Grenelle et documents d’urbanisme

Yves Pittard
Docteur en droit

1) Comment concilier enjeux du développement durable, recommandations du Grenelle et nouvelle réglementation dans la planification ?

La large réflexion sur les défis écologiques du XXIe siècle, lancée en mai 2007, a trouvé une première traduction législative au travers de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (Grenelle I). Après avoir posé le principe selon lequel « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable » (article 1), cette loi a énoncé les objectifs que « le droit de l’urbanisme devra prendre en compte (…) dans un délai d’un an » (article 7). Au nombre de ceux-ci, figurent notamment la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles, ainsi que contre l’étalement urbain et la déperdition d’énergie, le lien à établir entre urbanisation et desserte par les transports en commun, la préservation de la biodiversité et la nécessité de concevoir l’urbanisme de façon globale en harmonisant les documents d’orientation et les documents de planification élaborés à l’échelle de l’agglomération.

Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement (Grenelle II) vise à concrétiser ces objectifs. Tel qu’adopté en première lecture par le Sénat le 8 octobre 2009 (sa discussion étant prévue à l’Assemblée nationale à compter du 4 mai 2010), ce texte constitue la traduction normative des choix environnementaux retenus dans la loi Grenelle I. Il comporte un ensemble impressionnant de mesures qui concernent aussi bien les bâtiments et l’urbanisme que les transports, l’énergie et le climat, la biodiversité, les risques, la santé, les déchets, la gouvernance.

Dans le domaine de l’urbanisme, il réécrit, presque totalement les chapitres du Code consacrés aux prévisions et règles d’urbanisme, en commençant par renforcer les préoccupations environnementales imposées aux auteurs des documents d’urbanisme. Ainsi, dans sa rédaction nouvelle, l’article L.121-1 prévoit désormais que c’est l’ensemble des éléments à prendre en compte par eux qui doit l’être « dans le respect des objectifs du développement durable ». Par ailleurs, figurent désormais expressément au nombre de ces objectifs « la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la maîtrise de l’énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables, la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ».

2) Quelles incidences de la loi Grenelle II pour les SCOT ?

Les SCOT ont vocation à devenir la véritable clé de voûte de l’aménagement durable et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, afin d’en généraliser l’application, il est prévu d’étendre, par étapes successives, le nombre des communes concernées par la règle de l’urbanisation limitée, de telle sorte, qu’à compter du 1er janvier 2017, aucune commune non couverte par un SCOT approuvé ne puisse, sauf dérogation, ouvrir à l’urbanisation une zone AU délimitée après le 1er juillet 2002 ou une zone naturelle.

Dans le même esprit, il est également prévu de renforcer le rôle des préfets pour déterminer un périmètre de SCOT ou étendre un périmètre existant lorsqu’ils constatent qu’un nombre important de demandes de dérogation à la règle d’extension limitée de l’urbanisation montre que l’absence ou l’insuffisance du périmètre du SCOT nuit gravement à la cohérence des
politiques publiques d’urbanisme, d’habitat, de développement économique, de transports et de déplacements ainsi que d’environnement.

En second lieu, on va incontestablement assister à un « verdissement » des SCOT. En effet, indépendamment de l’enrichissement des éléments qu’en application de la nouvelle rédaction de l’article L. 121-1, leurs auteurs devront nécessairement prendre en compte « dans le respect des objectifs du développement durable», les SCOT seront désormais soumis à une obligation de compatibilité étendue aux directives de protection et de mise en valeur des paysages et de prise en compte des schémas régionaux de cohérence écologique et des plans climat-énergie territoriaux lorsqu’ils existeront.

En troisième lieu, dans la détermination des orientations générales de l’espace et des grands équilibres spatiaux, une attention particulière devra être portée par leurs auteurs aux espaces ruraux qui ne seront plus assimilés purement et simplement aux espaces naturels, agricoles et forestiers. Le rapport de présentation, quant à lui, devra présenter une analyse de la consommation de ces espaces au cours des dix années précédant l’approbation du schéma et justifier les objectifs chiffrés de limitation de cette consommation.

