Transition écologique : le projet de loi sur l’industrie verte adopté par l’Assemblée nationale

ELAN

Sarah Marguerie
Avocate
CMS Francis Lefebvre Avocats

Chiara Corrasco
Avocate
CMS Francis Lefebvre Avocats

Voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 21 juillet 2023, le projet de loi relatif à l’industrie verte vise à accélérer l’implantation en France d’entreprises industrielles œuvrant pour la transition écologique et la souveraineté nationale.

Les objectifs poursuivis sont les suivants :

  • En matière environnementale, une baisse de 41 millions de tonnes de CO2 eq[1] est attendue d’ici 2030 grâce aux principales mesures du projet, soit près de 5 % de réduction de l’empreinte des importations et 1 % de l’empreinte totale de la France.
  • En matière économique, le crédit d’impôt « Investissement Industries Vertes », qui sera présenté en projet de loi de Finances pour 2024, devrait générer 23 milliards d’euros d’investissements et 40 000 emplois directs sur le territoire d’ici 2030.

Le soutien à l’industrie verte, qui s’inscrit dans le nouveau cadre européen du NZIA (Net Zero Industry Act) et TCTF (Temporary Crisis and Transition Framework) se veut être une réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA) adopté en 2022 par les États-Unis et au plan quinquennal de la Chine de fin 2021 pour stimuler le développement vert des secteurs industriels.

Nous vous proposons ci-après un tour d’horizon des principales dispositions de ce projet de loi.

La planification industrielle à l’échelle régionale

En tant que cheffe de file en matière d’aménagement et de développement durable et économique sur son territoire, la région est considérée comme l’échelon pertinent pour une planification industrielle rationalisée, conciliant lutte contre l’artificialisation des sols et « reconquête industrielle »[2].

À ce titre, une planification du foncier industriel sera mise en place à l’échelle régionale au travers des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) qui devront intégrer les objectifs de moyen et long termes en matière de développement industriel, notamment de localisation des constructions industrielles[3].

La région devra associer les départements dans l’élaboration du projet de SRADDET pour définir les objectifs de développement industriel, conformément à un amendement introduit par le Sénat[4] tendant à renforcer le rôle des départements.

Ces orientations s’appuieront a priori sur la future stratégie nationale « industrie verte » devant être élaborée par l’État pour la période 2023-2030, en application de l’article 1er bis du projet de loi.

La mobilisation du foncier disponible grâce aux friches industrielles

Alors que 22 000 hectares de foncier seraient nécessaires au développement de l’industrie française[5], la raréfaction du foncier est un enjeu central auquel le projet de loi entend répondre. L’enjeu foncier donne lieu à différentes mesures :

  • Véritable opportunité pour optimiser le foncier et maintenir une offre de sites à destination des entreprises, les friches devront être prises en compte par le projet d’aménagement stratégique du schéma de cohérence territoriale (SCOT) dans la définition des objectifs de développement et d’aménagement du territoire à horizon de vingt ans[6].
  • Dans le même sens, les compétences des établissements publics fonciers de l’État sont expressément élargies au développement industriel des territoires, notamment via la mobilisation des friches[7].
  • Les procédures de dépollution des friches industrielles sont améliorées en vue de les accélérer, notamment en priorisant le remboursement de la créance relative aux frais de mise en sécurité environnementale d’un site pollué en cas de liquidation de l’exploitant.
  • La procédure d’expropriation applicable aux parcelles en état d’abandon manifeste est également étendue aux fins d’implantation d’installations industrielles[8].
  • La Banque des Territoires doit enfin investir un milliard d’euros entre 2023 et 2027 pour créer 50 sites « clés en main » pré-aménagés, en dépolluant des friches industrielles.
  • Les 6 700 kilomètres de voies fluviales et 40 000 hectares[9] de domaine public de Voies navigables de France seraient affectés au développement d’énergies renouvelables[10].

L’accélération de l’implantation des entreprises industrielles

Poursuivant l’objectif ambitieux de diviser par deux les délais nécessaires à l’ouverture ou l’agrandissement d’une usine, le gouvernement a proposé plusieurs mesures – modifiées au cours du travail parlementaire – visant à réduire les délais prévus, tant au titre du droit de l’environnement que du droit de l’urbanisme.

S’agissant des aspects environnementaux, le texte entend notamment fusionner les phases d’examen et de consultation du public afin de prendre en compte plus tôt l’avis du public, permettre la nomination du commissaire enquêteur et d’un ou plusieurs suppléants dès la réception du dossier, limiter à quinze jours le délai qui leur est octroyé pour la restitution de son rapport et sanctionner les recours abusifs contre l’autorisation environnementale.

En parallèle, s’agissant des aspects urbanistiques, différentes mesures sont proposées :

  • Pour les projets « importants mais non majeurs »[11], le bénéfice de la procédure de déclaration de projet, qui permet la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et de planification entravant la réalisation du projet, est étendu. Les projets concernés[12] visent désormais les installations de fabrication, d’assemblage ou de recyclage des produits ou des équipements, y compris de petites et moyennes entreprises, qui participent aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable[13].
  • Pour les projets d’intérêt national majeur tels que listés par un décret à venir, une procédure simplifiée ad hoc de mise en compatibilité par l’État des documents d’urbanisme et de planification qui serait plus rapide, est instaurée[14].

Largement modifié au cours du travail parlementaire, cet article – dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale – prévoit qu’une telle procédure de mise en compatibilité ne peut être engagée qu’après accord du maire de la commune ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale concerné par l’implantation du projet industriel d’intérêt national majeur. Le public sera consulté par voie électronique sur le projet, à la suite de la réalisation d’une évaluation environnementale. Bien que l’État soit tenu de présenter cette consultation devant l’organe délibérant de la collectivité, l’avis rendu sur le projet de mise en compatibilité ne serait qu’un avis simple.

