Actualité législative des autorisations d’urbanisme à l’épreuve du changement climatique et des violences urbaines

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Isabelle Cassin
Avocat associé
GENESIS AVOCATS

L’été 2023 a été marqué par une forte actualité, tout d’abord avec la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux (loi n°2023-630 du 20 juillet, JO 21 juillet) laquelle desserre un peu le calendrier d’intégration des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols dans les documents de planification et d’urbanisme : les dates butoirs sont reportées de neuf mois pour les SRADDET et de six mois pour les autres documents (SCOT, PLU, carte communale). C’est désormais au 22 février 2028 que les PLU et les cartes communales devront avoir intégré les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et avant, au 22 février 2027 pour les SCOT.

Dans l’attente de l’intégration de la trajectoire ZAN dans les documents locaux de planification, de nouveaux outils de gestion foncière s’avéraient nécessaires en vue de faciliter la gestion du foncier disponible et permettre aux élus une meilleure maîtrise des projets générant de l’artificialisation, et ce d’autant que la première période de réduction de l’artificialisation (2021-2031) (- 50 % par rapport à la décennie précédente) est déjà bien entamée. C’est l’objet de l’article 6 de la loi du 20 juillet 2023, dite loi ZAN, qui crée notamment un nouveau cas de droit de préemption urbain dans des secteurs prioritaires à mobiliser qui présentent un potentiel foncier majeur pour favoriser l’atteinte des objectifs légaux de lutte contre l’artificialisation des sols, délimités au sein des PLU, documents d’urbanisme en tenant lieu et cartes communales (nouvel article L.211-1-1 du code de l’urbanisme). Le champ légal des actions ou opérations d’aménagement est également élargi : ces opérations peuvent aujourd’hui permettre le recyclage foncier (friches à réhabiliter) et viser à renaturer ou à désartificialiser des sols (article L. 300-1 du code de l’urbanisme complété par la loi du 20 juillet 2023) ; de sorte que le droit de préemption urbain pourra être mobilisé pour permettre la réalisation d’une action ou d’une opération d’aménagement ayant ces objets.

Dans le même objectif de sobriété foncière, un nouveau sursis à statuer à l’égard des projets artificialisants est créé par l’article 6 de la loi ZAN. Ce nouveau cas de sursis à statuer a été intégré à l’article 194 (IV, 14°) de la loi Climat et Résilience (loi n°2021-1104 du 22 aout 2021) et non dans le code de l’urbanisme, car son régime est nécessairement transitoire et diffère substantiellement du régime du sursis à statuer des articles L.424-1 et L.153-11 dudit code. Il prévoit que l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme entraînant une consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de réduction de cette consommation à l’horizon 2031 susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration ou de modification. La décision de surseoir à statuer est donc conditionnée par l’engagement d’une procédure d’élaboration ou de modification du PLU (à noter que l’article 194 ne mentionne pas la procédure de révision, mais il ne ressort pas des travaux préparatoires que le législateur ait entendu l’exclure). Elle devra être motivée en considération, soit de l’ampleur de la consommation résultant du projet faisant l’objet de la demande d’autorisation, soit de la faiblesse des capacités résiduelles de consommation au regard des objectifs de réduction légaux. Elle ne pourra toutefois être opposée à une demande pour laquelle la consommation d’ENAF résultant de la réalisation du projet est compensée par la renaturation d’une surface au moins équivalente à l’emprise du projet. Ce nouveau cas de sursis à statuer, entre les mains de l’autorité compétente (le maire le plus souvent), est donc susceptible de concerner toutes les communes, qu’elles soient couvertes, ou non, par un document d’urbanisme (et quel que soit ce document, PLU ou carte communale) dans la période transitoire 2021-2027. Il vise, dans cet intervalle, à déjouer des stratégies de contournement des objectifs ZAN par des demandes accrues de certificat d’urbanisme ou d’autorisations d’urbanisme pour des projets artificialisants, alors que la règle d’urbanisme locale n’aurait pas encore intégré les objectifs de réduction de l’artificialisation. S’agissant d’un pouvoir discrétionnaire, son absence de mise en œuvre pourrait être censurée pour erreur manifeste d’appréciation en cas de recours contre une autorisation d’urbanisme, par analogie avec le sursis à statuer de l’article L.153-11 du code de l’urbanisme (pour un exemple récent, CAA Lyon, 18 avril 2023, n°21LY02999, la cour jugeant au surplus que le motif tiré de l’absence de sursis à statuer sur la demande de permis de construire n’étant pas régularisable, dès lors que cela impliquerait un bouleversement tel qu’il changerait la nature du projet, les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ne pouvaient être mises en œuvre).

