Installations classées pour la protection de l’environnement : l’évolution de notre droit s’accélère.

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Marie-Pierre Maître
Avocate aux barreaux de Paris et Bruxelles
Docteur en droit
Spécialiste en droit de l’environnement
Associée Gérante
ATMOS Avocats

À l’heure où l’environnement est au cœur des préoccupations, les constats sont très pessimistes : changement climatique, perte de biodiversité, problèmes liés à la ressource en eau… Pour faire face à ces enjeux, même s’il existe des démarches volontaires, la réponse est essentiellement réglementaire et contraignante.

À cet égard, la police des ICPE joue à la fois un rôle central et structurant dans notre droit de l’environnement. Or, cette police est ancienne. Le décret du 15 octobre 1810 et les grandes lois du 19 décembre 1917 et du 19 juillet 1976 ont fixé les grands principes qui régissent encore, à ce jour, notre droit des installations classées ; qu’il s’agisse du recours à la nomenclature, du caractère absorbant de cette réglementation (qui intègre des prescriptions empruntées au droit de l’eau, au droit des déchet, du bruit…), des pouvoirs donnés aux préfets, de l’indépendance de cette législation en particulier par rapport au droit de l’urbanisme ou du régime contentieux spécifique…

Cette réglementation a dû et su s’adapter aux évolutions technologiques en intégrant, par exemple, des nouvelles rubriques dans sa nomenclature ,dès lors que de nouveaux types d’activités devaient être réglementés.

Elle a également dû prendre en compte en les transposant les directives européennes telles que les directives IPPC (aujourd’hui IED), Seveso ou évaluation environnementale.

Réforme après réforme, la police des ICPE s’est adaptée ; mais aujourd’hui, alors que la loi fondatrice de 1976 fêtera bientôt ses 50 ans, les réformes se succèdent et les modifications s’accélèrent. Or, dans la mesure où ces modifications interviennent, aux détours de grandes lois telle que la loi relative à l’accélération de la protection d’énergies renouvelables, ces modifications ne sont pas forcément faciles à appréhender pour les industriels. Plus encore, dans ses orientations stratégiques pour l’inspection des installations classées 2023-2027, le ministère de la Transition écologique plante le décors des évolutions à venir.

Ces évolutions touchent tant la naissance des ICPE, que leur fonctionnement ou encore leur contrôle.

La naissance des ICPE

Une nomenclature ICPE encore et toujours en mouvement

Il y a vingt ans, les évolutions de la nomenclature ICPE étaient un événement. Depuis l’entrée en vigueur du régime d’enregistrement, les évolutions de la nomenclature se sont multipliées. De fait, l’objectif affiché est de ne soumettre à autorisation que les sites industriels relevant d’autorisation aux titres des directives européennes IED, Seveso et évaluation environnementale afin de réduire le nombre d’installations soumises à autorisation d’environ 51 000 au moment de l’entrée en vigueur du régime d’enregistrement à environ 15 000. Alors qu’en 2015, seul un tiers des dossiers était instruit selon la procédure d’enregistrement, en 2021, c’est 55% des dossiers ; le nombre des installations soumises à autorisation étant de fait, mécaniquement réduit.

Dans le respect du principe de non-régression du droit de l’environnement, il est prévu, dans les orientations stratégiques pluriannuelles 2023-2027 que « un travail complémentaire de réexamen de la nomenclature des ICPE sera mené pour déterminer si d’autres transferts de l’autorisation vers l’enregistrement sont opportuns ». Il est donc probable qu’il faille s’attendre à de nouvelles évolutions de la nomenclature des ICPE.

Des évolutions procédurales « à la pelle »

L’entrée en vigueur de l’autorisation environnementale qui a succédée à l’autorisation ICPE a constitué une étape marquante dans notre droit des ICPE. Appelée de leurs vœux par les exploitants, cette réforme visait à réduire les délais d’obtention des autorisations en simplifiant la procédure.

Pour autant, depuis son entrée en vigueur en 2017, cette procédure ne cesse d’évoluer. Ce sera encore le cas, si l’on en croit les orientations stratégiques 2023-2027 et la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables.

