Droit communautaire et droit de l’urbanisme

Christian Lambert
Président des tribunaux administratifs de Saint-Denis de la Réunion et de Mayotte

1) Existe-t-il un droit européen de l’aménagement et de l’urbanisme ?

L’urbanisme ne relève pas expressément du droit de l’Union européenne, donc on pourrait affirmer qu’il n’existe pas de droit européen de l’urbanisme. Toutefois, d’une part, le juge de Strasbourg a été saisi à plusieurs reprises, concernant des questions d’urbanisme, de violations de stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme et notamment de celle qui figure à l’article 1er du premier protocole additionnel sur le droit au respect des biens.

Est-ce à dire que la « jurisprudence » de la Cour européenne des droits de l’homme peut-être regardée comme une source d’un droit de l’urbanisme européen ? Je ne le pense pas. Son approche est patrimoniale (le changement d’une règle d’urbanisme qui permettait de négocier un droit à construire constitue-t-il une atteinte aux biens justifiant un dédommagement ? CEDH 18 novembre 2010, n°s 18990/07 et 23905/07, Cts Richer et Le Ber/France) et n’a pas l’objectivité que réclament l’interprétation et l’application d’une règle d’urbanisme. D’autre part, le juge communautaire, comme c’est son habitude, admet que le droit de l’urbanisme relève de la compétence des États membres, mais estime que cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union. Ainsi, il crée des limites à l’exercice, par les États membres, du droit de l’urbanisme dans deux domaines fondamentaux du droit de l’Union, tout d’abord l’environnement, à travers l’évaluation des incidences le concernant de certains plans et programmes d’aménagement et ensuite, le droit des marchés, dans le cadre d’opérations d’aménagement ne respectant pas les règles de non-discrimination.

2) Quelle est la place de l’aménagement et de l’urbanisme dans la jurisprudence communautaire ?

Il ne faut pas rechercher une importance quantitative de l’urbanisme dans la jurisprudence de la Cour. En revanche, ses positions en matière d’urbanisme opérationnel donnent un cadre juridique communautaire désormais incontournable aux opérations d’aménagement des États membres.

Les arrêts Ordre des architectes de la province de Milan du 12 juillet 2001, Commission/Italie du 13 novembre 2008, Auroux du 18 janvier 2007, Helmüt Muller du 25 mars 2010 ou encore Commission/Espagne du 26 mai 2011, donnent une qualification communautaire aux contrats d’aménagement, concessions ou délégations de service public en les replaçant dans le droit de l’Union de la concurrence et en les soumettant aux grands principes du droit de l’Union et, notamment, le principe de non-discrimination selon la nationalité.

Les analyses de la Cour ne sont toutefois pas encore figées. L’arrêt Helmüt Muller pose la question de savoir quel doit être le degré d’investissement de la personne publique dans une opération d’urbanisme pour qu’elle soit qualifiée de marché public de travaux. Dans l’arrêt Commission/Espagne, une autre question est soulevée qui se posera de plus en plus dans le cadre d’opérations d’urbanisme portant sur un tissu urbain existant : est-on dans le cadre d’un marché de travaux ou d’un marché de prestations de services au regard de l’importance des services prévus par rapport aux équipements à réaliser ?

3) Le droit de l’urbanisme doit intégrer les exigences environnementales communautaires, est-ce compatible ou concurrent ?

C’est sans doute la question la plus importante et la plus délicate. Le droit de l’environnement qui est un droit harmonisé, s’impose à toutes les législations des États membres et, notamment, au droit de l’urbanisme qui, par essence, peut être destructeur ou au moins réducteur de milieux naturels.

L’intégration des exigences environnementales ne peut légalement pas être concurrente aux droits de l’urbanisme des différents États membres, ce serait méconnaître l’effet direct du droit de l’Union dans les législations nationales. D’ailleurs, la Cour de justice ne fait pas usage du principe d’indépendance des législations, cher aux juridictions françaises, pour évacuer les risques de contradictions entre plusieurs règles juridiques.

Le Conseil d’État admet désormais, dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de justice, que le droit de l’environnement peut sanctionner un projet d’urbanisme. La règle d’urbanisme elle-même renvoie aux obligations et procédures prévues par le Code de l’environnement, c’est-à-dire à des règles de transposition de directives, elles-mêmes interprétées par la Cour de justice. Le caractère contraignant des exigences environnementales est illustré d’une manière presque caricaturale par un arrêt du 15 janvier 2013, Josef Krizan e.a. (C-416/10) qui impose à une juridiction de renvoi, après une cassation fondée sur une règle constitutionnelle de l’État membre, de poser une question préjudicielle sur l’interprétation d’une règle environnementale et, en réalité, sur la compatibilité de la position nationale avec le droit de l’environnement de l’Union.

4) Planification territoriale, urbanisme opérationnel, expropriation… quels sont les grands objectifs communautaires ?

L’Union accompagne les grands projets d’infrastructure grâce aux fonds structurels. Elle ne le fait pas de sa propre initiative, mais à la demande d’un État membre ou d’États membres regroupés, porteurs d’un projet.

La Cour de justice, par sa jurisprudence, a un effet intégrateur vis-à-vis des politiques d’aménagement des différents États membres.

Toutefois, la Commission, ou plus précisément certaines directions de la Commission, travaillent sur l’occupation du sol et, ponctuellement, sur la régularité des grandes opérations d’aménagement, au regard de l’environnement et de la consommation de l’espace Mais ce sont davantage des politiques d’accompagnement de celles des États membres que des objectifs propres à l’Union.

1 Commentaire

  • Bonjour,

    Petite question : sur notre donation/ titre de propriété nous venons de découvrir que depuis 1979 une clause de minoration de densité y figure au profit de notre voisin membre de la famille. A l’époque la construction dépassait le cos autorisé. Aujourd’hui le plu ne comporte plus de limite de constructibilité. Notre notaire nous dit que cette clause n’a plus lieu d’être selon la doctrine, mais que nous devons obtenir de nos voisins la levée de cette clause pour pouvoir construire des immeubles sur notre terrain. Levée impossible à obtenir à l’amiable. Voici ma question, un arrêt de cassation allant dans ce sens, y a t il possibilité, via la CEJ de rendre caduque cette servitude de minoration ? CEJ ou toute autre solution…

    Merci pour votre retour,

    JB DAGRON

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