La sobriété et les politiques publiques d’aménagement

Les grandes surfaces dans le cadre des ORT
Dominique Moreno
Responsable du Pôle Politiques territoriales et régionales
DGA Service, Information, Représentation des entreprises
Chambre de commerce et d’industrie de région Paris Île-de-France

Face à l’urgence climatique, la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 a inauguré une longue période, jusqu’en 2050, au cours de laquelle la sobriété devra guider les politiques publiques d’aménagement. Ce principe de consommation foncière économe était déjà plus ou moins en filigrane de réformes successives comme en connaît, constamment, le droit de l’urbanisme.

 

Certes, le renouvellement urbain n’est pas une nouveauté, la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) n°2000-1208 du 13 décembre 2000, il y a plus de vingt ans, l’inscrivait comme principe directeur du droit de l’urbanisme. Bien que des progrès aient été réalisés dans la manière d’aménager et de construire, aujourd’hui, le sujet prend une ampleur encore plus grande. Il s’exprime par trois lettres qui cristallisent toutes les opportunités et aussi toutes les inquiétudes, ZAN (zéro artificialisation nette des sols). Quoi qu’il en soit, la détermination à avancer est bien présente à travers l’expression répondue de « lutte contre l’artificialisation des sols » qui imprègne désormais tous les textes législatifs et réglementaires.

 

Toutes les régions dotées d’un schéma régional de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) devront réduire de 50 %, sur dix ans d’ici 2031, la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, puis réduire l’artificialisation des sols sur les périodes 2032-2040 et 2040-2050 de 50 % pour chacune, afin d’atteindre le ZAN à l’horizon 2050. Ces schémas arrêtent des trajectoires régionales de réduction de l’artificialisation des sols, concrétisées et territorialisées ensuite dans les documents d’urbanisme locaux, schémas de cohérence territoriale (SCOT) et plans locaux d’urbanisme (PLU). Des régimes spécifiques sont prévus pour les schémas régionaux portant à statut particulier en Île-de-France, Outre-mer et en Corse  qui peuvent choisir des trajectoires différentes de celle de 50 %, mais le principe de réduction de l’artificialisation demeure.

 

Il faut avoir à l’esprit que 6 % à 9 % des sols sont artificialisés en France, ce qui représente sur la décennie 2010-2020, 20 000 à 30 000 hectares par an. Grâce à une réduction de 50 %, l’artificialisation passera de 250 000 hectares sur la période 2010-2020 à 125 000 hectares sur la période 2021-2031.

 

Face aux défis lancés par la loi Climat et résilience, il fallait prendre rapidement ses décrets d’application, ce fut chose faite avec les premiers décrets d’avril 2022. Le décret n°2022-763 du 29 avril 2022 a établi une nomenclature des surfaces artificialisées et non artificialisées, applicable à partir de la deuxième période 2031-2040. Un second décret n°2022-762 du même jour était relatif aux modes d’intégration dans les SRADDET de l’ensemble des obligations relatives à la lutte contre l’artificialisation des sols inscrite dans la loi Climat et résilience.

 

Dès leur parution, ces deux décrets ont suscité des interrogations en particulier de la part des élus locaux qui ont pointé les difficultés de mise en œuvre de la politique du ZAN. Saisi d’un recours par l’Association des Maires de France, le Conseil d’État s’est prononcé dans deux arrêts du 4 octobre 2023. Dans un premier arrêt (n°465341), il censure partiellement le décret sur la nomenclature pour manque de précision quant à l’échelle territoriale de l’appréciation de l’artificialisation (référence à des « polygones » non définis). En revanche, dans le second arrêt (n°465343), il valide le décret SRADDET. De nouveaux décrets sont attendus avec impatience.

 

Le Parlement s’est également emparé du sujet. Le rapport n°743 du sénateur Jean-Baptiste Blanc du 29 juin 2022 a mis en exergue la lourdeur et le coût d’adaptation des documents d’urbanisme, la complexité de la lisibilité de la nomenclature du décret n°2022-763, la situation de certaines communes dont le territoire susceptible d’être considéré comme majoritairement non artificialisé se trouverait privé de capacités de développement en termes de logement et d’activités économiques. Étaient également invoqué le risque d’une flambée des prix de l’immobilier dans les territoires dits artificialisés.

 

En plus de ce rapport sénatorial, une mission a été confiée à la sénatrice Valérie Létard pour rédiger une proposition de loi (PPL) corrigeant certaines imperfections de la loi Climat et résilience.  Cette PPL a été votée en première lecture par le Sénat le 16 mars 2023. Mais l’Assemblée nationale avait concomitamment pris l’initiative d’une PPL n°854 déposée le 14 février 2023. Face à ces initiatives concurrentes, un travail de collaboration a fini par s’engager entre les deux Assemblées en prenant pour base de réflexion la PPL sénatoriale dont l’urgence a été déclarée. Un texte de consensus a été finalisé en juillet 2023, d’où la loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

 

Cette loi du 20 juillet 2023 comporte des clarifications importantes allant bien au-delà de simples précisions apportées à la loi Climat et résilience, et ce afin d’améliorer la mise en œuvre des politiques ZAN, devenue pressante, tout en sauvegarder l’équilibre entre les territoires. On en citera les principaux apports :
– le report de plusieurs mois des délais d’adaptation des schémas régionaux, des SCOT et des PLU, pour que cette adaptation se fasse de façon plus sereine ;
– l’instauration d’une gouvernance partagée de la mise en œuvre des objectifs de ZAN avec la création d’une conférence régionale rassemblant toutes les parties prenantes et dotée d’une véritable force de proposition ;
– la prise ne compte des projets d’envergure nationale et européenne au titre d’un « forfait national » afin qu’ils ne viennent pas obérer les enveloppes locales ;
– la création d’une « garantie rurale » d’un hectare permettant à toutes les communes de conserver une capacité minimale de développement, dès lors qu’elles s’inscrivent dans une démarche de planification ;
– l’utilisation d’outils opérationnels au service de la transition vers le ZAN comme le droit de préemption ou le sursis à statuer.

 

Ces nouveautés de la loi du 20 juillet 2023 seront développées lors des Journées du BJDU les 4 et 5 décembre prochain. De plus, dès que les décrets ZAN tant attendus seront parus, un article leur sera consacré dans le BJDU en complément de l’analyse de la loi.