Les journées du BJDU, les 30 novembre et 1er décembre

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Sébastien Ferrari
Professeur agrégé de droit public
Membre du comité de rédaction du BJDU

Florian Poulet
Professeur agrégé de droit public
Membre du comité de rédaction du BJDU

L’année 2020 aura été fortement marquée en droit de l’urbanisme par la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID 19. Le caractère inédit et durable de cette crise ne doit pourtant pas occulter les autres évolutions à l’œuvre, un temps perturbées ou retardées mais nullement compromises, qu’elles soient d’ordre institutionnel, normatif ou opérationnel. Il n’est, par ailleurs, pas à exclure que le droit transitoire, né de la crise sanitaire, suscite lui-même des évolutions nouvelles et pérennes. Centrales, ces questions seront abordées lors de la 24eédition des Journées du BJDU.

Le droit de l’urbanisme poursuit sa mue et les évolutions en cours, à court comme à plus long termes, soulèvent de nombreuses interrogations, autant qu’elles appellent de multiples précisions. Les instruments nouvellement mis en place au cours de l’année écoulée sont toujours aussi nombreux et touchent tous les aspects de la matière. Chacun fera l’objet d’une attention particulière lors de ces deux journées.

Suivant la méthode éprouvée qui est la leur, les Journées du BJDU entendent étudier et discuter ces enjeux en organisant autour des quatre points cardinaux de la matière – planification, autorisations, aménagement et maîtrise foncière – les présentations et analyses des textes et jurisprudences récents les plus pertinents, suivies d’échanges nombreux et concrets avec la salle.

Simplification et modernisation de la planification urbaine

Le droit de l’urbanisme n’échappe pas au prisme contemporain de la simplification et de la modernisation. Alors que l’intercommunalisation des plans locaux d’urbanisme est loin d’être achevée, et continue souvent d’attiser les tensions institutionnelles, le législateur s’est assigné l’objectif de simplifier le paysage de la planification urbaine en prenant appui sur un schéma de cohérence territoriale (SCoT) au contenu revisité et à la position renforcée au sein de la hiérarchie des normes. Annoncées par la loi ELAN, les ordonnances de juin 2020, intervenues dans le contexte de la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID 19, ont bien réalisé des avancées sur ces deux terrains mais sans parvenir, faute du temps et du recul nécessaires, notamment pour tirer toutes les conséquences de la concertation qui en avait précédé l’élaboration, à opérer le « choc » qui a pu en être attendu.

La rationalisation du paysage normatif en droit de l’urbanisme passe d’abord par la soustraction, en 2021, de ses éléments les plus anciens, maintenus en vigueur en dépit des réformes successives du fait de la tendance pathologique de ce droit à la conservation, qu’il s’agisse des plans d’occupation des sols dont la date de disparition définitive a été arrêtée définitivement, du moins faut-il l’espérer, au 31 décembre 2020 par la loi du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, autant que des directives territoriales d’aménagement, dont l’opposabilité a été neutralisée par les ordonnances de juin 2020.

Cette rationalisation passe aussi et surtout par le renforcement du rôle intégrateur du SCoT, afin de redonner sa pleine portée au principe de la compatibilité limitée. Un certain nombre de schémas sectoriels, qui étaient en situation de double opposabilité, à la fois au SCoT et au PLU, ne sont plus opposables qu’au premier, tandis que d’autres ne le sont plus à aucun d’eux. Vis-à-vis des PLU, la surface de l’« écran » que constitue le SCoT, en application du principe de compatibilité limitée, s’étend corrélativement et heureusement. Parallèlement, la suppression du rapport de prise en compte, au bénéfice du maintien du seul rapport de compatibilité, plus exigeant, entre les documents d’urbanisme et les différents schémas qui leur demeurent opposables, participe utilement de cette œuvre simplificatrice. Elle contribue ainsi à renforcer la portée des documents qui demeurent opposables aux documents d’urbanisme, dont nombre fixent des règles environnementales protectrices.

