Division en volumes et ensemble immobilier complexe

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT

Marianik Dorel
Juriste immobilier
Étude Cheuvreux

La division en volumes est une organisation particulière de la propriété immobilière qui s’appuie sur des notions de droit sans qu’un texte de loi ne la définisse, et qui trouve aujourd’hui parfaitement sa place à côté de la division en lots de copropriété.

Invention de la pratique dans les années 1970, la technique de la division en volumes, consistant à diviser l’immeuble en toute propriété, c’est-à-dire en parties privatives simplement et sans parties communes objet d’une propriété indivise, a été créée à l’origine pour résoudre les problèmes posés par l’imbrication du domaine public et du domaine privé[1], ainsi que pour mettre en place une organisation efficace des ensembles immobiliers complexes en les faisant échapper à la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, protectrice et d’ordre public, mais mal adaptée à la gestion de tels ensembles.

Le recours à la division en volumes se justifie ainsi pour répondre à deux situations, celle dans laquelle une partie de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier appartient au domaine public d’une personne publique, tel que celui-ci est défini à l’article L2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, et celle dans laquelle l’opération immobilière porte sur un ensemble immobilier complexe.

S’agissant de la notion d’ensemble immobilier complexe, jusqu’à la loi du 24 mars 2014, dite « loi Alur », celle-ci-ci était caractérisée par l’hétérogénéité de sa structure, renvoyant à l’idée d’une imbrication d’éléments de construction distincts.

En l’absence d’une véritable consécration jurisprudentielle, le besoin d’une définition légale de l’ensemble immobilier complexe justifiant le recours à la division en volumes, s’est progressivement exprimé.

C’est ainsi que la loi Alur, en créant la possibilité d’une scission en volumes, figurant désormais dans l’article 28-IV de la loi du 10 juillet 1965, est venue définir l’ensemble immobilier complexe justifiant le recours à la division en volumes (I), par opposition au bâtiment unique (II), étant rappelé qu’une convention dérogeant expressément au statut de la copropriété et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs reste indispensable pour écarter l’application du statut de la copropriété (III).

1. Définition de l’ensemble immobilier complexe

Le IV de l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que la scission d’une copropriété en volumes est possible dans le cas :

« d’un ensemble immobilier complexe comportant soit plusieurs bâtiments distincts sur dalle, soit plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents, pour autant que chacune de ces entités permette une gestion autonome ».

En retenant deux critères pour caractériser l’ensemble immobilier complexe, à savoir soit plusieurs bâtiments sur dalle (c’est-à-dire plusieurs bâtiments séparés sur une dalle qui fait fonction de « sol artificiel »), soit plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents (c’est-à-dire affecté à un seul usage, lequel usage doit être distinct de celui des entités contigües), le législateur a repris les éléments de définition jadis suggérés par la doctrine.

Ces critères doivent, en toute hypothèse, servir pour caractériser l’ensemble immobilier complexe, c’est-à-dire même lorsqu’il ne s’agit pas de scinder une copropriété en volumes, et s’appliquer ainsi au mode de division originaire d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments[2].

Le IV de l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 précise également que : « La procédure ne peut en aucun cas être employée pour la division en volumes d’un bâtiment unique ».

Par souci de cohérence, si l’on ne peut pas diviser un bâtiment existant unique en volumes, il ne doit pas non plus être possible de diviser en volumes un bâtiment unique à construire.

2. Définition du « bâtiment unique »

Un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 28 mars 2017[3] a donné des précisions sur le bâtiment « unique » : «  Il résulte des disposition de l’article 28-IV de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, dans sa rédaction issue de la loi ALUR du 24 mars 2004, que la scission en volumes ne peut en aucun cas être employée pour la division d’un bâtiment unique ; que tel est le cas d’un bâtiment dont la conception architecturale est homogène pour tout le bâtiment, de sorte qu’il est inconcevable de réaliser un ravalement partiel de la façade ou de la toiture, que les fondations sont communes pour toutes les parties de l’immeuble et qu’il existe plusieurs accès communs aux différentes parties de l’immeuble ».

À suivre cette décision, le « bâtiment unique » pour lequel le législateur a interdit la scission en volumes et, par suite le recours à la volumétrie lors de la division originaire de l’immeuble est le bâtiment « homogène » à la fois au sens structurel (conception architecturale, fondations communes, façades et toitures communes) et au sens fonctionnel (existence d’accès commun aux différentes parties de l’immeuble, réseaux communs …).

Si les ensembles immobiliers complexes, pour lesquels le recours à la division en volumes se justifie, n’ont pas vocation à être régis par la loi du 10 juillet 1965, celle-ci leur devient applicable en l’absence de convention dérogeant expressément au statut de la copropriété, et de mise en place d’une organisation juridique répondant aux critères posés par l’article 1er, II, alinéa 1er de la loi.

3. Convention dérogeant expressément au statut de la copropriété

Dans sa version en vigueur depuis le 1er juin 2020, l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, définissant le champ d’application du statut de la copropriété, dispose que, dans les ensembles immobiliers qui, outre des terrains, des volumes, des aménagements et des services communs, comportent « des parcelles ou des volumes, bâtis ou non, faisant l’objet de droits de propriété privatifs », le statut de la copropriété s’applique « à défaut de convention y dérogeant expressément et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs ».

C’est donc seulement de manière subsidiaire et purement facultative que l’ensemble immobilier est soumis à la loi de 1965, bien que non divisé en lots de copropriété. Il a vocation à s’en soustraire par la mise en place d’une convention créant une organisation différente de celle de la copropriété et devant :

– avoir la personnalité morale,

– être suffisamment structurée,

– déroger expressément au statut de la copropriété.

Ainsi en va-t’il notamment des Associations Syndicales de Propriétaires (ASP) dont font partie les Associations Syndicales Libres (ASL), lesquelles sont soumises aux dispositions de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 et à celles du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006, et les Associations Foncières Urbaines Libres (AFUL), prévues par les articles L.322-1 et suivants du Code de l’urbanisme, et soumises aux termes de ces articles à l’ordonnance de 2004.

Ces structures de gestion constituent au plan juridique l’élément fédérateur nécessaire à la bonne administration de l’ensemble immobilier. Elles ont généralement pour objet d’assurer le respect et la mise en œuvre des servitudes, de gérer les équipements et les ouvrages collectifs, de contracter une assurance globale, de procéder à la réalisation des réparations importantes d’ouvrages et d’éléments qui participent à la solidité ou à la stabilité des constructions édifiées dans des volumes et éventuellement à leur reconstruction.

À l’exception de la superposition du domaine public et de la propriété privée, il convient donc de connaître parfaitement les réalités pratiques de l’opération envisagée et de consulter préalablement des professionnels pour recourir à la division en volumes et pour éviter que celle-ci ne soit requalifiée par un tribunal qui serait tenté de lui appliquer le statut de la copropriété.

[1] CE, 11 février 1994, Cie d’assurance La Préservation Foncière, n°109564, publié : un bien qui ne serait pas la propriété exclusive de la personne publique ne peut être inclus dans le domaine public : le lot de copropriété comportant par définition une partie privative et une quote-part de parties communes est donc incompatible avec le régime de la domanialité publique.

[2] « Si la scission en volumes d’un bâtiment unique en copropriété est impossible, la solution doit être identique pour une division ab initio » 112e Congrès des notaires de France « la propriété immobilière, entre liberté et contraintes » juin 2016, p.69.

[3] Cour d’Appel d’Aix en Provence, 28 mars 2017, n°15/14766