Cyprien Bès de Berc
Avocat à la Cour – Counsel
LPA-CGR
L’autoconsommation collective est à bien des égards une hérésie dans l’organisation historique du marché électrique français qui, par tradition jacobine, voit d’un œil réservé toute tentative d’autonomie locale, par nature décentralisatrice. Si cette tradition historique ne semble pas contredite par les orientations de la politique générale nationale et, notamment, la relance du nucléaire actée lors du discours de Belfort de février 2022 du président de la République, il n’en demeure pas moins qu’alimentés par la crise récente de l’énergie, les projets d’autoconsommation individuelle comme collective suscitent un intérêt renouvelé chez les consommateurs d’électricité français, particuliers comme professionnels.
Cet intérêt se justifie par les avantages de l’autoconsommation qui permet aux autoconsommateurs de sécuriser leur approvisionnement d’électricité – notamment grâce à des solutions couplées de stockage –, d’anticiper le coût de cette électricité et, selon la source de production, d’avoir un accès direct à de l’énergie renouvelable.
En pratique, l’autoconsommation ne se restreint pas au photovoltaïque mais, compte tenu, de sa simplicité de mise en œuvre, de l’absence de nuisances et de l’intensité capitalistique, c’est aujourd’hui la technologie de production la plus retenue lors des opérations d’autoconsommation collective, ce qui nous pousse à restreindre l’étude à cette seule technologie.
Il convient de distinguer dans les familles d’autoconsommation, l’autoconsommation individuelle, où une seule personne cumule la qualité de producteur et de consommateur final, limitant le plus souvent la puissance des installations de production, de l’autoconsommation collective, réunion d’un ou plusieurs producteurs avec un ou plusieurs consommateurs finals. Plus précisément, l’article L. 315-2 du code de l’énergie indique que « l’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels. ». L’autoconsommation est qualifiée d’étendue lorsqu’elle a lieu « entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie […] ».
L’article ajoute, nous y reviendrons, que : « L’activité d’autoconsommation collective ne peut constituer, pour l’autoconsommateur, le consommateur ou le producteur qui n’est pas un ménage, son activité professionnelle ou commerciale principale. »
Bien qu’elle soit dotée d’un régime juridique dédié, issu notamment de la transposition de la directive n° 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de source renouvelables, l’autoconsommation collective reste dans les chiffres assez peu développée.
En septembre 2023 Enedis recensait 259 opérations d’autoconsommation collective actives pour 3 357 consommateurs[1], à comparer avec les 325 939 autoconsommateurs individuels répertoriés à la même période[2]. Si les chiffres absolus sont assez faibles, Enedis observe une augmentation exponentielle récente du développement de ces projets de recours à l’autoconsommation collective (i.e. environ 67 % d’augmentation entre septembre 2021 et septembre 2022 puis 127 % d’augmentation entre septembre 2022 et septembre 2023)[3].
L’augmentation du recours à ce type de projet s’explique tant, comme une conséquence de la crise de l’électricité, qu’en raison de la levée de freins juridiques en 2021 par plusieurs réformes simplifiant le régime. Cela étant, des obstacles juridiques subsistent, bien que les derniers textes laissent augurer d’une plus grande facilité de recours à ce type d’opérations.
Dès lors, il convient, après avoir exposé l’organisation générale d’une opération d’autoconsommation collective, de revenir – sans prétention d’exhaustivité – sur les obstacles et les avancées récentes du régime juridique de l’autoconsommation collective.
1. L’opération d’autoconsommation collective, une opération pluripartite sur un périmètre géographique restreint
La mise en œuvre d’une opération d’autoconsommation collective est conditionnée à ce que (i) les participants soient raccordés au réseau basse tension d’un unique gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité et, (ii) la distance séparant les participants ne saurait excéder deux kilomètres appréciés entre le point d’injection et le point de livraison. Toutefois, à titre dérogatoire, dans un contexte rural, l’arrêté prévoit une extension du périmètre à vingt kilomètres, sur demande.
Comme dans l’organisation classique entre fournisseur et consommateur, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité est chargé de relever la consommation non-autoproduite des consommateurs, pour que leur fournisseur d’électricité puisse leur facturer. Également, si l’installation d’autoconsommation collective produit plus qu’elle ne consomme, le surplus peut être injecté dans le réseau. Il peut être alors vendu au prix du marché, cédé à titre gratuit au gestionnaire du réseau ou être acheté au tarif d’achat, si l’installation remplit les conditions de l’arrêté tarifaire (cf. arrêté du 6 octobre 2021).
En application des textes, l’opération d’autoconsommation collective réunit les producteurs et les consommateurs de l’opération dans une structure qualifiée de personne morale organisatrice (PMO). Cette PMO porte le projet, signe avec le gestionnaire du réseau de distribution la convention d’autoconsommation collective et se charge d’indiquer la répartition de la production autoconsommée entre les différents consommateurs finals.