Le régime de ce nouveau sursis à statuer se distingue de celui du code de l’urbanisme sur plusieurs points essentiels. Sa durée, tout d’abord : alors que le sursis à statuer du code de l’urbanisme ne peut excéder deux ans, ou trois au maximum en cas de succession de deux sursis opposés sur des motifs différents (code de l’urbanosme, art. L.424-1 avant dernier al.), la durée du sursis à statuer sur les demandes d’autorisation d’urbanisme entrainant une consommation excessive d’ENAF est variable : elle coïncide avec la durée d’élaboration du document d’urbanisme modifié intégrant les objectifs territorialisés de lutte contre l’artificialisation des sols, soit en principe au plus tard le 22 février 2028, nouvelle date limite fixée pour la modification des PLU et cartes communales. À l’expiration du délai de validité du sursis à statuer, il incombera à l’autorité compétente de statuer sur la demande d’autorisation d’urbanisme dans un délai de deux mois à compter de la confirmation par le pétitionnaire de cette demande. À défaut de notification de décision dans ce délai, l’autorisation sera considérée comme accordée dans les termes dans lesquels elle avait été demandée. On relève que le législateur ne contraint pas le pétitionnaire à confirmer sa demande d’autorisation dans un certain délai, comme le fait le code de l’urbanisme qui requiert une confirmation au plus tard deux mois après l’expiration du délai de validité du sursis à statuer. Autre différence notable avec le sursis à statuer du code de l’urbanisme : le droit de délaissement. Dans le régime de l’article L.214-1 du code de l’urbanisme, le droit de délaissement n’est ouvert au pétitionnaire, propriétaire du terrain, qu’après une décision de refus de l’autorisation d’urbanisme faisant suite à la décision de sursis à statuer. Dans le régime de l’article 194 de la loi Climat et Résilience modifié par la loi du 20 juillet 2023, le droit de délaissement peut être actionné par le propriétaire du terrain à qui a été opposée la décision de sursis à statuer dès celle-ci intervenue. La mise en demeure d’acquérir pourra donc constituer la réponse immédiate du propriétaire à une décision qui a pour effet de geler son actif pour une durée, certes limitée (2028), mais qui peut s’avérer longue.

C’est à un autre défi, conjoncturel, que visent à répondre la loi n°2023-656 du 25 juillet 2023 relative à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (JO 26/7) et l’ordonnance n° 2023-870 du 13 septembre 2023 tendant à l’accélération de la délivrance et la mise en œuvre des autorisations d’urbanisme permettant la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (JO 14/9).

Mesure peut-être la plus notable de ce dispositif d’exception : les travaux préliminaires (opérations et travaux de démolition, de terrassement, de fondation) pourront être engagés dès le dépôt de la demande de permis ou de la déclaration préalable, par anticipation sur l’autorisation à venir (en revanche, le constructeur devra avoir obtenu, avant tout démarrage du chantier, les autorisations requises par les autres législations, notamment en matière d’occupation du domaine public et de la voirie publique). Ce droit à engager les travaux de manière anticipée peut s’expliquer par le fait que l’ordonnance consacre un droit de reconstruire à l’identique ou avec des adaptations ou améliorations dans la limite d’une diminution ou d’une augmentation de 5 % de son gabarit initial seulement. Cette évolution peut toutefois dépasser 5 % du gabarit initial, à proportion des modifications du bâtiment nécessaires à la réalisation du ou des objectifs invoqués lorsqu’elle est justifiée par un objectif d’amélioration de la performance énergétique, d’accessibilité ou de sécurité. Ce droit à évolution du gabarit de plus (ou moins) 5 % constitue une différence par rapport au droit commun de la reconstruction à l’identique qui ne tolère, selon la jurisprudence, que des « différences mineures » dans l’implantation de la nouvelle construction, ses dimensions et ses aménagements intérieurs et extérieurs (CE, 27 décembre 2019, n°420404 ; également, CAA Lyon, 13 octobre 2022, n°22LY01674). L’ordonnance du 13 septembre 2023 précise que ces adaptations et améliorations ne peuvent avoir pour effet de modifier la destination ou la sous-destination initiale du bâtiment. En outre, ce droit de reconstruire à l’identique ou avec ces adaptations et améliorations ne saurait prévaloir sur les impératifs de sécurité publique : il s’exerce dans les limites des règles applicables en matière de risques naturels, technologiques ou miniers auxquelles la reconstruction ou la réfection ne peut contrevenir, le cas échéant, sous réserve des prescriptions de sécurité dont l’autorité compétente peut assortir le permis. En cas de commencement des travaux préliminaires avant l’obtention de l’autorisation, la situation n’est pas sans risque pour le maitre d’ouvrage si, in fine, l’autorisation venait à être refusée, notamment pour un motif lié à une augmentation du gabarit qui dépasserait les limites fixées par la loi ou un motif de sécurité publique.

