La loi ELAN, un frein à l’élan des recours abusifs en contentieux des autorisations d’urbanisme ?

Brèves de jurisprudence urbanisme

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URBANISME ET AMÉNAGEMENT

L’article 80 de la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018 a modifié les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme telles qu’elles étaient énoncées par l’ordonnance du 18 juillet 2013 pour concilier au mieux droit au recours et sécurité juridique des autorisations d’urbanisme.

S’il apparaît que les nouvelles dispositions demeurent insatisfaisantes en pratique, eu égard à l’objectif poursuivi (lequel tend à une meilleure appréhension des comportements abusifs), d’autres dispositions de la loi ELAN permettent bel et bien de prévenir les recours abusifs.

Un assouplissement des conditions d’application de l’article L. 600-7 nécessaire à l’endiguement du contentieux ?

La possibilité, pour le bénéficiaire d’une autorisation de construire, d’introduire une demande reconventionnelle en indemnisation du préjudice né d’un recours abusif, est admise depuis l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme. En effet, dans sa version initiale, antérieure à la loi ELAN, cette voie de recours était subordonnée à la double condition que le recours ait été « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et« qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ». Or, outre son imprécision, cette formulation était trop exigeante, de sorte que dès lors que le requérant avait intérêt à agir, le juge considérait que le recours n’était pas mis en œuvre dans des conditions excédant la défense de ses intérêts légitimes.[1][2]

Par conséquent, l’assouplissement par le législateur des conditions d’application de cet article s’avérait nécessaire tant dans un souci de clarifier les dispositions que dans un souci de dissuader davantage les recours « abusifs » ; lesquels ont généralement pour but de retarder l’exécution des travaux – voire d’obtenir des transactions pécuniaires – plutôt que de contester la légalité de l’autorisation d’urbanisme.

Depuis 2018, il suffit que le recours soit mis en œuvre « dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis » pour que le requérant puisse être condamné à réparer le préjudice causé. La pertinence des moyens soulevés, le nombre de recours, voire l’absence d’intérêt pour agir, pourraient être des critères d’identification de recours abusifs, à l’instar de la jurisprudence judiciaire sur l’abus du droit d’agir en justice.[3][4]

Une première appréciation des nouvelles dispositions, efficacité en demi-teinte ?

La cour administrative d’appel (CAA) de Versailles a, pour la première fois, fait application des nouvelles dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme dans une décision n°16VE02590 rendue le 14 mars 2019.

En l’espèce, par une décision du 6 avril 2014, le préfet de la région Ile-de-France a dispensé une société de réaliser une étude d’impact pour l’édification d’un bâtiment. Par la suite, le préfet a accordé un permis de construire à ladite société par arrêté du 2 décembre 2014.

Une société concurrente a saisi le tribunal administratif de Versailles afin d’obtenir l’annulation de ces deux décisions. À la suite du rejet de sa demande, la société requérante a interjeté appel devant la cour administrative de Versailles.

Dans le cadre d’une demande reconventionnelle, la société bénéficiaire des décisions attaquées a demandé au juge de reconnaître le caractère abusif du recours et de lui allouer des dommages et intérêts.

S’agissant des deux décisions, la cour s’est préalablement prononcée sur l’intérêt à agir de la société requérante.En outre, sur la seconde décision par laquelle le préfet a délivré un permis de construire, la cour a considéré que la société requérante n’avait pas d’intérêt à agir. D’une part, parce qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier « que l’ensemble commercial autorisé par le permis de construire en litige impliquerait des flux de circulation et des risques d’embouteillage routier (…) de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de l’établissement commercial exploité », conformément aux exigences de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme. D’autre part, parce que « le seul intérêt commercial ne saurait donner intérêt à agir »[5].

S’agissant de la demande reconventionnelle introduite par la société bénéficiaire, le juge la rejette car il relève que la prorogation de la condition suspensive afférente au permis de construire n’a donné lieu à aucun versement de sa part et donc que la société ne justifie d’aucun « préjudice en relation directe et certaine avec le comportement abusif attribué à la requérante ».

In fine, pour apprécier les conditions d’application de l’article L. 600-7, le juge ne procède qu’en un seul temps. Il élude la première condition en ne l’abordant qu’implicitement. En effet, la cour semble assimiler sans mot dire l’absence d’intérêt à agir à un comportement abusif. De facto, le juge aurait fait une appréciation souple de la notion de comportement abusif, moins contraignante en comparaison de l’appréciation stricte autrefois retenue des « recours mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes »[6].

En revanche, pour la seconde condition, quand bien même les textes n’exigeraient plus la causalité « d’un préjudice excessif », l’appréciation des nouvelles dispositions demeure exigeante, l’indemnisation requérant que le préjudice soit en « relation directe et certaine » avec le comportement abusif. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Or, une question demeure : comment les juridictions apprécieront-elles le caractère direct et certain du lien de causalité entre le comportement abusif et le préjudice ? Au demeurant, qu’emporte cette précision comme conséquences sur le régime juridique de l’article L.600-7 ? Nul doute que cette précision supplémentaire des dispositions de l’article L. 600-7 ouvrira certainement la voie à des jurisprudences inconstantes sur son régime juridique.