Néanmoins, demeure posée la question de l’articulation des différents niveaux de planification, en particulier celle des SCoT avec les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Il en va de même s’agissant de la portée des SCoT, au contenu toujours plus prescriptif y compris après la simplification de sa présentation et de son contenu réalisée par les ordonnances de 2020, à l’égard des PLU, question qui n’a finalement pas été traitée par ces ordonnances alors que l’habilitation législative y invitait. Pourtant, il paraît plus que souhaitable que le SCoT retrouve, substantiellement et pas seulement formellement, une dimension plus prospective, davantage conforme à sa vocation originelle et naturelle, de document de prévision.

De manière générale, les ordonnances de juin 2020 entendent mieux garantir la cohérence de l’ensemble bigarré que continue de constituer la planification urbaine de deux manières. D’une part, les services de l’État sont placés au centre du processus de rationalisation et de simplification, dès lors qu’ils sont en charge de la bonne information des acteurs locaux sur les différents enjeux sectoriels à prendre en compte lors de l’élaboration et de l’évolution des documents d’urbanisme. D’autre part, la mise en concordance des documents d’urbanisme est facilitée par une série de modifications procédurales, substantielles pour certaines. Chaque nouveau document doit faire l’objet d’une vérification triennale suivant sa naissance et le recours à la procédure allégée de la modification simplifiée est plus largement ouvert pour opérer les changements nécessaires.

La lisibilité et la cohérence de l’architecture du droit de l’urbanisme sont un vieux rêve et les ordonnances de juin 2020 sont un début de réponse à cet enjeu majeur pour l’efficacité de la planification urbaine, que les journées du BJDU ne manqueront d’interroger.

Consolidation des autorisations, régime dérogatoire et contrôle des travaux

Alors même qu’il connaît des changements rapides et profonds, le droit des autorisations d’urbanisme a été particulièrement affecté par la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID 19, rendant nécessaire l’édiction d’un régime transitoire, particulièrement complexe et susceptible de susciter de produire des effets pérennes.

Les ordonnances successivement intervenues entre mars et mai 2020 ont instauré un système dérogatoire de report et de suspension des délais prévus par les textes, afin de répondre notamment aux impossibilités résultant du confinement de la population. Plusieurs fois retouché dans le contexte évolutif de l’épidémie, ce régime transitoire est d’un maniement complexe et suscite de nombreuses interrogations pratique, tant quant à son champ d’application que pour sa mise en œuvre. Limité, pour l’heure, dans le temps, ce régime pourrait être réactivé en cas de résurgence de l’épidémie, ce qui rend d’autant plus nécessaire pour les parties prenantes d’en maîtriser les différents aspects

Il est certain que la période exceptionnelle que les acteurs de l’urbanisme viennent de connaître aura des répercussions durables sur les pratiques. Elle est susceptible de déboucher sur une accélération de la dématérialisation des procédures, initialement prévue pour 2022.

Les deux autres évolutions notables en la matière relèvent d’un mouvement engagé depuis plusieurs années.

D’un côté, le renforcement de la sécurité des autorisations d’urbanisme continue de prendre de l’ampleur. Les textes et la jurisprudence ont apporté, à la suite des réformes successives de 2013 et de 2018, des compléments utiles au cours de l’année 2020, que ce soit en matière de recevabilités des requêtes, s’agissant du déroulement de l’instance ou encore quant à la portée des annulations contentieuses.

De l’autre, l’amélioration et l’enrichissement des moyens de contrôle sur l’exécution des travaux se poursuivent. Tandis que le droit de visite et de communication est élargi et modifié, de façon à assurer sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme, une nouvelle procédure de mise en demeure administrative, éventuellement sous astreinte modulable, a été instaurée par la loi du 27 décembre 2019 en cas de constatation d’une infraction à la réglementation d’urbanisme, là encore dans une perspective de régularisation des travaux.

Si ces modifications sont de nature à rendre plus effectif le contrôle sur les travaux en cours de réalisation, celui effectué après leur accomplissement mériterait d’être revu et précisé, compte tenu des ambiguïtés dont souffre, du point de vue de sa nature et de son régime juridique, la déclaration d’achèvement.

