La « clause-filet » de l’évaluation environnementale : impactante ?

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

François Braud
Avocat à la Cour – Associé
ATMOS Avocats

Le décret du 25 mars 2022 relatif à l’évaluation environnementale des projets met en place le dispositif très attendu, dit de « clause-filet », qui permet de soumettre à évaluation environnementale des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et la santé humaine, mais situés en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement.

Aux termes de la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, les États membres devaient prendre « les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences »[1].

En 2015, dans son rapport Moderniser l’évaluation environnementale [2], Jacques Vernier soulevait déjà la nécessité d’intégrer une clause-filet en considérant que « le maintien de la situation actuelle ne garantit pas la sécurité juridique des projets ».

Pour autant, dans l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 et le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 modifiant les règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, la France a fait le choix de soumettre à évaluation environnementale uniquement les projets limitativement énumérés à l’annexe de l’article R 122-2 du code de l’environnement.

À la suite d’un contentieux engagé par l’association France Nature Environnement (FNE), le Conseil d’État, par un arrêt du 15 avril 2021[3], n’a pas eu d’autre choix que d’enjoindre au Premier ministre de réviser, dans un délai de neuf mois, la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale aux motifs que l’instauration d’un seuil, en deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d’évaluation environnementale, n’est pas compatible avec les objectifs de la directive européenne.

C’est finalement avec un peu plus de deux mois de retard que l’exécutif a mis en place la fameuse « clause-filet », nécessitant désormais de distinguer, non plus deux, mais trois catégories de projet, à savoir d’une part les projets soumis à évaluation environnementale systématique en fonction des seuils fixés à l’annexe de l’article R 122-2 ; d’autre part les projets soumis à évaluation environnementale au cas par cas, en fonction des seuils fixés par ce même article et enfin les projets (y compris de modification ou d’extension), situés en dessous des seuils, mais soumis à évaluation environnementale par application de la « clause-filet », à la suite d’un examen au cas par cas. Le dispositif de la « clause-filet » visant seulement à identifier un projet impactant non visé dans la nomenclature de l’article R 122-2, doit lui aussi faire l’objet d’un cas par cas.

Si le principe, en soit, est assez simple et s’il vise à permettre de se conformer au droit européen, les modalités d’application s’avèrent pour le moins complexes.

En effet, c’est à l’autorité compétente chargée d’autoriser ou de valider la déclaration relative au projet pour la première fois, d’informer le maître d’ouvrage, par décision motivée, dans un délai de quinze jours à compter du dépôt du dossier, que son projet doit faire l’objet d’un examen au cas par cas par l’autorité environnementale.

Il appartient alors au maître d’ouvrage de saisir l’autorité en charge de l’examen au cas par cas qui décidera de la nécessité, ou non, de réaliser une étude d’impact. Le mécanisme s’apparente un peu à celui dit du « basculement » du régime de l’enregistrement ICPE à celui de l’autorisation environnementale, très décrié à l’époque, en ce qu’il est de nature à allonger considérablement les délais de réalisation des projets. De fait, avec le mécanisme de la « clause-filet », un porteur de projet qui pouvait penser n’être soumis qu’à une simple déclaration préalable, pourra finalement devoir réaliser une étude d’impact. Les porteurs de projet auront donc tout intérêt à se poser la question de la nécessité d’une étude d’impact au stade de la conception de leur projet et préalablement à la demande d’autorisation ou au dépôt de la déclaration. Rappelons en effet que la réalisation d’une étude d’impact (en particulier de son volet faune/flore qui doit être réalisé sur un cycle biologique complet), est de nature à accroître de plus d’une année supplémentaire le calendrier de réalisation d’un projet.

Le décret du 25 mars 2022 contient également des dispositions d’articulation de ce nouveau dispositif de « clause-filet » avec les modalités d’instruction des autres demandes concernant le projet ; en particulier déclaration IOTA, déclaration ICPE, autorisation de défrichement, autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public maritime…

En outre, dès lors que les autorisations d’urbanisme sont bien dans le champ d’application du dispositif de la « clause-filet », l’article 8 du décret modifie plusieurs articles réglementaires du code de l’urbanisme relatifs au permis de construire, à la déclaration préalable des projets et au permis de démolir, afin de pouvoir en tenir compte dans le cadre du délai d’instruction qui se trouve ainsi très impacté.

