Aurore-Emmanuelle Rubio
Avocate Counsel
Responsable Régulation de l’Énergie
CMS Francis Lefebvre Avocats
On se rappelle du discours du 10 février 2022 prononcé par le Président Macron lors de son passage à Belfort destiné à annoncer le rachat de la branche nucléaire de General Electric par EDF dans lequel plusieurs objectifs en terme de production d’électricité d’origine renouvelable ont été annoncés : multiplication par 10 de la production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW, déploiement de 50 parcs éoliens en mer pour atteindre les 40 GW et doublement de la production des éoliennes terrestres pour arriver à 40 GW de production. La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables fait partie des textes annoncés dans ce discours et destinés à accélérer la production d’énergies décarbonées en France.
Le texte s’articule autour de quatre piliers : planifier en remettant les territoires et les collectivités locales au centre des décisions, simplifier pour lever les difficultés administratives et améliorer la sécurité juridique des projets, libérer les terrains déjà artificialisés ou sans enjeux environnementaux majeurs pour déployer les énergies renouvelables et enfin mieux partager la valeur générée par ces énergies.
Au-delà des mesures ciblées concernant certaines filières (l’éolien en mer ou le solaire avec le développement de l’agrivoltaïsme, la mobilisation des friches, ainsi que des toitures et parkings), la loi comporte plusieurs mesures qui intéressent l’ensemble des acteurs de la filière ENR (industriels, producteurs, financiers, personnes publiques) et des filières de production. Il est utile de revenir sur deux de ces mesures en lien avec les règles d’urbanisme, à savoir d’une part la mise en place d’un fonds de garantie du développement des projets ENR, qui devrait sécuriser les développeurs et d’autre part les mesures de simplification procédurales adoptées pour faciliter les raccordements électriques.
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Mise en place d’un fonds de garantie pour le développement des projets ENR
Lorsqu’une autorisation (permis de construire par exemple pour les projets solaire photovoltaïque ou thermique) est nécessaire à la réalisation d’une installation de production d’électricité, il n’est pas rare qu’elle fasse l’objet de recours contentieux. Or un nombre non négligeable de ces recours sont finalement rejetés par le juge administratif. Cependant, malgré cette issue favorable, l’effet de ces recours est de retarder de plusieurs années la construction desdits projets, les producteurs préférant temporiser la réalisation de leurs projets pour limiter les risques de financement. Ainsi, le législateur a-t-il créé un fonds de mutualisation à vocation assurantielle pour inciter les producteurs à ne pas retarder leurs projets, malgré l’existence de recours, afin de couvrir leurs coûts en cas d’annulation de l’autorisation de construire.
Les assureurs ont ainsi pu développer par le passé des produits d’assurance spécifiques : pour en bénéficier, le producteur devait, préalablement à la souscription de la garantie, soumettre à la compagnie assurant le risque financier lié aux éventuels recours le dossier de demande d’autorisation administrative, qui était audité par un conseil juridique (notaire, avocat) missionné par l’assureur. Ce dernier pouvait alors couvrir les risques liés à l’annulation et à la suspension des permis de construire et autorisation d’exploitation (remise en état du site, remboursement des organismes prêteurs etc.).
L’intérêt de ces produits assurantiels est désormais à réinterroger puisque l’article 24 de la loi a créé un nouvel article au sein du code de l’énergie, l’article L.311-10-4, qui permet notamment pour les projets d’énergie solaire photovoltaïque ou thermique à l’exploitant de l’installation retenue à la suite d’un appel d’offres ou bénéficiant d’un contrat de complément de rémunération en application de l’article L.314-18 du même code d’adhérer s’il le souhaite à un fonds de garantie destiné à compenser une partie des pertes financières qui résulteraient, par exemple, d’une annulation par le juge administratif du permis de construire.
Cet article est issu de l’amendement n°COM-374 déposé en commission par le rapporteur, le sénateur Didier Mandelli et a été jugé conforme à la Constitution, pour absence de contrariété au principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel considérant que la différence de traitement instituée par les dispositions de cet article, fondée sur la différence de situation entre les exploitants et les producteurs utilisant des sources d’énergie qui ne sont pas renouvelables, est en rapport avec l’objet de la loi.
