L’urbanisme de projet

Philippe Baffert
Consultant

1) Le concept même d’urbanisme de projet fait l’objet d’un certain consensus mais pourquoi est-il encore difficile à mettre en œuvre ?

Il n’est pas simple de revenir sur plus de quarante ans de conception purement réglementaire du contenu des documents d’urbanisme.

Les POS n’avaient pas vocation à porter un « urbanisme de projet ». Non pas que la loi d’orientation foncière de 1967, qui les crée, ignorât la nécessité de projet d’urbanisme. Mais elle en chargeait l’urbanisme opérationnel, grands ensembles et grands projets de rénovation urbaine qui portaient, à l’époque, sur des centaines d’hectares, et non dans les documents qui définissaient le droit des sols. Ceux-ci devaient définir un zonage et édicter des règles simples, souvent identiques dans toutes les communes du département, dans l’attente de l’élaboration de projets, souvent confiée à de grands architectes, permettant la création de quartiers nouveaux. Cela a donné les POS stéréotypés que tout le monde condamne aujourd’hui.

L’échec des grands ensembles a conduit à un échec dramatique de cette politique qui distinguait de façon dirimante l’urbanisme réglementaire (POS) de l’urbanisme opérationnel (ZAC). La taille des opérations d’aménagement se réduisant de plus en plus, les ZAC et leurs plans d’aménagement de zone sont devenus et ont été perçus comme des instruments de dérogation, et non des moyens de mettre en œuvre un projet urbain.

C’est pour pallier ces difficultés que la loi SRU a entendu replacer l’urbanisme de projet au centre de l’élaboration du document d’urbanisme couvrant l’ensemble de la commune, le PLU. C’est le sens de la création du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) et de l’intégration des ZAC dans les PLU. Il faut se souvenir que cette réforme a été fortement contestée, à partir de 2002. La notion d’urbanisme de projet ne fait l’unanimité que depuis très peu de temps. Et on voudrait qu’à partir du moment où, en haut, on a enfin compris, en bas, les 16 000 communes dotées d’un POS ou d’un PLU s’alignent immédiatement ? Ce n’est pas si simple.

2) Qu’en est-il des ordonnances prévues par la loi Grenelle II ?

Les ordonnances prévues par la loi Grenelle II n’y ont rien fait, en ne pouvaient d’ailleurs légalement intervenir dans ce domaine. En effet, la recodification du droit de l’urbanisme devait être effectuée « à droit constant » en ce qui concerne les règles de fond.

Mais les contraintes imposées par la loi Grenelle II, si elles sont appliquées, devraient conduire à apporter plus d’attention à l’urbanisme de projet qu’on ne le faisait auparavant. Si les PLU doivent prévoir, à capacité d’accueil constante, une forte diminution de la consommation d’espaces naturels, ils devront nécessairement mieux prévoir l’accueil des constructions nouvelles, définir des gabarits et prévoir des voies nouvelles. Le gaspillage d’espace est très largement imputable à l’absence de réflexion préalable sur les formes urbaines.

3) À ce stade d’évolution de la matière, une nouvelle réforme du Code de l’urbanisme vous paraît-elle nécessaire ou souhaitable ?

S’il s’agit de favoriser l’urbanisme de projet, certainement pas. Les lois précédentes (la loi SRU de 2000, la loi urbanisme et habitat de 2003 et la loi Grenelle II de 2010) ont donné aux communes un arsenal complet. Le projet d’aménagement et de développement durables, les orientations d’aménagement et de programmation, le fait que tous les articles règlements, sauf deux, soient facultatifs, permet de passer de l’urbanisme « réglementaire » à l’urbanisme « de projet », si projet il y a. Sur le plan de la procédure, la déclaration de projet permet d’adapter l’ensemble des documents d’urbanisme (et pas seulement le PLU) au projet, lorsque celui-ci n’était pas encore connu au moment de leur élaboration.

La difficulté est aujourd’hui d’aider l’ensemble des intervenants – élus, bureaux d’études, services de l’État – de se défaire des vieilles habitudes des POS et d’envisager l’urbanisme autrement. C’est plus affaire de pédagogie que de législation. Trop d’évolutions législatives nouvelles aura même, on peut le craindre, un effet contraire. Par exemple, il est nécessaire de faire comprendre que les PLU ne doivent prévoir que celles des règles qui paraissent essentielles aux élus pour que les constructions respectent bien le projet urbain. Il est certain que, lorsque la rédaction du document s’appuie sur un projet, deux, trois ou au maximum quatre règles suffisent. Qu’on se souvienne que tout le Paris haussmannien s’est fait avec deux règles ! Les PLU qui remplissent les quatorze articles mécaniquement ne font généralement que reprendre les anciens règlements type départementaux, et n’ont pas été établis sur la base d’un véritable projet. Faut-il, pour autant, par la loi, interdire aux élus d’édicter des règles dans les secteurs où ils ont un projet, comme cela a pu être envisagé récemment ? Cela ne paraît pas souhaitable, et risquerait, à terme, de provoquer un rejet de la notion même d’urbanisme de projet. Dans bien des communes, par exemple, si les élus ne peuvent pas réglementer la hauteur des bâtiments dans les secteurs où un projet a été élaboré, ils s’empresseront de revenir à l’urbanisme « réglementaire » et ne feront pas de secteur de projet.

L’inflation législative et réglementaire atteint un niveau inquiétant : les derniers décrets Grenelle modifient des décrets qui datent de moins de deux mois et ne sont pas encore entrés en vigueur. Il devient, dans ces conditions, très difficile d’appliquer le Code, avec ou sans projet !

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