Cyprien BES DE BERC
Avocat Counsel
CGR avocats
Les récents débats sur l’apparition de prix négatifs de l’électricité, c’est-à-dire lorsque les producteurs paient pour que des consommateurs consomment l’électricité qu’ils produisent conséquence de la part croissante des énergies renouvelables intermittentes (e.g. solaire et éolien) dans le mix énergétique français ont accéléré les réflexions sur le développement des solutions de stockage d’électricité.
En matière électrique, plusieurs technologies permettent d’assurer le stockage, au rang desquelles les stations de transfert d’énergie par pompage (dites « STEP »), les volants d’inertie ou, les batteries de stockage. Ces dernières sont les plus susceptibles d’intéresser les développeurs et le gestionnaire du réseau de transport comme de distribution pour leur capacité à assurer l’équilibrage du réseau à l’échelon territorial et stocker de l’énergie à relativement longue échéance pour lisser les pics de production.
Toutefois, l’implantation de ces batteries, bien qu’indispensables à l’équilibre et à la stabilité du réseau électrique sont, en pratique, l’occasion de renouveler des questions urbanistiques sur l’implantation de ces batteries en zones naturelles ou agricoles.
S’inspirant notamment des travaux de l’ADEME[1], des propositions de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, du réseau de Chambres d’agriculture et des Jeunes agriculteurs[2], des projets ont été discutés dans les dernières années pour fournir un cadre juridique aux projets de batteries conciliant développement de ces installations et affectations des sols naturels et agricoles, sans pour autant qu’un régime bien adapté n’ait été trouvé.
La pratique a, en l’état, recours à l’exception de l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme qui prévoit qu’il est possible, dans les zones agricoles, naturelles ou forestières d’autoriser des « installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestières du terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. ».
Dans ce cadre, il convient d’analyser les différentes conditions de l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme prévoyant (i.) la qualification d’installation « nécessaire à des équipements collectifs », (ii.) l’incompatibilité avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière, et (iii.) l’absence d’atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.
- Sur la qualification d’installation « nécessaire à des équipements collectifs »
Faisant exception à la règle de constructibilité limitée en zone agricole et naturelle, l’article L.151-11 du code de l’urbanisme prévoit que le règlement du plan local d’urbanisme peut, dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, autoriser des « installations nécessaires à des équipements collectifs […] ».
En pratique, l’implantation de batteries en zone agricole (A) et naturelle (N) a soulevé certaines difficultés, au regard de la qualification d’équipement collectif aux termes de l’article L. 151‑11 du code de l’urbanisme, les termes n’ayant jamais été définis et la notion d’équipement collectif ayant évolué avec le temps.
En 2006, deux questions ministérielles ont été posées au ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, sur le type d’ouvrages susceptibles d’entrer dans le champ d’application de ces dispositions[3]. À ces questions, le ministre est venu préciser que « les seules constructions qui peuvent être autorisées dans cette zone sont les installations et constructions nécessaires à l’exploitation agricole ainsi que celles nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif (…) et ne seront autorisées à s’implanter en zone agricole que pour autant qu’elles ne compromettent pas le caractère agricole de la zone », mentionnant les éoliennes, les antennes de télécommunications ou les châteaux d’eau.
Dans cet effort de définition, la jurisprudence a fourni plusieurs éléments supplémentaires pour la circonscription des équipements d’intérêt collectifs.
Ainsi, dans sa décision Leloustre du 16 juin 2010, le Conseil d’État précise « qu’il appartient à l’autorité délivrant le permis de vérifier, sous le contrôle du juge, si l’intérêt public de cette opération est d’une intensité suffisante eu égard à son importance et à sa destination pour emporter la qualification d’équipement collectif ».
Les juridictions administratives ont pu reconnaître comme entrant dans cette qualification d’équipement collectif les parcs photovoltaïques[4] ou encore la pose d’ombrières dans un espace agricole en bordure d’un site de retraitement nucléaire permettant la poursuite de la production de cultures fourragères ainsi que de pâturage existant[5].