En quatrième lieu, va se trouver renforcée l’intégration des politiques publiques en matière d’urbanisme, de transport et d’habitat qui relèvent actuellement de documents sectoriels. Dans cette perspective, outre la mise en place d’un dispositif d’association des EPCI chargés du SCOT à l’élaboration du PDU et du PLH, sera sensiblement complété le contenu tant du projet d’aménagement et de développement durables, que du futur document d’orientation et d’objectifs (destiné à se substituer au document d’orientations générales).

Désormais, il appartiendra notamment à ce dernier, le cas échéant, de réguler l’urbanisation en fonction de la desserte en transports, de limiter l’ouverture à l’urbanisation par une optimisation des zones urbanisées, de définir des secteurs dans lesquels l’ouverture de nouvelles zones à l’urbanisation sera subordonnée à l’obligation pour les constructions de respecter des performances énergétiques et environnementales renforcées ou des critères de qualité renforcée en matière d’infrastructures et réseaux de communications électroniques, de mettre obstacle à certaines pratiques malthusiennes des PLU en déterminant la valeur en dessous de laquelle ne pourra être fixée la densité maximale des constructions ou en définissant des secteurs dans lesquels les PLU devront
imposer une densité minimale.

Par ailleurs, première étape sur le chemin menant à la disparition de la législation spécifique sur l’aménagement commercial et à l’intégration de l’urbanisme commercial dans le droit commun de
l’urbanisme, le document d’orientation et d’objectifs comprendra un document d’aménagement commercial délimitant des zones d’aménagement commercial. Dans ces zones, il pourra prévoir que l’implantation d’équipements commerciaux sera subordonnée au respect de conditions qu’il fixera, portant, notamment, sur la desserte par les transports collectifs, les conditions de stationnement, les conditions de livraison des marchandises et le respect de normes environnementales.

L’importance donnée par le législateur à ce renforcement des SCOT est traduite par l’élargissement du contrôle de légalité exercé par les préfets. À l’avenir, le représentant
de l’État pourra s’opposer à ce qu’un SCOT devienne exécutoire dans deux hypothèses supplémentaires : s’il autorise une consommation excessive de l’espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs ou s’il n’assure pas la
préservation ou la remise en bon état des continuités écologiques.
On peut enfin noter que l’analyse des résultats de l’application des SCOT devra être effectuée à l’expiration d’un délai de six ans (et non plus de dix ans) et que celle-ci ne sera plus limitée
à l’environnement et devra porter également sur les questions de transport et déplacement, ainsi que sur la maîtrise de la consommation d’espace et des implantations commerciales.

3) Quelles conséquences de la loi Grenelle II pour les PLU ?

Les PLU de demain vont, également, être sensiblement différents de ceux d’aujourd’hui.

En premier lieu, pour assurer le renforcement de la cohérence intercommunale et promouvoir l’intercommunalité comme niveau pertinent d’élaboration de ce document, il est prévu que s’il est élaboré par un EPCI compétent de par la loi ou ses statuts (communauté urbaine, communauté d’agglomération
ou communauté de communes), le PLU couvrira nécessairement l’intégralité de son territoire. Dans cette hypothèse, il pourra comporter des plans de secteur couvrant, chacun,
l’intégralité du territoire d’une ou plusieurs communes membres de l’EPCI, précisant les orientations d’aménagement et de programmation, ainsi que le règlement spécifiques à chaque secteur.

En second lieu, l’architecture des PLU va être modifiée. Ainsi, les orientations d’aménagement qui n’étaient que facultatives sont appelées à être remplacées par des
orientations d’aménagement et de programmation qui présenteront un caractère obligatoire et surtout, auront un contenu considérablement enrichi.