Le législateur a défini les pertes financières comme les dépenses engagées par les exploitants pour l’approvisionnement, la construction et les éventuels frais annexes, notamment financiers y afférents.
Les adhérents devront une contribution financière, dont le montant sera établi en fonction de la puissance installée du projet et ils seront éligibles à indemnisation une fois que la juridiction saisie aura statué définitivement par une décision d’annulation du permis de construire.
Le décret qui doit déterminer les modalités d’application de cet article notamment les conditions, les taux, les plafonds et les délais d’indemnisation pour les sociétés adhérentes, ainsi que le montant de la contribution financière et les modalités de gestion du fonds de garantie est en cours d’élaboration par la DGEC. Ce décret fixera également la limite dans laquelle la dotation initiale à ce fonds peut être imputée aux charges des missions des services publics de l’énergie.
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Un régime procédural simplifié pour faciliter l’électrification des procédés industriels
L’électrification des procédés industriels est un moyen important de décarbonation à l’échelle du pays. Or elle nécessite une adaptation des réseaux électriques et notamment du réseau de transport d’électricité.
On sait que l’obtention des autorisations administratives pour l’adaptation du réseau de transport, tant au titre du code de l’environnement que celui de l’urbanisme requiert en moyenne, pour les projets de grande ampleur, cinq années d’instruction avant le début des travaux qui vont eux, durer deux à trois ans en moyenne.
Le législateur a donc mis en place avec l’article 27 un régime simplifié pour la construction des lignes et postes électriques, pendant les deux années suivant la promulgation de la loi, cette durée pouvant être prolongée de deux ans par décret en Conseil d’État : les raccordements électriques sont ainsi accélérés et facilités par des dérogations à la loi Littoral là où se situent de nombreuses industries fortement émettrices de gaz à effet de serre, dont les zones portuaires industrielles.
Les dérogations sont limités aux seuls ouvrages du réseau public de transport d’électricité (lignes électriques et postes électriques) alimentant des projets industriels contribuant à atteindre les objectifs nationaux stratégiques en matière d’énergie et dont les émissions de gaz à effet de serre ont été supérieures à 250 000 tonnes au cours d’au moins une des quatre années précédant la promulgation de la loi.
Les procédures de participation du public sont aménagées en concertation préalable (article 27 II de la loi) et une évaluation environnementale simplifiée (article 27 III de la loi) pourra être accordée pour certains raccordement. Les postes électriques pourront être implantés dans les espaces identifiés comme remarquables ou présentant les caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, ainsi que dans les milieux identifiés comme nécessaires au maintien des équilibres biologiques en application de la loi n°86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en œuvre du littoral, dite loi Littoral (articles L.121-1 à L.121-51 du code de l’urbanisme relatifs à l’aménagement et à la protection du littoral), sauf en cas d’atteinte excessives aux sites et paysages. Les postes électriques sont en effet indispensables à l’électrification des installations de forte puissance et le plus souvent être implantés à proximité de ces installations.
Une liste de sites sera fixée par décret, au regard des installations industrielles concernées et de l’existence des espaces et milieux remarquables dans le périmètre du projet. L’autorisation de construction dans ces espaces identifiés comme remarquables sera accordée par les ministres chargés de l’urbanisme et de l’énergie, après avis, formulé dans un délai d’un mois, de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme concerné ou, à défaut, du conseil municipal de la commune concernée et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. L’autorisation est justifiée par un bilan technique, financier et environnemental. Cette autorisation est subordonnée à la démonstration, par le pétitionnaire, que la localisation du projet dans ces espaces et ces milieux répond à une nécessité technique impérative. L’instruction de la demande s’appuie sur une étude fournie par le pétitionnaire établissant cette démonstration. L’autorisation est refusée si le projet est de nature à porter une atteinte excessive aux sites et aux paysages remarquables ou caractéristiques ou aux espaces et milieux à préserver mentionnés à l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme.
Notons que ces dérogations ne remettent pas en question l’obligation d’enfouissement des lignes, sauf complexité technique ou disproportion financière.