Loi climat et création de nouvelles surfaces commerciales

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Alexandre LO CASTO PORTE
Avocat
LexCase Société d’avocats

Mélanie LEBON
Élève – avocate

Dans le sillage de la Convention Citoyenne pour le Climat, le projet de loi portant « lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », qui vient d’être voté solennellement en première lecture à l’assemblée le 4 mai, prévoit de nombreuses mesures visant à lutter contre l’artificialisation des sols.

Ces nouvelles mesures se déclinent notamment autour d’un objectif ambitieux visant à réduire de moitié le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix prochaines années, en vue d’atteindre d’ici 2050, un objectif de zéro artificialisation des sols « nette » .

Cette notion se dote pour l’occasion d’une définition juridique large et dépourvue d’ambiguïté. En l’état du projet de loi, un sol sera regardé comme artificialisé à chaque fois que « l’occupation ou l’usage qui en est fait affectent durablement tout ou partie de ses fonctions écologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique » (art. 48 du projet de loi modifiant l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme). Le texte précise à cet égard que la notion de sol artificialisé doit s’entendre par opposition avec « les surfaces de pleines terres ».

L’interdiction de principe des nouvelles surfaces commerciales

Dans ce cadre, les dispositions de l’article 52 du projet de loi relatives à la création de nouvelles surfaces commerciales se montrent particulièrement restrictives et n’ont pas manqué de faire couler de l’encre.

Ces dispositions prévoient en effet un principe général aux termes duquel les autorisations d’exploitation commerciale ne pourront plus être délivrées « pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols » au sens de l’article L.101-2 du code de l’urbanisme (Nouveau V de l’article L. 752-6 du code de commerce).

Comme l’a relevé le Conseil d’État dans le cadre de l’examen du projet de loi, l’artificialisation des sols est « inhérente à l’acte de construire », et il faut donc comprendre que le texte pose une interdiction de principe de créer de nouvelles surfaces commerciales sur des parcelles vierges (cf. CE, avis du 4 février 2021, point 60).

Une interdiction aux effets différents selon l’ampleur des projets

Ce principe ne s’appliquera pas de la même manière suivant l’ampleur des projets.

S’agissant des projets présentant une surface de vente supérieure à 10 000 m2, le texte aura des conséquences particulièrement drastiques puisqu’aux termes du texte adopté en première lecture, l’interdiction ne pourra faire l’objet d’aucune dérogation.

Le premier effet sera donc de mettre un coup d’arrêt définitif aux grands projets de création ou d’extension de centre commerciaux en périphérie des centres villes, tels que le centre commercial Odysseum à Montpellier (surface de vente de 29 700 m2 ouverte en 2009, autorisation d’extension de 12 980 m2 validée par la CDAC en 2018), celui de Carré Sénart en Seine et Marne (surface de vente 113 000 m2 comprenant une extension de 30 500 m2 réalisée en 2017) ou celui de Cap Sacré Cœur à La Réunion (surface de vente 27 000 m2 comprenant une extension de 9200 m2 réalisée en 2018).

Au regard du texte adopté en première lecture, ces projets de très grande envergure ne seront plus envisageables que sur des parcelles déjà artificialisées, par exemple dans le cadre de réhabilitation de friches industrielles ou de surélévation des centres commerciaux existants.

S’agissant des projets de surfaces commerciales d’envergure moins importante (<10 000 m2 de surface de vente), le texte aménage certaines possibilités de dérogation à l’interdiction de nouvelle artificialisation, à condition pour le pétitionnaire de démontrer, dans le cadre de l’analyse d’impact jointe à sa demande d’autorisation, que le projet remplit les critères suivants :

  • Critère n°1 – Le projet s’insère en continuité avec les espaces urbanisés ;
  • Critère n°2 – Le projet s’intègre dans un secteur au type d’urbanisation adéquat ;
  • Critère n°3 – Le projet répond au besoin du territoire ;
  • Critère n°4 (alternatif) – Le projet remplit au choix, l’une des conditions suivantes :
  • le projet s’insère au sein d’un secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la ville ;
  • le projet prévoit de compenser l’artificialisation par le rétablissement d’un espace non artificialisé ;
  • Le projet s’intègre dans un secteur identifié avant l’entrée en vigueur de la loi Climat par le SCoT (secteur d’implantation périphérique / centralité urbaine localisée) ou le PLUi (zone d’activité commerciale) pour permettre l’installation de nouvelles surfaces commerciales.