En troisième lieu, le contenu des futurs PLU manifeste le souci d’accroître la prise en compte du développement durable et l’intégration de la planification urbaine dans une conception globale de l’aménagement et d’urbanisme. Leur « verdissement » se traduit, par exemple, dans l’obligation qui sera faite à leurs auteurs de prendre en compte, lorsqu’ils existeront, les schémas régionaux de cohérence écologique et les plans climat-énergie territoriaux.

Ainsi, le rapport de présentation devra désormais analyser la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et justifier les objectifs compris dans le PADD au regard des objectifs de
consommation de l’espace fixés, le cas échéant, par le SCOT et au regard des dynamiques économiques et démographiques.

Le PADD ne se bornera plus à définir les orientations générales d’aménagement et d’urbanisme retenues pour l’ensemble de la commune. Conformément aux objectifs du Grenelle de l’environnement, il devra désormais définir en outre les orientations en matière d’équipement, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques. Il devra aussi arrêter les orientations générales concernant l’habitat, les transports et les déplacements, le développement des communications numériques, l’équipement commercial, le développement économique et les loisirs. Il devra, enfin, fixer des objectifs de modération de la consommation de l’espace.

Les orientations d’aménagement et de programmation, à caractère obligatoire, auront un contenu à géométrie variable. Ce contenu sera particulièrement étendu lorsque le PLU sera
élaboré par un EPCI étant l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains. En pareil cas, les orientations d’aménagement et de programmation comprendront en effet des dispositions portant sur l’aménagement, l’habitat, les transports et les déplacements et tiendront lieu du PLH et du PDU.

La liste des prescriptions susceptibles de figurer dans le règlement sera allongée. Ainsi, dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’étalement urbain et en faveur de la
densification dans les zones les mieux desservies en infrastructures de transport, il est prévu que le PLU pourra, dans des secteurs situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés, imposer une densité minimale de construction et/ou fixer un nombre maximum d’aires de stationnement pour accompagner la construction de bâtiments autres que d’habitation.

Il pourra, dans les secteurs qu’il ouvre à l’urbanisation, imposer le respect de performances énergétiques et environnementales renforcées et/ou de critères de qualité renforcés en matière
d’infrastructures et réseaux de communications électroniques.

On peut également relever que, pour éviter que de nombreux documents d’urbanisme continuent d’interdire, de manière empirique, l’installation de systèmes solaires thermiques ou photovoltaïques ou
de tout autre dispositif domestique de production d’énergie renouvelable, l’utilisation en façade du bois ou de tout autre matériau renouvelable permettant d’éviter des émissions de gaz à effet de serre ou la pose de toitures végétalisées, un nouvel article L. 111-6-2 du Code rendra, en principe, et sauf impératifs de protection patrimoniale (secteurs sauvegardés, ZPPAUP…), inopposables ces interdictions. Les PLU pourront seulement fixer les prescriptions à respecter pour assurer la bonne intégration du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant.

En quatrième lieu, comme pour les SCOT, est prévu un renforcement du contrôle de légalité du préfet. Lorsque la commune n’est pas couverte par un SCOT, le représentant de l’État pourra en effet s’opposer au caractère exécutoire du PLU approuvé dans de nouvelles hypothèses. Il pourra ainsi, à l’avenir, demander des modifications du document si les dispositions de celui-ci sont contraires à un projet d’intérêt général, autorisent une consommation excessive de l’espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs ou n’assurent pas la préservation ou la remise en bon état des continuités écologiques. Il le pourra aussi si ses dispositions font apparaître une ou des incompatibilités manifestes avec le PLH ou avec l’organisation des transports prévue par l’autorité organisatrice des transports.

On peut également noter que, lorsque le PLU doit faire l’objet d’une évaluation environnementale (cette obligation étant destinée à être étendue à tous les PLU tenant lieu de PDU), l’analyse des
résultats de l’application de cette évaluation devra être effectuée à l’expiration d’un délai de six ans (et non plus de dix ans). Au surplus, l’analyse devra désormais porter en outre sur la maîtrise de la consommation des espaces, objectif majeur du Grenelle de l’environnement.