La PMO est au cœur de l’organisation de l’opération d’autoconsommation collective puisqu’elle permet de régir les relations entre producteur et consommateur, au sein de la personne morale, position qui évite d’avoir à conclure un contrat de vente directe d’électricité, et de devoir obtenir la qualité de fournisseur d’électricité[4].
En pratique, il est souvent question de savoir quelle est la forme juridique idoine à adopter pour la PMO. Si elle ne fait, en l’état, l’objet d’aucune définition par le code de l’énergie, ce dernier prévoit qu’elle puisse prendre la forme d’un organisme HLM[5] ou de communautés d’énergie renouvelable et des communautés énergétiques citoyennes[6] créées en 2021 dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2018/2001 précitée.
La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables dite APER du 10 mars 2023 a précisé que ces communautés pouvaient alternativement prendre la forme (i) d’une société anonyme, (ii) d’une société par actions simplifiées, (iii) d’une société coopérative d’intérêt collectif ou (iv) d’une association de loi 1901[7]. Il en résulte donc que les PMO peuvent prendre l’une de ces formes lorsqu’elles s’organisent en communautés d’énergie.
À ce titre, la structure associative a été plébiscitée dans un certain nombre de projets développés ces dernières années, grâce à sa simplicité de création et de fonctionnement : pas de dépôt de capital, comptabilité minimale, liberté de choix du mode de gestion. Cette souplesse permet, notamment, de mettre en place des conditions simples d’entrée et de sortie de la PMO, particulièrement utile pour appréhender les mouvements de locataires / propriétaires – consommateurs finals.
Pour autant, ce recours de la pratique au modèle associatif peut se révéler contre-productif dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une personne morale se retrouve impliquée dans plusieurs PMO, générant des lourdeurs. Une structure mutualisée, lorsque c’est possible, offre de potentielles économies d’échelle.
Si une PMO doit obligatoirement prendre l’une des formes précitées lorsqu’elle constitue une communauté d’énergie, en l’absence de précisions législative ou réglementaires, la forme d’une PMO qui ne serait pas une communauté d’énergie est aujourd’hui libre. Les travaux préparatoires à l’adoption des dispositions relatives aux PMO se bornent à indiquer que le regroupement des participants doit s’effectuer « au sein d’une entité juridique (association, coopérative…) créée spécifiquement à cet effet »[8] .
Une PMO peut légitimement prendre d’autres formes que celles prévues pour les communautés d’énergie, pour autant, les termes du rapport au Président de la République soulignent l’importance de consacrer une personne morale ad hoc au développement d’une opération d’autoconsommation collective.
Or, il semble que, dans la pratique, la créativité ait pu dépasser les bornes du strict code de l’énergie. Illustration du besoin de clarification sur la question, le législateur avait enjoint l’ADEME à publier, au plus tard trois mois après la promulgation de la loi APER, un guide à destination des collectivités, afin de présenter des « recommandations concernant les possibilités de création de structures juridiques permettant d’assurer une production d’énergies renouvelables en régie dans un objectif d’autoconsommation collective »[9]. À l’heure où nous écrivons ces lignes, soit plusieurs mois après la promulgation de la loi, le guide ne semble pas avoir été encore publié.
2. Les obstacles au développement des opérations d’autoconsommation collective
Les opérations d’autoconsommation collective doivent faire l’objet d’une appréciation fine avant d’être déployées dans la mesure où l’étude économique peut parfois révéler qu’il est plus intéressant d’injecter toute l’électricité produite par l’installation, à un prix de soutien, plutôt que de procéder à de l’autoconsommation, compte tenu des taxes (n.b. même si le TURPE fait l’objet d’une adaptation pour les installations d’autoconsommation collective).
Plus avant, si elles ne sont pas adossées à des capacités de stockage[10], l’intermittence du photovoltaïque peut entraîner un décalage entre heures de production et heures de besoin de consommation, affectant la rentabilité économique de l’opération.
Si ces obstacles économiques doivent être appréhendées projet par projet, il reste des difficultés purement juridiques sur lesquelles le législateur pourrait intervenir.
Ainsi, l’article L. 315-2 du code de l’énergie prévoit que l’activité d’opération d’autoconsommation collective ne peut constituer une activité professionnelle ou commerciale principale pour « l’autoconsommateur, le consommateur ou le producteur qui n’est pas un ménage ».