Précisons en outre que, pour les projets concernés d’une surface de vente supérieure à 3000 m2, c’est désormais la Commission Nationale de l’Aménagement Commercial (CNAC) qui se chargera d’instruire les demandes de dérogation (NB : actuellement les autorisations d’exploitation commerciale portant sur des surfaces de plus de 1000 m2 relèvent de la Commission Départementale d’Aménagement Commercial).

Si les modalités d’application du texte doivent encore être précisées par décret et ne devraient pas manquer de générer une abondante jurisprudence, il est d’ores et déjà possible d’affirmer que la possibilité de créer de nouvelles surfaces commerciales de moins de 10 000 m2 s’en trouvera fortement limitée.

Reste qu’en pratique, 80% des projets continueront d’échapper à l’interdiction absolue selon les chiffres présentés dans le cadre des discussions parlementaires.

D’importants angles morts

En l’état, le texte adopté en première lecture n’est pas sans soulever certaines interrogations légitimes.

Premièrement, la pertinence de la distinction entre surface commerciale supérieure et inférieure à 10 000 m2 interroge dès lors qu’en pratique, beaucoup de projet inférieur à
10 000 m2 ont vocation à s’intégrer au sein d’opération d’aménagement de grande ampleur fortement consommatrice en termes d’artificialisation.

Deuxièmement, les dispositions de l’article 52 adoptées en première lecture n’auront pas d’incidence sur les nouvelles surfaces de stockage du secteur logistique et du commerce électronique, qui sont actuellement en plein développement sur le territoire, avec une incidence certaine en termes d’artificialisation (A titre d’exemple, entrepôt d’Amazon à Amiens : 170 000 m2).

Juridiquement, cette exclusion s’explique par le fait que ces entrepôts ne sont pas soumis à la réglementation applicable à l’aménagement commercial (code de commerce), mais à celles des Installations Classées Pour la Protection de l’Environnement (code de l’environnement), au titre de la rubrique 1510 de la nomenclature ICPE « Stockage de matière, produits ou substances combustibles dans des entrepôts couverts ».

Dans le cadre des débats parlementaires, le gouvernement s’est opposé à toute transposition de l’interdiction aux entrepôts logistiques et du commerce électronique au motif que ces derniers « ne répondent pas aux mêmes règles et aux mêmes enjeux en matière d’artificialisation des sols » et « ne sont responsables, au maximum, que de 1% de l’artificialisation des sols de notre territoire » (cf. intervention de Mme la Ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, Emmanuelle Wargon lors de la séance du 15 avril 2021).

En l’état, le projet de loi adopté se limitera donc à imposer aux documents d’urbanisme de prévoir une planification de l’aménagement et de la localisation des entrepôts et plateformes logistiques, sans interdire pas pour autant leur implantation (cf. Article 52 bis du projet de loi).

Reste que ce « deux poids, deux mesures » pourrait creuser la brèche constitutionnelle déjà entrouverte par le Conseil d’État, qui dans le cadre de son avis sur le projet de loi élaboré par le gouvernement, alertait sur le risque que le projet « porte atteinte à l’égalité entre les opérateurs économiques » dès lors qu’il ne concerne que les entreprises soumises à autorisation d’exploitation commerciale «  alors que d’autres entreprises peuvent s’installer sans autorisation dans ces zones, tout en entrainant une artificialisation importante des sols » (CE, Avis du 10 février 2021, n°401933).