Pour terminer, il convient sans doute d’indiquer que les ZPPAUP vont également se trouver impactées. On sait qu’au nombre des très rares dispositions normatives contenues dans la loi de programmation du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, a figuré la suppression de l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France sur les projets compris dans le périmètre d’une ZPPAUP. Saisi en première lecture du projet de loi Grenelle II, en même temps qu’il modifiait le contenu de leur règlement pour y intégrer la prise en compte des enjeux liés au développement durable, le Sénat a entendu mettre fin à cette suppression controversée et a tout à la fois rétabli l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France et réformé la procédure de recours contre cet avis.

Sur proposition de sa Commission des affaires économiques, l’Assemblée nationale va être invitée à transformer les ZPPAUP en « aires de mise en valeur de l’architecture et
du patrimoine »
.
La création de ces aires ferait l’objet d’une concertation et donnerait lieu à l’établissement de trois documents : un rapport de présentation, un règlement et des documents graphiques. Par ailleurs, serait organisé un véritable arbitrage du préfet de région en cas de conflit entre l’autorité compétente pour la délivrance des permis et
l’architecte des bâtiments de France.

4) Dans quelle mesure le droit de l’urbanisme va-t-il en être durablement modifié ?

Sous réserve d’un certain nombre de mesures transitoires, il est prévu que les nouvelles dispositions applicables aux SCOT et aux PLU entrent en vigueur six mois après la publication de la loi Grenelle II. Pour faciliter leur lisibilité, il est d’ailleurs envisagé de les intégrer, à droit constant, dans une nouvelle rédaction du livre Ier du Code de l’urbanisme, à laquelle il pourra être procédé sur le fondement de l’habilitation à prendre des ordonnances que comporte cette loi.

Si l’Assemblée nationale adopte le texte dans sa rédaction retenue par le Sénat, les ordonnances à intervenir pourront également clarifier et simplifier les procédures d’élaboration, de modification et de révision des documents d’urbanisme, redéfinir les compétences des établissements publics d’aménagement et des établissements publics fonciers, unifier et simplifier la définition des surfaces de plancher prise en compte dans le droit de l’urbanisme, apporter au régime des autorisations issues des ordonnances du 8 septembre 2005 (monuments historiques et espaces protégés) et du 8 décembre 2005 (permis de construire et autorisations d’urbanisme) les corrections dont la mise en œuvre de la réforme pourrait faire apparaître la nécessité.

Dans la mesure où l’habilitation ne s’étendrait pas aux autres domaines visés par le projet de loi initial (redéfinition du champ d’application des évaluations environnementales, regroupement et simplification des régimes des taxes et participations d’urbanisme et réforme des dispositions contentieuses du Code de l’urbanisme), il est plus que probable que ceux-ci donneront lieu à des textes législatifs.

Trois autres chapitres du Code de l’urbanisme sont d’ailleurs actuellement en cours de réécriture. Il s’agit de ceux relatifs aux droits de préemption (voir la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit adoptée par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2009).

En définitive, il ne s’agit là que de la poursuite d’un mouvement d’évolution constante qui peut donner le vertige. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer que, depuis le 1er janvier 2009, se sont déjà succédées quatre lois (loi du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement) et quatre décrets (décret du 18 juin 2009 pris pour l’application des articles 1 et 2 de la loi du 17 février 2009, décret du 18 juin 2009 relatif à la procédure de dérogation visant à autoriser les travaux nécessaires à l’accessibilité des personnes handicapées un logement existant, décret du 22 juillet 2009 relatif aux concessions d’aménagement, décret du 22 mars 2010 pris pour l’application des dispositions d’urbanisme de la loi du 25 mars 2009).

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