Tout d’abord, le ministère entend améliorer la phase avant le dépôt de la demande d’autorisation environnementale en associant l’ensemble des services administratifs, l’autorité environnementale, voire les collectivités pour attirer l’attention des pétitionnaires sur les enjeux de leur projet. En revanche, le certificat de projet qui, il faut bien le dire, était complexe à mettre en place pour l’administration et peu usité, devrait être supprimé.

Ensuite, concernant la conception des dossiers de demande d’autorisation et d’enregistrement qui – il est vrai, sont de qualité très variable en fonction des bureaux d’études qui les réalisent – le ministère entend mettre en place un dispositif d’évaluation de la qualité des dossiers sur la base d’un référentiel technique de qualité afin d’inciter les industriels, dans leur intérêt, à recourir à des bureaux d’études compétents. Ce dispositif pourrait prendre la forme d’une qualification ou d’une certification des bureaux d’études en évaluation environnementale.

Le recours à de « bons » bureaux d’études devrait permettre tant aux exploitants qu’aux services instructeurs de gagner un temps précieux dans la phase d’instruction des dossiers. Cette orientation se situe dans la droite ligne de l’expérimentation envisagée dans la loi d’accélération des énergies renouvelables, d’agréer des bureaux d’études (internes et externes) attestant de compétences minimales en vue d’améliorer la qualité des études d’impacts et de dangers.

Cette même loi prévoit également que tout porteur de projets soumis à autorisation environnementale doit saisir l’autorité environnementale chargée de l’examen au cas par cas, dès lors qu’il est soumis à cet examen au titre de l’évaluation environnementale, avant le dépôt de son dossier d’autorisation environnementale.

À cet égard, dans les orientations stratégiques 2023-2027, il est à noter que le ministère souhaite, qu’en matière d’installations de gestion des déchets, lorsque le cumul des projets portés par un même exploitant est important, l’inspecteur ICPE puisse mobiliser le dispositif dit de « clause-filet » prévu par la réglementation relative à l’évaluation environnementale, afin de disposer d’informations environnementales plus complètes.

Par ailleurs, pour une parfaite information du public, la réponse du porteur de projet à l’avis de l’autorité environnementale devra être publiée en ligne, comme le sont les avis de l’autorité environnementale et des collectivités territoriales.

Concernant l’information et la participation du public, le ministère annonce aussi que la limitation, dans les dossiers de demande d’autorisation, de la diffusion des informations sensibles en raison des risques de malveillance (telle qu’elle était prévue par l’instruction ministérielle de 2017) pourrait être revue.

Par ailleurs, il prévoit que la synthèse des observations du public issue de la consultation de ce dernier, sera désormais effectuée par « un tiers de confiance » ; comme c’est le cas pour le commissaire enquêteur lors  d’une enquête publique.

En outre, la loi d’accélération des énergies renouvelables prévoit que désormais l’autorité administrative pourra rejeter une demande d’autorisation environnementale durant la phase d’examen et non plus seulement à l’issue de cette phase.

Le fonctionnement des ICPE

Les règles régissant le fonctionnement des ICPE n’ont pas connues de grandes révolutions ces dernières années si ce n’est la question des modifications substantielles qui reste compliquée à appréhender. Dans ses orientations stratégiques pour 2023-2027, le ministère souhaite renforcer l’information du public et simplifier les prescriptions applicables aux ICPE.

Concernant le renforcement de l’information du public

Le ministère souhaite poursuivre la logique d’open data visant à informer le plus largement possible le public. À cet égard, le système d’information Envinorma permettra aux exploitants d’avoir une vision plus complète de la réglementation applicable à chaque site.

La publication des rapports d’inspection continuera à se déployer, mettant ainsi en exergue les non-conformités constatées sur les sites et le dispositif de « mise sous vigilance renforcée » d’exploitants, sera renforcé.

Le ministère souhaite, par ailleurs, mener une réflexion sur la possibilité de diffuser sur internet certaines commissions de suivi de site (CSS) ; étant rappelé que le nombre de CSS répertoriées à ce jour est de 1 600.

Concernant la simplification des prescriptions techniquesapplicables aux ICPE

La DGPR a, au fil des ans, rédigé des arrêtés de prescriptions techniques pour chaque rubrique de la nomenclature ICPE et pour chaque régime associé.