À noter que, tel qu’indiqué par le ministre délégué à l’Industrie M. Roland Lescure, ces projets d’intérêt national majeur seraient, à titre indicatif, au nombre de deux ou trois par an.

Le recyclage facilité

L’utilisation des déchets recyclés comme matière première sera simplifiée, tout comme la réutilisation des résidus de production au sein des plateformes industrielles.

Les sanctions relatives à la gestion illicite de déchets sont renforcées : (i) compte tenu de l’ampleur des transferts transfrontaliers illicites de déchets, une amende administrative spécifique est créée, égale au plus à cinq fois le coût de traitement des déchets concernés et (ii) les sanctions existantes, prévues à l’article L. 541-46 du code de l’environnement, sont portées de 75 000 euros à 150 000 euros d’amende et de sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende à huit ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.

Une meilleure prise en compte des critères environnementaux en matière de commande publique

Le projet de loi prévoit une accélération de la prise en compte de critères environnementaux dans la commande publique et les dispositifs de soutiens publics. En particulier, l’introduction de la possibilité d’exclure de la procédure de passation d’un marché ou d’un contrat de concession les opérateurs qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre[15] pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation[16] ; et la précision dans le code de la commande publique[17]  qu’une offre économiquement la plus avantageuse  peut également s’apprécier  en fonction de critères environnementaux[18].

En complément de ces mesures législatives, des mesures réglementaires vont contribuer à favoriser les entreprises les plus vertueuses : création d’un standard triple E – Excellence Environnementale Européenne – permettant de procurer un avantage compétitif aux entreprises qui ont opté pour une production écologiquement exigeante ; conditionnement de l’octroi des  aides publiques à la transition écologique et énergétique par les établissements publics et les sociétés publiques[19] à la mesure de l’impact environnemental des entreprises[20], conditionnement du bonus écologique à l’empreinte environnementale des véhicules électriques.

Mieux financer l’industrie verte française  

Les grandes technologies de la décarbonation (photovoltaïque, éolien, batteries électriques, pompes à chaleur et hydrogène vert) font face à des surcoûts initiaux de production qui expliquent un soutien spécifique à leur développement. Par ailleurs, les coûts estimés de la décarbonation rendent opportune une mobilisation plus globale des fonds publics et privés.

Trois dispositions du projet de loi visent à répondre à ces attentes :

  • lancement d’un plan d’épargne « Avenir Climat » à destination des jeunes âgés de moins de 21 ans[21],
  • création d’un label « Industrie Verte » et utilisation générale de labels simples pour identifier et fiabiliser les investissements en faveur de la décarbonation de l’économie[22],
  • développement des fonds ELTIF2[23] ainsi que du capital-investissement vert dans le cadre de l’assurance-vie et de l’épargne retraite.

Ces dispositifs en faveur de l’épargne seront complétés par des mesures de soutien aux technologies vertes ainsi qu’à la décarbonation de l’économie. S’agissant des technologies vertes, un crédit d’impôt en faveur des entreprises qui investissent dans les industries vertes sera mis en place par la loi de finances pour 2024. S’agissant de la décarbonation des industries existantes, Bpifrance et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) s’engagent à créer une palette complète de soutien au verdissement des processus de production.

En outre, pour permettre de consulter les actionnaires sur la « stratégie climat et durabilité » des entreprises, un amendement propose de généraliser les « Say on Climate » [24], c’est-à-dire un vote consultatif non contraignant des actionnaires sur les stratégies climat et durabilité des entreprises cotées dans lesquelles les investisseurs sont susceptibles d’investir.

En octobre 2023, une commission mixte paritaire doit se tenir pour tenter de s’accorder sur une version finale du texte et ainsi apporter une réponse aux défis industriels et écologiques de la France.

[1] Équivalent CO2.

[2] Étude d’impact du projet de loi relatif à l’industrie verte.

[3] La détermination de ces objectifs devra intervenir « dans une logique de renforcement des filières et des chaînes de valeur existantes, de développement équilibré des territoires, de décarbonation des sites industriels existants et de maintien et de progression de l’emploi industriel » (article 1).

[4] Amendement n°131 rect. Bis, Mme Nathalie Delattre.

[5] Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel, M. Rollon MOUCHEL-BLAISOT (chargé d’une mission interministérielle auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre délégué chargé de l’industrie), juillet 2023.

[6] Article 5 ter.

[7] Article 1er bis.

[8] Article 5 bis.

[9] Cf. Compte-rendu de réunion n°5, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’industrie verte, 6 juillet 2023.

[10] À cette fin, l’établissement public remettra un rapport puis mettra en place une stratégie pluriannuelle, intitulée « voies navigables à énergie positive », en concertation avec les collectivités territoriales concernées (article 5 bis B).

[11]  Rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’industrie verte, M. G. Kasbarian, 7 juillet 2023.

[12] La liste des secteurs concernés pourrait être proche de la liste des technologies dites « zéro net », figurant dans la proposition de règlement « Net-Zero Industry Act » en cours de négociation au niveau européen.

[13] Article 8.

[14] Article 9.

[15] Conformément à l’article L229-25 du code de l’environnement.

[16] Article 13.

[17] Articles L3124-5 et L.2152-7 du code de la commande publique.

[18] Article 13.

[19] Il s’agit des sociétés dans lesquelles l’État détient directement ou indirectement une majorité du capital ou des droits de vote (article 13).

[20] Il est notamment prévu de faciliter l’accès aux aides proposées par BPI France et l’ADEME pour les TPE et PME afin de les accompagner dans la réalisation de leur bilan carbone.

[21] Article 16.

[22] Article 15.

[23] Article 17.

[24] Article 18.