Les enjeux inédits de l’agriculture urbaine

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Antoine de Lombardon
Avocat à la cour

L’émergence progressive de l’agriculture urbaine célèbre le retour remarqué de l’activité agricole au cœur des villes dont elle a été longtemps chassée. La ville minérale reste charmée par la fertilité agricole et lui ouvre des espaces de plus en plus nombreux : toitures, parking, délaissé, espaces verts. Le développement de l’activité agricole en milieu urbain pose des questions juridiques inédites qui éprouvent la résilience des règles en vigueur.

Acclimatation des documents d’urbanisme

Alors que la protection des terres agricoles est une vocation traditionnelle des documents d’urbanisme, ils sont en revanche bien embarrassés à traiter correctement l’exercice d’activités agricoles en zone urbaine. Il est usuel notamment que le règlement des zones urbaines interdise purement et simplement les exploitations agricoles et forestières. Cette disposition empêche alors l’édification de constructions agricoles à l’instar d’une serre, d’un chassis ou même d’une simple clôture.

Certains aménagements utiles aux agriculteurs urbains sont dispensés de toute formalité et, dans la plupart des cas, il ne faut ni permis, ni déclaration préalable pour installer des bacs potagers sur une toiture ou pour aménager une champignonnière dans un parking. Cependant, la combinaison des articles L. 421-8 et L. 421-6 du code de l’urbanisme conduit à ce que les constructions, aménagements, installations et travaux, même dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme, doivent néanmoins être conformes aux exigences de l’utilisation ou de la destination des sols tels que définit par le document d’urbanisme (Cass. Crim. 27 septembre 2016 n°15-82796).

L’interdiction de l’exploitation agricole en zone urbaine risque alors d’empêcher ce type d’aménagement, sauf à considérer que les termes « exploitations agricoles » ne visent que l’entité économique en interdisant l’installation de siège d’exploitation, sans empêcher néanmoins l’activité agricole qui se réfère à des actes matériels de production agricole : on pourrait cultiver en zone urbaine, mais pas y installer un siège d’exploitation.

Face à ces difficultés, on comprend que de nombreuses collectivités (Paris, Nantes, Bordeaux, Angers, Lille, Montpellier, etc.) aient intégré dans leur règlement d’urbanisme la possibilité d’activités agricoles en zone urbaine. Rien n’interdit pour cela de créer des sous-secteurs au sein de la zone urbaine où l’activité agricole serait admise. Le Conseil d’État avait ainsi reconnu la légalité d’un POS doté d’un secteur spécifique consacré aux activités hippiques (CE 30 déc. 1998 Barbé n°172317). Pour permettre l’émergence de ces zonages spécialisés, encore faut-il pouvoir définir l’agriculture urbaine.

Définition juridique de l’agriculture urbaine

Il n’existe pas de définition juridique de l’agriculteur urbain, pas plus que de l’agriculteur d’ailleurs. Le code rural définit seulement l’activité agricole à l’article L. 311-1 comme « la maîtrise et l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ». À la lecture, il est permis de noter qu’il n’y a pas de critère géographique ou territoriale, ce qui est parfaitement délibéré.

Jusqu’à l’intervention de la loi du 30 décembre 1988, la définition de l’activité agricole a été donnée par la jurisprudence avec comme critère d’identification la mise en valeur d’un fonds de terre. Cependant, face au développement de l’élevage hors sol notamment, et dans le souci d’éviter que ce type d’activités ne sorte du champ agricole, le législateur est intervenu pour forger une définition sans considération du lieu d’exercice. Ainsi déterritorialisée, l’activité agricole est susceptible de couvrir toutes les formes d’exploitation professionnelle du cycle biologique d’origine animal ou végétal, même si elle s’exerce sur la toiture d’un immeuble, au cœur d’un parking ou au milieu d’un square.

Dans un arrêt du 10 janvier 2023 (n°21PA01671), la cour administrative d’appel de Paris a confirmé que l’agriculture urbaine se rapportait à cette définition. La cour était saisie de la légalité d’un permis de construire portant sur une installation de pisciculture en zone urbaine et dont le règlement autorisait « les constructions ou installations relevant de l’agriculture urbaine, compatibles avec le caractère de la zone ». Au visa de l’article L. 311-1 du code rural, elle précise que l’agriculture urbaine doit être considérée « comme s’étendant à toutes les activités de nature agricole pouvant être effectivement pratiquées en milieu urbain ».

Ainsi, les professionnels exerçant de manière prépondérante une activité de production animale ou végétale seront concernés par cette définition avec les conséquences juridiques qui en découlent : affiliation à la Mutualité Sociale Agricole, accès au régime des baux ruraux, soumission au contrôle des structures, accès aux aides économiques de la PAC, fiscalité agricole, etc. L’éventail des règles du code rural est large.

Acclimatation du droit rural

Parmi les enjeux importants figure celui de la forme contractuelle pouvant être utilisé pour mettre un espace à disposition d’un agriculteur urbain.

En effet, un contrat de mise à disposition d’immeubles privés à usage agricole en vue d’une exploitation agricole encourt, quelle que soit la volonté des parties, la qualification de bail ruraux et l’application automatique de ses dispositions d’ordre public : durée de neuf ans, droit au renouvellement, plafonnement réglementaire du loyers, droit à indemnisation en fin de bail, etc. Cela vaut pour les personnes privées propriétaires fonciers, mais également pour les personnes publiques sur leur domaine privé, un bail rural ne pouvant en revanche pas être conclu sur le domaine public (CE 15 novembre 1950 – CAA Lyon 18 octobre 2011).

Le bail rural exerce ainsi une force d’attraction dont les propriétaires auront tendance à chercher à se dégager en concluant des prêts à usage ou des baux emphytéotiques pour échapper au statut du fermage. D’autant plus que le bail rural, conçu pour protéger l’agriculteur, présente certaines faiblesses à l’égard d’un agriculteur en zone urbaine. L’article L. 411-32 du code rural permet en effet à un propriétaire dont les biens sont situés en zone urbaine d’un PLU de résilier le bail à tout moment, par une simple notification, ce qui est une fragilité majeure.

Il manque de toute évidence une figure contractuelle adaptée à cette activité qui présente pourtant certains avantages, notamment fiscaux.

L’article 1382 6° du code général des impôts exonère de taxe foncière sur les propriétés bâties « les bâtiments qui servent aux exploitations rurales », c’est-à-dire les bâtiments affectés à un usage agricole (CE 14 octobre 2015 n°378329). Ainsi, un immeuble affecté de manière permanente et exclusive à une activité d’agriculture urbaine pourrait être exonéré de taxe foncière, et donc également des taxes grevant les propriétés assujetties à la taxe foncière comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM).

L’agriculture urbaine, par l’improbable rencontre qu’elle noue entre la ville et l’activité agricole, bouleversent les perceptions traditionnelles. Elle se voit néanmoins appliquer des règles qui n’ont pas été conçues pour elle, ce qui ne facilite pas son déploiement.