Proposition de loi TRACE :  les sénateurs veulent enterrer le ZAN et revoir la méthode

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Alexandre Lo-Casto Porte
Avocat of counsel
Droit de l’urbanisme et de l’aménagement
LexCase

Lucas Marcoz
Élève avocat
LexCase

La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience, a fixé un objectif de sobriété foncière visant à réduire dans un premier temps de moitié le rythme de l’artificialisation des sols à l’horizon 2031, en vue d’atteindre, d’ici 2050, un objectif final de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Ces objectifs ambitieux, qui vont logiquement de pair avec des contraintes de planification pesant sur les collectivités, ont soulevé de nombreuses inquiétudes auprès des élus locaux contraints de composer entre cette trajectoire et les enjeux de la crise du logement et de la réindustrialisation.

Malgré plusieurs assouplissements, initiés notamment dans le cadre de la loi n°2023-630 du 20 juillet 2023, un rapport d’information issu du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols déposé le 9 octobre 2024 a relevé une forte attente de simplification et de clarification de la part des élus, qui continuent de dénoncer une insuffisante prise en compte des réalités et dynamiques locales.

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi d’initiative sénatoriale visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (TRACE), présentée le 13 novembre 2024.

Ce texte prévoit de nouveaux assouplissements en vue de « renforcer l’acceptabilité et la soutenabilité d’une stratégie nationale de sobriété foncière pérenne, à un rythme compatible avec l’ensemble des stratégies sectorielles et transversales favorisant la transition écologique de notre pays ».

Son avenir semble toutefois incertain depuis la censure du gouvernement Barnier.

Une refonte terminologique au service d’un assouplissement de l’objectif (article 1 de la proposition de loi)

Pour mémoire, la loi Climat et Résilience a donné à la notion d’artificialisation une définition juridique large et dépourvue d’ambiguïté, aux termes de la laquelle un sol peut être regardé comme artificialisé en cas d’« altération durable » de tout ou partie de « ses fonctions écologiques (…) en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (art. L. 101-2-1 du code de l’urbanisme).

L’artificialisation des sols étant « inhérente à l’acte de construire » comme l’a relevé le Conseil d’État dans le cadre de l’examen du projet de loi, ce nouveau texte avait pour effet d’instaurer une interdiction de principe de créer de nouvelles constructions sur toutes parcelles vierges (cf. CE, avis du 4 février 2021, point 60).

Dans ce cadre, la proposition de loi sénatoriale envisage de refondre et de restreindre cette définition de l’artificialisation, désormais définie comme « la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers », résultant de « la création ou l’extension des espaces urbanisés » (art. 1 er et 2 de la proposition de loi).

Dans la même logique, la renaturation ou désartificialisation d’un sol se définirait désormais comme « la transformation effective d’espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers ».

Cette refonte, pas anodine, a manifestement vocation à permettre d’exclure de l’objectif ZAN les parcelles non-bâties qui ne seraient néanmoins pas qualifiables d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ci-après ENAF).

Sous réserve de la définition qui devra nécessairement être donnée à cette notion en jurisprudence, ce changement de nomenclature pourrait ainsi permettre de maintenir le caractère urbanisable de parcelles non-bâties ne relevant pas de la qualification d’ENAF (jardin privatif, parc public, etc.).

Notion Article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme issue de la loi Climat et Résilience (version en vigueur) Article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme refondu dans le cadre de la proposition de loi
Artificialisation L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.

 

L’artificialisation des sols est définie comme la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. La consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers est définie comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés.
Renaturation /désartificialisation La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. La renaturation, ou désartificialisation, est définie comme la transformation effective d’espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers.

Suppression de l’objectif intermédiaire de réduction de l’artificialisation à l’horizon 2031 (article 2 de la proposition de loi)

L’article 191 de la loi Climat et Résilience a fixé un objectif intermédiaire visant à réduire de moitié la consommation des sols sur la décennie 2021-2031 par rapport à celle observée sur les dix années précédant la promulgation du texte.

En cas d’adoption de la proposition de loi TRACE, cet objectif intermédiaire, ambitieux mais critiqué par de nombreux élus, serait supprimé au profit d’une « trajectoire nationale de sobriété foncière » se traduisant par une « diminution tendancielle de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers », à l’évidence nettement moins engageante.

Les collectivités ne seraient ainsi plus tenues de diviser par deux leur consommation foncière d’ici à 2031.

