour contester la conformité des travaux à compter de la déclaration attestant l’achèvement (art. R 462-6 code de l’urb.);
  • le délai dont dispose l’administration pour effectuer des contrôles de conformité (art. L. 461-1 code de l’urb.)

Ces délais recommenceront à courir pour le reste à la fin de la période protégée. 

6. Quels sont les effets des adaptations sur le contentieux des autorisations d’urbanisme ?

Le contentieux des autorisations d’urbanisme est très impacté par ces dispositions.

Nous avons déjà évoqué la problématique liée aux différentes interprétations sur la computation des délais : cette divergence semble avoir été levée par le Conseil d’État dans sa fiche pratique précitée.

En l’état de textes actuels, les recours contre une autorisation d’urbanisme dont les délais expirent pendant la période protégée :

  • pourront être adressés au tribunal administratif pendant cette période ;
  • seront réputés recevables s’ils sont formés dans un délai de deux mois suivant l’achèvement de cette période, soit au plus tard le 24 août 2020 ( 2 et art. 15, ord. n° 2020-305 et art. 2, ord. n° 2020-306).

En revanche, si le délai de recours expire après la fin de la période protégée, il ne sera pas prorogé.

La prorogation des délais vaut également pour les recours en appel et les pourvois en cassation, lorsque ces délais expirent pendant la période protégée

La situation actuelle est donc défavorable aux pétitionnaires qui se retrouvent ainsi dans une situation d’insécurité juridique pendant une période beaucoup plus importante.

Ce mécanisme est d’ailleurs très critiqué par les professionnels de l’immobilier.

L’ordonnance qui sera présentée au Conseil des Ministres du 15 avril prochain devrait le remplacer par un mécanisme de suspension et supprimer ou réduire le délai tampon à compter de l’achèvement de l’état d’urgence sanitaire.

Par ailleurs, l’ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif publiée au Journal officiel du 9 avril 2020 permet au juge de réduire les prolongations de délai prévues pour les mesures et les clôtures d’instruction dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, lorsque l’affaire est en état d’être jugée ou que l’urgence le justifie, ce qui va déjà permettre de régler les difficultés liées au risque d’encombrement des juridictions administratives à la fin de la période protégée.