Incendie à Lubrizol : un accident prévisible et évitable ?

Les 5 000 tonnes de produits chimiques brûlés le 26 septembre dernier au cours de l’incendie de l’usine Lubrizol, implantée sur la zone industrielle et portuaire de Rouen, ont entraîné un véritable désastre écologique et une multitude de questionnements juridiques.

 

Un bilan accablant en dépit d’un précédent accident et d’un encadrement juridique spécifique

L’incendie a occasionné une pollution de l’air et des sols de grande ampleur, s’étendant sur un périmètre bien plus vaste que la seule ville de Rouen et exposant un grand nombre de personnes à un réel risque sanitaire.

Cet évènement démontre que les risques technologiques sont bien présents en France. Notons qu’un incident industriel avait déjà eu lieu le 22 janvier 2013 dans l’usine et avait mené l’exploitant à être condamné, un an plus tard, pour négligence dans la gestion de son site.

Ces faits sont d’autant plus alarmants que l’usine était classée en tant que site Seveso « seuil haut ».

Il s’agit d’une catégorie constituée des installations industrielles les plus dangereuses au sein de l’Union européenne, du fait de la quantité de produits dangereux qu’elles mettent en œuvre.

Cette réglementation contraignante est censée engendrer une surveillance constante de ces sites à hauts risques.

Le bilan de la situation actuelle du site de Lubrizol prouve néanmoins l’existence de failles importantes au sein du système de gestion et de contrôle, lesquelles peuvent notamment trouver une explication dans l’évolution récente du droit de l’environnement.

 

Une augmentation des risques liée à l’assouplissement du régime des installations classées ?

En raison des risques de pollution et de nuisances qu’elle est susceptible de créer, notamment pour la sécurité et la santé des riverains, l’usine Lubrizol a été répertoriée en tant qu’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).

Si la réglementation de ce type d’établissement a été rendue plus sévère à la suite de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, qui a entraîné la mort de 31 personnes, des milliers de blessés et de lourds dégâts écologiques et matériels, celle-ci a toutefois connu un assouplissement récent.

En effet, le décret du 11 août 2016 a prévu la réduction du périmètre des projets soumis à évaluation environnementale. Les installations classées ne sont plus systématiquement soumises à une évaluation environnementale, mais un examen est prévu au cas par cas. Désormais, ce sont les établissements classés Seveso, et non plus les installations Seveso, qui sont soumises à une autorisation automatique. Ainsi, une fois l’établissement créé, les modifications des installations ne sont pas contraintes à autorisation.

Cette « fragilisation » juridique a été amorcée par la loi Confiance du 10 août 2018 qui prévoyait que l’évaluation environnementale ne soit plus prévue systématiquement par une autorité environnementale indépendante, mais par le préfet en cas de modification des installations.

L’usine Lubrizol a directement bénéficié de cet assouplissement juridique : les deux demandes d’augmentation des quantités de substances dangereuses stockées sur le site, formulées successivement par l’exploitant ont été acceptées par le préfet, qui a considéré qu’elles ne présentaient pas de risques particuliers. Si elles avaient eu lieu avant le décret de 2016, les demandes d’agrandissement auraient dû être soumises à autorisation et donc nécessiter une étude d’impact environnemental par une autorité environnementale indépendante.

 

La défaillance du système des plans de prévention des risques technologiques

Le site de l’usine de Lubrizol est également soumis la réalisation d’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) couvrant les communes de Rouen et de Petit-Quevilly.

Instauré par la loi du 30 juillet 2003 (« loi Bachelot »), il s’agit d’un outil juridique ayant pour but de protéger les populations habitant dans les zones à proximité des sites Seveso et d’organiser la cohabitation des sites industriels à risques.

Pour leur élaboration, une étude de dangers donnant lieu à une analyse des risques prenant en compte la probabilité d’occurrence des accidents potentiels a lieu.

En ce qui concerne l’usine de Lubrizol, le PPRT a été reçu favorablement et sans aucune recommandation particulière en 2014.

Face à ce désastre, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence des PPRT, ou tout du moins sur le seuil des conditions de sécurité relatives à leur élaboration.

 

Indemnisation : quels sont les acteurs concernés ?

En raison de l’étendue des dommages engendrés par l’accident, plusieurs acteurs seront amenés à demander réparation.

  1. Les associations agréées de protection de l’environnement ont la possibilité de mettre en cause le préjudice écologique qui a été inscrit dans le code civil par la loi sur la biodiversité de 2016
  2. Les collectivités territoriales touchées par la pollution peuvent également s’appuyer sur cet argument et demander réparation pour leurs préjudices patrimoniaux
  3. Les agriculteurs et les éleveurs peuvent revendiquer une perte patrimoniale et un préjudice écologique à cause de la pollution des sols
  4. Les particuliers peuvent prétendre à indemnisation pour des troubles anormaux du voisinage

Pour diminuer le nombre de contentieux et les conséquences financières qui s’en suivent, l’Etat et Lubrizol ont consenti à créer des fonds de solidarité en soutien aux victimes de l’incident. Un accord avec l’entreprise permettra de dédommager 453 agriculteurs.

 

La sécurité des sites industriels potentiellement mise en péril par l’accélération de leur implantation

En dépit des sévères conséquences qu’entraînent les failles dans la gestion des sites industriels, la déréglementation environnementale semble se poursuivre en ce qui concerne les installations classées.

En effet, sous couvert de simplification, la loi Energie-Climat a définitivement été adoptée par le parlement le 11 septembre dernier. Elle permet aux préfets (et non à une autorité environnementale indépendante) de procéder à l’examen de tous les projets soumis au cas par cas, soit environ 80% des projets ayant un impact sur l’environnement.

Le Premier ministre a par ailleurs annoncé lors du dernier comité exécutif du Conseil national de l’Industrie que le préfet aurait désormais le pouvoir d’accélérer les délais des procédures préalables aux implantations industrielles en autorisant le démarrage d’une partie des travaux lorsqu’ils ne requièrent pas d’autorisation spécifique.