Participant au faisceau d’indices en faveur de la qualification des batteries comme équipement collectif, la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables a reconnu l’implantation d’installations de stockage d’énergie comme répondant à une « raison impérative d’intérêt public majeur »[6], au titre de la police des espèces protégées.
Ainsi, tout porte à croire que l’installation de stockage par batteries puisse être qualifiée d’équipement collectif, au même titre qu’un parc photovoltaïque, du fait de son utilité pour le réseau électrique dans sa globalité et sa participation à la transition énergétique par la meilleure insertion des énergies intermittentes dans le mix énergétique.
Il n’en demeure pas moins que certaines voix dissonantes se sont fait entendre remettant en question la qualification d’équipements collectifs au motif de ce que les projets seraient portés par des opérateurs privés et non par des opérateurs publics déniant à ces derniers le rôle d’intérêt collectif. Une nouvelle question parlementaire a été posée en ce sens en 2023 restée, à ce jour, sans réponse[7].
- Sur l’incompatibilité avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière
Ensuite, l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme dispose que le plan local d’urbanisme peut prévoir l’installation d’équipements collectifs si cet équipement est compatible avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière du terrain sur lequel elle est implantée.
La décision du Conseil d’Etat du 8 février 2017, Sté Photosol livre un guide d’application de cette condition en exposant « qu’il appartient à l’administration, sous contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier si le projet permet l’exercice d’une activité agricole, significative sur le terrain d’implantation, au regard des activités qui sont effectivement exercées dans la zone concernée du plan local d’urbanisme ou, le cas échéant auraient vocation à s’y développer en tenant compte notamment de la superficie de la parcelle, de l’emprise du projet, de la nature des sols et des usages locaux ».
Le juge saisi apprécie la compatibilité de l’activité agricole actuelle ou potentielle avec l’installation de l’équipement.
En matière de projets de batteries la jurisprudence est assez peu diserte et la pratique se développant avec des options technologiques variées continue de s’interroger sur les modalités d’insertion des batteries dans le fonctionnement agricole.
L’appréciation des CDPENAF (commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) étant à cet égard, une procédure utile – bien que controversée – de la bonne insertion du projet dans le milieu agricole.
- Sur l’absence d’atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages
Enfin, l’article L.151-11 du code de l’urbanisme prévoit également que le règlement du plan local d’urbanisme peut, dans les zones agricoles naturelles ou forestières, autoriser des « installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors […] qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ».
Cette condition d’insertion dans les espaces naturels et paysages oblige à opérer un contrôle entre le projet envisagé et l’atteinte portée à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. La cour administrative d’appel de Marseille a ainsi annulé le règlement d’un PLU autorisant en zone naturelle un parc photovoltaïque de 60 hectares, qui par sa taille portait atteinte aux objectifs de conservation du site[8].
La question de l’insertion des projets de batteries dépend donc très largement du projet et de ses caractéristiques (nombre de batteries, implantations, …) et des mesures d’insertion dans le paysage, souvent soignées en pratique par des développeurs habitués aux enjeux de paysage qu’induisent les études d’impact et le respect des dispositions du code de l’environnement, notamment à l’occasion de projets éolien.
[1] ADEME, Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaïsme, juill. 2021.
[2] P. Cazeneuve et A. Luquet, Rapp. AN n° 526, relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, t. 1, préc., p. 274 et s.
[3] Réponse ministérielle à question écrite n° 20020 ( M. Masson) (JO Sénat Q 19 janvier 2006 , p. 174 ) et Réponse ministérielle à question écrite n° 77107 ( Mme Zimmermann) (JOAN Q 17 janvier 2006 , p. 596 ).
[4] CE 8 févr. 2017, n° 395464, Ministre du logement et de l’habitat durable, Lebon
[5] CAA Marseille, 15 févr. 2024, n° 23MA00413, Association COL.E.R.E.
[6] Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
[7] Question de Mme CANALÈS Marion (Puy-de-Dôme – SER) – Publiée dans le JO Sénat du 14/12/2023 – page 6885.
[8] CAA Marseille, 6 juill. 2023, n° 22MA02364, Métropole Aix-Marseille-Provence.