Or, cette prohibition est préjudiciable pour les porteurs de projets d’énergies renouvelables qui sont susceptibles d’être à l’origine des projets d’autoconsommation collective. En effet, si ceux-ci sont actifs sur un certain nombre d’opérations et qu’une unique opération ne devrait pas pouvoir constituer leur activité commerciale principale, il n’en reste pas moins que les termes de la loi entretiennent une incertitude juridique. Quid, par exemple, de l’hypothèse où un porteur de projets est actif dans une multitude d’opérations d’autoconsommation collective qui constituent, prises ensemble, la majorité de son activité commerciale ?
À ce titre, dans le cadre des travaux sur la loi APER, les parlementaires avaient introduit un article permettant de lever cette interdiction pour les producteurs et ce afin de lever « un frein réel au développement » des projets d’autoconsommation collective[11]. Les parlementaires soulignaient à juste titre une surtransposition de la directive de 2018 précitée. En effet, celle-ci énonce uniquement une telle interdiction pour les autoconsommateurs et non pour les producteurs[12]. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré, pour un motif procédural, ces dispositions introduites au cours de la procédure parlementaire[13].
On ne peut que regretter cette issue tant il est difficile de concevoir que le déploiement de l’autoconsommation collective à plus grande échelle en France puisse s’effectuer sans donner une place à des porteurs de projet spécialisés dont l’expertise est pourtant nécessaire.
Il conviendra alors pour ces derniers, dans l’attente d’une levée de l’interdiction, d’être attentifs à la structuration de leurs activités et à la part de leur activité dédiée à l’autoconsommation collective.
3. L’ouverture aux collectivités territoriales, vers une relance des projets d’autoconsommation collective ?
La loi APER a ouvert la possibilité aux pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices de conclure un contrat de la commande publique pour répondre à leurs besoins en électricité produite à partir d’une opération d’autoconsommation collective[14].
Cette évolution devrait permettre d’encourager le développement de projets mutualisés d’installations photovoltaïques, avec toutefois, l’obligation de respecter les règles du code de la commande publique. Il sera néanmoins possible de s’interroger sur l’éventuelle application à l’autoconsommation collective des conditions de dérogation de mise en concurrence, dans la mesure où un marché de fournitures ou de services qui « ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé » et ce pour « des raisons techniques » bénéficie d’une telle exemption, aux termes du code. La limite physique résultant du critère de proximité géographique pourrait potentiellement constituer une telle raison technique. In fine, seule la pratique et la pertinence des justifications apportées par les collectivités permettront de déterminer si les projets d’autoconsommation collective peuvent rentrer dans ce champ dérogatoire.
À ce stade, un certain nombre de sujets restent en suspens sur l’application concrète de cette possibilité offerte par la loi APER, que seule la pratique pourra venir combler.
À cet égard, l’arrêté du 19 septembre 2023[15] a élargi la possibilité de mettre en œuvre une opération d’autoconsommation collective étendue, en prévoyant la possibilité de demander une dérogation pour les zones périurbaines dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective étendue au maximum sur une distance de dix kilomètres entre les participants les plus éloignés. Ces nouvelles dispositions ont pour objectif de permettre à des zones en périphérie de grandes villes « d’être moteurs de la transition énergétique de leur territoire »[16], renforçant la possibilité d’une prise en main du sujet par les collectivités locales et l’émergence de nouveaux modèles décentralisés de production d’énergie.
[1] Data.gouv.fr, Répartition des opérations d’autoconsommation collective actives – maille Enedis, 1er octobre 2023.
[2] Enedis.fr, Observatoire de la Transition Ecologique : plus de 325 000 autoconsommateurs photovoltaïques, 22 août 2023.
[3] Data.gouv.fr, Répartition des opérations d’autoconsommation collective actives – maille Enedis, 1er octobre 2023 : 68 opérations actives en septembre 2021, 114 en septembre 2022 et 259 en septembre 2023.
[4] Cf. Délibération de la CRE du 18 janvier 2024 portant avis sur un projet de décret fixant les modalités de l’autorisation dont les producteurs d’électricité concluant un contrat de vente directe d’électricité à des consommateurs finals ou à des à des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes doivent être titulaires
[5] Art. L. 315-2-1 du code de l’énergie
[6] Art. L. 315-2-2 du code de l’énergie
[7] Art. L. 291-3 du code de l’énergie
[8] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité.
[9] Loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, art. 116.
[10] Art. D. 315-11 du code de l’énergie
[11] Assemblée nationale, Rapport relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, n°443, article 11 septies A, p. 253.
[12] Directive n°2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, article 2.
[13] Conseil constitutionnel, Décision n°2023-848 DC, Loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, 9 mars 2023, point 61.
[14] Code de l’énergie, article L. 331-5, 2°.
[15] Arrêté du 19 septembre 2023 modifiant l’arrêté du 21 novembre 2019 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue.
[16] Sénat, Question écrite n°05971 – 16e législature, Réponse du Ministère de la transition énergétique, 7 septembre 2023.