Dans ses orientations stratégiques 2023-2027, le ministère souhaite généraliser une approche d’arrêté préfectoral « svelte » en ce qu’il ne fixerait que des prescriptions spécifiques au site concerné tout en laissant aux arrêtés ministériels le soin de régir les dispositions générales et transversales qui seront, quant à elles, référencées sur le site Envinorma, pour une parfaite information des exploitants.

S’inscrivant dans la droite ligne des démarches déjà engagées, le ministère entend poursuivre le développement des plateformes industrielles. L’arrêté du 31 janvier 2023 modifiant l’arrêté du 18 novembre 2021 fixant la liste des plateformes industrielles prévue par l’article L. 515-48 du code de l’environnement, a ajouté les plateformes industrielles de Roussillon et de Drusenheim à la liste de celles existantes.

Enfin, le ministère envisage de supprimer le dispositif de garanties financières institué en 2012 et codifié au 5° de l’article R.516-1 du code de l’environnement qui devait permettre d’actionner ces garanties financières en cas d’absence de remise en état d’un exploitant devenu insolvable. Ce dispositif est jugé peu efficace, lourd pour l’exploitant en termes de coût et pour l’administration en terme de charge de travail.

Le contrôle des ICPE

Vers un rôle accru de l’inspection des ICPE en matière de contrôle et de sanction

Si en 2018, le nombre d’inspecteurs s’élevait à environ 18 000, alors qu’il était de l’ordre de 30 000 en 2006, l’instruction du 22 décembre 2021 fixant les actions nationales de l’inspection des installations classées pour 2022 indiquait que les effectifs devaient être augmentés de vingt inspecteurs, après une première hausse de trente en 2021, afin de concourir à l’effort de hausse de présence sur le terrain de plus 50% entre 2018 et 2023. Il est clair que cette tendance à l’augmentation des contrôles sur les sites est amenée à se développer.

Plus encore, dans les orientations stratégiques 2023-2027, le ministère précise qu’il va se doter de moyens techniques performants. Ainsi, après une expérimentation qui s’est révélée positive, l’utilisation généralisée des drones est envisagée, de même que l’intelligence artificielle pour détecter les activités illégales en identifiant par exemple les anomalies déclarées en matière d’auto-surveillance.

Le rôle des inspecteurs devrait devenir encore plus central. En effet, la possibilité est envisagée pour les préfets de donner délégation de signature aux directeurs de DREAL (avec possibilité pour ces derniers de subdéléguer aux chefs de services ICPE), pour signer les arrêtés d’urgence suspendant les activités de sites de gestion de déchets à risque pour l’environnement et ce à l’instar de ce qui est fait par les inspecteurs du travail dans le cadre de la réglementation santé sécurité au travail.

Il est également envisagé que les inspecteurs des ICPE puissent procéder à l’apposition des scellés et à la saisie, en vue d’une vente au profit de l’État, de matériels ayant été utilisés pour commettre une infraction.

Plus encore, des dispositions législatives seront proposées pour la mise en œuvre des sanctions administratives en matière de police des déchets, sans mise en demeure préalable. Il pourra également être étudiée la possibilité  d’établir immédiatement des contraventions sous forme d’amendes forfaitaires.

Vers un renforcement de la collaboration entre l’inspection des ICPE et les parquets

Pour rappel, la création de pôles spécialisés en environnement au sein des parquets, instituée par la loi du 24 décembre 2020, a permis une meilleure appréhension du droit de l’environnement et une plus grande mobilisation de l’inspection des ICPE sur le volet pénal.

Afin de poursuivre, les orientations stratégiques du ministère pour 2023-2027 prévoient l’élaboration de convention entre l’inspection des ICPE et les parquets afin de prévoir une meilleure information réciproque, d’éviter les risques de vices de procédure et de prévoir l’organisation d’un travail conjoint entre l’inspection des ICPE et la police ou la gendarmerie pour les auditions pénales. Ces conventions pourront prévoir également dans quelles conditions les transactions pénales pourront être mises en œuvre.

Autant d’évolutions envisagées qui font du droit des installations classées, un droit en constante mutation.