L’exposé des motifs de la proposition de loi rappelle toutefois que, si les collectivités ne seront plus contraintes par un cadre légal prédéfini, il restera possible de fixer, au sein des documents régionaux de planification, des objectifs de réduction de la consommation d’ENAF.

Objectif intermédiaire Article 191 de la loi Climat et Résilience (version en vigueur) Article 191 de la loi Climat et Résilience refondu dans le cadre de la proposition de loi
Afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente Loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date. Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi. Afin d’atteindre un objectif national d’absence de toute consommation nette d’espaces agricoles, naturels et forestiers en 2050, la trajectoire nationale de sobriété foncière se traduit par une diminution tendancielle de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers.

 

Assouplissement du calendrier (article 3 de la proposition de loi)

L’article 194 de la loi Climat et Résilience a fixé un calendrier ambitieux au terme duquel les différents documents d’urbanisme, et notamment les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), les schémas de cohérence territoriale (SCoT), et les PLU doivent être modifiés pour intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation.

La proposition de loi TRACE vient notablement retarder ces échéances, dans l’objectif de desserrer l’étau sur les collectivités et de leur permettre « de mieux anticiper la baisse de leurs possibilités d’artificialisation ».

Délais pour intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation Article 194 de la loi Climat et Résilience (version en vigueur) Article 194 de la loi Climat et Résilience refondu dans le cadre de la proposition de loi
SRADDET 2024 2026
SCoT 2027 2031
PLU / Carte communale 2028 2036

Non-mutualisation des projet d’envergure nationale et européenne (article 4 de la proposition de loi)

Dans la même logique, la proposition de loi prévoit d’exclure les projets d’envergure nationale et européenne (PENE) des enveloppes de consommation d’ENAF fixées au niveau local.

Suivant l’exposé des motifs de la proposition de loi, cette exclusion vise à garantir que les objectifs définis au niveau local « ne seront pas grevés par des projets ne relevant pas de l’initiative de la région ou des collectivités locales ».

Cela ne signifie toutefois pas que ces projets seront dispensés de tout objectif de sobriété foncière : en pratique, il est prévu que la consommation d’ENAF résultant des PENE suivra également « une trajectoire » caractérisée par une « diminution tendancielle » de la consommation d’ENAF.

Reste toutefois à savoir si l’État entendra se doter d’une enveloppe nationale spécifique à ses projets en vue d’encadrer davantage cette déclaration de principe.

Vers une territorialisation de la sobriété foncière (article 5 de la proposition de loi)

Enfin, la proposition de loi prévoit de refondre notablement les actuels « conférences régionales de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols », qui seraient pour l’occasion rebaptisées « conférences régionales de la sobriété foncière » et érigées, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, en « véritable instance de dialogue, de concertation et de délibération ».

Au-delà de cette modification de dénomination, ces conférences, au sein desquelles sont notamment représentés les communes et EPCI compétents en matière de documents d’urbanisme, se verraient pour l’occasion dotées de pouvoirs renforcés leur permettant :

  • Lorsque la région a engagé une évolution de son document de planification pour modifier les objectifs de sobriété foncière : de se prononcer sur l’enveloppe foncière régionale dans le cadre d’un avis conforme ;
  • Lorsque la région a déjà déterminé un objectif chiffré de sobriété foncière dans son document de planification : de déterminer « la répartition, entre les différentes collectivités territoriales (…), de l’enveloppe foncière régionale».

Ces conférences se réuniraient en outre tous les trois ans pour évaluer la consommation d’ENAF au sein des différents départements et se prononcer sur la compatibilité du rythme de l’artificialisation avec la trajectoire fixée au niveau régional.

Une proposition de loi à l’avenir incertain

L’avenir de cette proposition de loi sénatoriale semblait initialement bien engagé, avec un soutien de l’ancien premier ministre Michel Barnier esquissé dès sa déclaration de politique générale et confirmé le 20 novembre 2024 à l’occasion des questions du Sénat au gouvernement.

Le ciel s’est toutefois soudainement assombri après la censure du gouvernement Barnier, le 4 décembre dernier.

L’avenir de la proposition est depuis suspendu à la reprise normale des activités parlementaires et à l’émergence d’une nouvelle majorité. Il n’est cependant pas exclu que le nouveau Premier ministre, qui ne cache pas sa qualité d’élu et sa proximité avec les territoires, soit tenté de remettre l’ouvrage sur le métier.