Aménagement

Dans un contexte marqué par le déploiement difficile du dispositif des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (attendus, ainsi que le prévoyait l’article 10 de la loi NOTRe, pour le 31 juillet 2019 au plus tard, seul un SRADDET avait été formellement adopté début 2020) et l’installation de l’agence nationale de cohésion des territoires, nouvelle entité souhaitée par le Président de la République afin d’accompagner les collectivités territoriales dans la conception de leurs projets d’aménagement et de revitalisation des territoires, le droit de l’aménagement a poursuivi son renouvellement sur plusieurs points.

En matière commerciale, l’intégration, par les acteurs, des apports de la circulaire du 31 octobre 2019 sur la faculté de suspension, par arrêté préfectoral, de la procédure devant les commissions départementales d’aménagement commercial, s’est poursuivie, posant un certain nombre de problèmes à résoudre. Par ailleurs, le 24 août 2020, a été adoptée la circulaire sur le rôle des préfets en matière d’aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l’artificialisation. En particulier, cette dernière demande aux préfets de saisir la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) chaque fois que la création d’un nouvel équipement commercial ou une extension est autorisée en commission départementale (CDAC) alors que le projet ne semble pas respecter, l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), faute notamment d’une consommation économe de l’espace ou en raison de l’imperméabilisation des sols qu’il génère.

En matière environnementale, le décret du 3 juillet 2020 est venu renforcer le mécanisme de prévention des conflits d’intérêts pour l’autorité chargée de l’examen au cas par cas et l’autorité environnementale. Par ailleurs, le juge a apporté un certain nombre de réponses attendues aux problématiques posées par les exigences européennes propres à l’autonomie fonctionnelle, par son rôle en cas d’absence de saisine de l’autorité environnementale, par l’absence de réalisation d’une évaluation environnementale dans le cadre du développement de la 5G ou encore par le sort à réserver aux places de stationnement du point de vue de cette évaluation environnementale. D’autres questions, en revanche, demeurent en suspens, telles les perspectives d’évolution de la nomenclature des installations classées et de celle des études d’impacts, ou encore des modifications prévues par l’important – et redouté – projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP).

Maîtrise foncière

La crise sanitaire n’a pas épargné le droit applicable aux procédures d’actions foncières, notamment en interrogeant les effets du report des enquêtes publiques préalables aux déclarations d’utilité publique (DUP), la qualification des arrêtés de cessibilité et de DUP au regard des ordonnances adoptées en application de la loi sur l’état d’urgence sanitaire, les suites à donner à une demande de réquisition totale d’un bien partiellement exproprié dans le contexte de la crise, les conditions d’exercice et de délégation du droit de préemption urbain ou encore les conséquences de la suspension des délais sur la possibilité, pour les autorités compétentes, de préempter.

Au-delà des problématiques liées aux effets immédiats de la crise sanitaire, le droit de la maîtrise foncière s’est enrichi de plusieurs décisions jurisprudentielles importantes. En particulier, le Conseil d’État a été amené à préciser quel membre du conseil municipal peut être habilité à ester en justice au nom de la commune dans le cas où le maire se trouve en situation de conflit d’intérêts. De même, il a précisé les conséquences, à l’endroit de l’acquéreur évincé, de l’absence de mention des délais et voies de recours dans la décision de préemption. De même encore, la haute juridiction administrative a admis l’existence d’une préemption d’urgence, dans le cadre d’une procédure de référé-suspension de ce même acquéreur évincé, lorsqu’ildemande la suspension de l’exécution d’une décision de préemption. Enfin, dernier exemple d’une liste loin d’être exhaustive, il a précisé les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut proroger les effets de l’acte portant déclaration d’utilité publique d’un projet.

Les enjeux auxquels le droit de l’urbanisme contemporain doit répondre sont multiples et volatiles, au gré des évolutions des politiques publiques dont il tente la synthèse, mais aussi des changements qui traversent plus largement notre société. La succession des réformes, d’ampleur variable mais à un rythme toujours aussi soutenu, appelle une adaptation rapide et rigoureuse des différents acteurs, privés comme publics, aux nouveaux dispositifs. Surtout, la bonne maîtrise de ces outils, toujours plus nombreux et complexes, passe par un échange constant entre les parties prenantes. C’est à ces attentes que la 24eédition des Journées du BJDU entend répondre.