D’autres mécanismes de prévention viennent en soutien à la lutte contre les recours abusifs

La loi ELAN redéfinit l’intérêt à agir des associations. L’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme dans sa version issue de la loi ENL du 13 juillet 2006 prévoit qu’une association n’est recevable à agir contre une autorisation d’urbanisme que si le dépôt de ses statuts en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

La loi ELAN a complété cet article, imposant aux associations, sous peine d’irrecevabilité de leur requête, une durée minimale d’existence d’un an avant l’affichage en mairie du dépôt de permis de construire, afin d’exclure les recours portés par les associations créées dans le seul but de contester l’autorisation d’urbanisme.

Par ailleurs, elle encadre le délai pour introduire un référé-suspension. La loi ELAN a modifié les dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme. Deux remarques de l’une, alors que le tiers devait attendre le début du chantier pour introduire le référé, la version actuelle de l’article L. 600-3 oblige pour les requérants souhaitant obtenir la suspension des travaux, d’exercer le référé dès la délivrance du permis sans attendre le début du chantier. Cette modification a pour but d’alerter le maître d’ouvrage sur un risque sérieux d’illégalité afin de lui permettre de ramener le projet dans le cadre de la légalité, lui évitant au demeurant, une suspension coûteuse des travaux.

De l’autre, la loi exige que ce référé-suspension intervienne en amont de la procédure contentieuse, dans le délai de cristallisation des moyens afin d’assurer la célérité des débats. Cette disposition renvoie au mécanisme de cristallisation des moyens institué par le décret du 17 juillet 2018 à l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme.

Enfin, la loi ELAN encadre davantage les transactions.Afin de lutter efficacement contre les recours « mafieux »[7], elle durcit les modalités de transaction dans le contentieux de l’urbanisme. Si l’article L. 600-8 du code de l’urbanisme imposait déjà l’enregistrement au bureau des hypothèques des transactions ayant pour objet le désistement de l’instance, la loi ELAN le complète par un nouvel alinéa qui interdit aux associations les transactions pécuniaires, sauf lorsqu’elles agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres. Bien entendu, la volonté est d’empêcher les associations d’outrepasser leurs nobles causes pour marchander leur désistement puisque celles-ci devraient poursuivre primusun intérêt général et non lucratif.

[1]CAA Marseille 16 octobre 2015, M. et Mme F et autres, req. n°14MA01001

[2]CAA Lyon 3 novembre 2015, M. E, req. n°14-LY00610

[3]Cass. 2e civ., 5 février 2015, n° 14-11.169

[4]Cass. 3e civ., 5 juin 2012, no 11-17.919

[5]Conseil d’État « France Quick », 7/5 SSR, 22 février 2002, n°216088, Rec. Lebon

[6]CE 1reet 6ech. réunies 16 octobre 2017, n°396494

[7]SOAZIC M., « Recours abusifs et recours « mafieux » : la chasse est ouverte ! », AJDA, 2013. 1909.

Les brèves de la revue BJDU
L’actualité jurisprudentielle du droit de l’urbanisme sélectionnée par le comité de rédaction du BJDU.

AUTORISATIONS D’OCCUPATION DU SOL

CE 25 octobre 2018, Commune de Montreuil, n°412542

Le juge doit-il porter une appréciation sur l’étude préalable, requise par un plan de prévention des risques, destinée à éclairer la conception du projet de construction ?

Permis de construire – Procédure d’attribution – Composition du dossier de demande de permis – Attestation établie par l’architecte du projet ou par l’expert certifiant la réalisation de l’étude préalable en application du e) de l’articleR. 431-16 du code de l’urbanisme (devenu f) du même article) et sa prise en compte dans le projet – Office du juge – Vérification de la production de cette attestation par le pétitionnaire – Existence : oui – Appréciation du contenu de l’étude et de son caractère suffisant – Absence : oui.

Il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 431-16 du code de l’urbanisme, de s’assurer de la production, par le pétitionnaire, d’un document établi par l’architecte du projet ou par un expert attestant qu’une étude a été menée conformément aux exigences de la réglementation et que ses résultats ont été pris en compte au stade de la conception du projet. Il ne saurait en revanche dans ce cadre porter une appréciation sur le contenu de l’étude et son caractère suffisant au regard des exigences des plans de prévention des risques qui en imposent la réalisation.

CE 9 novembre 2018, M. Allait et Mme Fustemberg, n°411010

Les dispositions du code de l’urbanisme régissant l’installation des résidences mobiles de loisirs et des caravanes sont-elles applicables à l’habitat permanent de gens du voyage ?

Autorisations d’utilisation des sols relatives au camping, au caravaning et à l’habitat léger de loisirs – Dispositions régissant l’installation des résidences mobiles de loisirs (art. R. 111-42 du code de l’urbanisme) et des caravanes (art. R. 111-49 de ce code) – Applicabilité à l’installation des résidences mobiles constituant l’habitat permanent de gens du voyage (1eral. du I de l’article 1erde la loi du 5 juillet 2000 et L. 444-1 et R. 421-23 du code de l’urbanisme) – Absence : oui, dès lors que leur installation est entièrement régie par des dispositions particulières.

L’installation des résidences mobiles qui constitue l’habitat permanent de gens du voyage, est entièrement régie pardes dispositions particulières qui précisent les conditions dans lesquelles celles-ci peuvent être installées sur le terrain de leur propriétaire ou en zone non constructible, de même que pour une durée supérieure à trois mois. Les dispositions relatives aux résidences mobiles de loisirs ou aux caravanes ne leur sont dès lors pas applicables.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]