Ensuite, plus particulièrement pour les autorisations d’urbanisme, en cas d’activation de la « clause-filet », les délais d’instruction sont profondément modifiés. Il sera sans doute déconcertant de voir une décision de non-opposition à déclaration préalable intervenir seulement après une enquête publique[4] ou après une instruction rallongée de deux mois pour tenir compte d’une participation du public par voie électronique[5]. En cas d’activation de la « clause-filet », le maître d’ouvrage se trouvera alors tenu, dans un délai de trois mois comme lorsqu’il s’agit de pièces manquantes, soit d’adresser la dispense d’évaluation accordée par l’autorité environnementale, soit l’étude d’impact. À défaut de production de l’une ou l’autre pièce, l’autorisation d’urbanisme sera refusée ou donnera lieu à opposition. En l’occurrence, produire une étude d’impact sérieuse dans un délai inférieur à trois mois relèvera de la gageure pour un maître d’ouvrage non préparé, a fortiori si l’étude nécessite de prendre en compte une période longue (étude quatre saisons ou encore étude en périodes de basses eaux et de hautes eaux).

Au-delà de la complexité procédurale induite par ces modifications, que les porteurs de projets devront nécessairement appréhender, les risques contentieux seront évidemment accrus pour les petits projets. En effet, il y a fort à parier que les opposants à un projet, aussi petit soit-il, essayeront d’arguer devant le juge administratif de l’illégalité de l’autorisation ou de la déclaration d’un projet qui n’aura pas fait l’objet d’une étude d’impact préalable, en se prévalant de la sensibilité du milieu d’implantation notamment.

Cette insécurité juridique est d’autant plus grande que ce n’est pas l’autorité environnementale (indépendante) qui décidera complétement de la nécessité, ou non, de réaliser une étude d’impact. En effet, dans la procédure prévue, il y a deux niveaux de décisions. En effet, à défaut de soumission volontaire du maître d’ouvrage ab initio, c’est bien l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation ou acter de la déclaration qui devra décider, en premier lieu, qui plus est dans un délai pour le moins réduit de quinze jours (plus court que le délai d’un mois pour la complétude d’un dossier d’autorisation d’urbanisme), de la nécessité d’une procédure au cas par cas. Il est possible que les décisions tacites de ne pas activer la « clause-filet » soient nombreuses. Dans ce cas, l’angle d’attaque au contentieux sera d’autant plus important.

La première fragilité juridique en résulte d’ailleurs immédiatement, ainsi que l’a souligné l’Autorité environnementale sur le projet de décret[6] lorsqu’il était soumis à la consultation du public, puisqu’un silence, en particulier selon la directive Projet, ne peut être une décision d’exonération, dès lors qu’il ne peut permettre de s’assurer que l’examen a bien été réalisé.

La somme des insatisfactions suscitées par ce décret rend tout à fait vraisemblable un futur recours à son encontre.

Il reste que le maître d’ouvrage qui souhaite sécuriser au maximum un projet susceptible d’avoir un impact environnemental pourra, de sa propre initiative, saisir l’Autorité environnementale chargée de l’examen au cas par cas. À mon sens, dès lors qu’un risque de recours existe, le maître d’ouvrage devra, a minima, se poser la question d’utiliser cette possibilité offerte par la réglementation de saisir directement l’autorité environnementale d’une procédure au cas par cas.

[1] Article 2 Directive 2011/92/UE

[2] Moderniser l’évaluation environnementale, 2015, Jacques Vernier

[3] CE, 15 avril 2021, n°425424

[4] Articles art. R. 423-20 et R. 423-32 du code de l’urbanisme

[5] Article R.423-25 du code de l’urbanisme

[6] Avis délibéré de l’Autorité environnementale du 10 février 2022 sur le projet de décret.