Le formalisme de la demande d’autorisation d’urbanisme est adapté sur plusieurs points pour répondre à l’objectif de reconstruction rapide : la demande de permis doit préciser explicitement que le projet est soumis au régime dérogatoire de la loi du 13 septembre 2023 et comprendre une motivation spécifique si le maitre d’ouvrage envisage d’apporter au bâtiment initial des adaptations ou des améliorations ; les formalités de publicité de la demande sont élargies (publication d’un avis de dépôt précisant les caractéristiques essentielles du projet sur le site internet de la commune ou par affichage en mairie, affichage du récépissé sur le terrain d’assiette du projet à la charge du pétitionnaire). L’instruction de la demande est accélérée (15 jours pour une déclaration préalable, un mois pour une demande de permis, 5 jours pour une notification de pièces manquantes), avec une adaptation des règles de majoration des délais pour consultation d’un organisme ou d’une autorité administrative (15 jours à compter de la réception du dossier et le principe d’un accord tacite en cas de silence à l’expiration du délai) et une possibilité, laissée à la discrétion de l’autorité compétente, de dispenser le projet d’enquête publique pour lui substituer une procédure de participation par voie électronique selon les modalités de l’article L.123-19 du code de l’environnement. Ce régime tout à fait exceptionnel à la fois dans ses conditions, son formalisme et ses modalités d’instruction ne pouvait qu’être instauré pour une durée limitée : il s’applique ainsi aux demandes d’autorisations d’urbanisme déposées dans les dix-huit mois à compter l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 septembre 2023, soit jusqu’au 15 mars 2025. Pour mémoire, ce régime dérogatoire temporaire à la règlementation des autorisations du droit des sols est complété par un volet « marchés publics » (ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023) et un volet « financement » (ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023).

Enfin, on notera une autre mesure de nature règlementaire pour répondre à des besoins d’hébergement et de relogement temporaire : le décret n° 2023-894 du 22 septembre 2023 portant adaptation du régime de dispense de formalités d’urbanisme applicable à certaines constructions démontables (JO 24/9) vient pérenniser le dispositif mis en place par le décret n° 2021-812 du 24 juin 2021 (le décret du 22 septembre 2023 abrogeant en conséquence le décret du 24 juin 2021) et l’inscrire dans le code de l’urbanisme. Il dispense ainsi de toutes formalités au titre du code de l’urbanisme les constructions suivantes implantées pour une durée n’excédant pas deux ans : les constructions à usage de résidence universitaire, de résidence sociale (telle que définie au troisième alinéa de l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation), de centre d’hébergement et de réinsertion sociale (tel que défini à l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles), de structure d’hébergement d’urgence (telle que mentionnée aux articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles) et de relogement temporaire rendu nécessaire par des opérations d’aménagement urbain réalisées dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (telles que définies à l’article 9-1 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine) (code de l’urbanisme art. R. 421-5 e) nouveau). Toutefois, ces cas de dispense ne sont pas applicables dans les zones de risques, définies comme les zones où les constructions sont interdites par un plan de prévention des risques naturels, par un plan de prévention des risques minier ou par un plan de prévention des risques technologiques (code de l’urbanisme, nouvel art. R.421-5-1).