Aménagement et développement durable, la démarche écoquartiers

[vc_row][vc_column][vc_column_text]La ville telle que nous la connaissons, telle que nous l’avons vue se construire ces dernières décennies est menacée. Les effets du changement climatique, la pollution de l’air, de l’eau ne sont plus des préoccupations lointaines, uniquement destinées à la protection des générations futures.

Concrètement, les villes émettent plus de 70% des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, tandis qu’elles accueillent plus de 50% de la population mondiale. La circulation routière, les activités industrielles, les bâtiments eux-mêmes, par leur conception, par les matériaux employés créent et emmagasinent de la chaleur, générant et autoalimentant le phénomène désormais bien connu des « îlots de chaleur », dont la population urbaine est la première victime.

Face à ce constat, le désir de voir évoluer la manière de concevoir et d’habiter les villes n’a cessé de croître. Car c’est là, au cœur même de la ville, que vont se jouer les grands enjeux écologiques, économiques et sociaux de demain.

Depuis le Grenelle de l’environnement, nous assistons à une réelle prise de conscience quant aux choix stratégiques écologiquement responsables qui doivent être faits, afin de lutter contre le réchauffement climatique, préserver la biodiversité, réduire les pollutions et améliorer le cadre de vie.

Ces dernières années voient se succéder de grandes réformes et des engagements dans les domaines de l’environnement et de l’urbanisme, en faveur de la mobilité, de l’écologie, de la transition énergétique, d’une évolution des modes de gouvernance.

Les initiatives se multiplient. Dans la continuité du Grenelle de l’environnement, le ministère du Développement durable avait lancé en octobre 2008 le plan Ville durable, initiant plusieurs actions : le label écoquartiers, le projet écocités, des appels à projets « transports collectifs » et le plan « restaurer et valoriser la nature en ville ». Un an après la conférence des Nations Unies sur le développement durable 2012, dite Rio+20, la ville de Nantes accueillait en 2013 le sommet mondial de la ville durable Ecocity. La Conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP 21) a vu naître un premier accord universel pour le climat (Accord de Paris) approuvé à l’unanimité par les 196 délégations, fixant comme objectif une limitation du réchauffement mondial entre 1,5 et 2C° d’ici 2100. Des réseaux engagés au niveau européen et national se développent : un Référentiel des villes et territoires durables (RFSC) a été mis en place par le Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE), offrant un soutien pratique aux collectivités territoriales européennes souhaitant s’impliquer dans un processus de développement urbain intégré et durable. Au niveau français, l’État a créé le réseau Vivapolis, visant à fédérer les acteurs publics et privés français travaillant à la conception, à la construction et au fonctionnement de la ville durable.

Le développement durable se trouve désormais placé au centre des politiques urbaines. La création des écoquartiers, encore appelés quartiers durables, en est une des manifestations les plus emblématiques.

L’émergence d’un besoin

L’aménagement urbain tel que nous le pratiquons depuis les années 70-80 s’est développé de manière relativement chaotique, sans véritable cohérence d’ensemble.

Les permis de construire (individuels et petits collectifs) délivrés hors de toute procédure organisée de développement, et conformément à des documents d’urbanisme eux-mêmes conçus sans réelle politique d’aménagement d’ensemble ont contribué au développement du mitage et à l’étalement urbain.

Or, cet étalement urbain de zones en sous-densité génère des coûts considérables, tant économiques qu’environnementaux. Les habitants comme les collectivités payent le coût du transport, dont on mesure également l’empreinte environnementale, mais aussi le coût des services et équipements urbains (réseaux, assainissement, transport en commun…) dont la rentabilité s’en trouve affectée. La destructuration des centres-villes nuit à la préservation et au développement du commerce, autant qu’au montage d’opérations de logement social en faveur de la mixité, lesquelles seront plus onéreuses en zones pavillonnaires.

In fine, l’étalement urbain nuit tant à l’attractivité et au dynamisme économique des centres-villes qu’à la préservation des espaces périphériques, fragilisant également l’économie agricole.

On en revient alors, ne serait-ce que par nécessité économique, à voir se réduire la superficie des parcelles et des logements individuels, et à augmenter à proportion la covisibilité et les nuisances (préjudice de vue, perte d’intimité), impactant la qualité de vie des habitants.

Partant, tout l’enjeu de la démarche était, comme le résume parfaitement Franck Faucheux[1], attaché à la mission de préfiguration de l’Institut pour la ville durable, et ancien chef de bureau de l’aménagement opérationnel durable au sein du ministère du Logement, « de lutter contre l’étalement urbain en privilégiant le renouvellement de la ville existante en montrant les bénéfices individuels, collectifs, économiques et écologiques de vivre ensemble, plus près des services, des commerces, des emplois, des loisirs ».

Concrétisée et encouragée dans les Grenelles de l’environnement, la démarche écoquartier s’est ainsi développée suivant une politique volontariste de l’État, visant à composer avec les principes de l’urbanisme et de l’aménagement durable posés par la loi SRU (mixité, redensification et lutte contre l’étalement urbain), le protocole de Kyoto, le pacte énergétique européen (réduction des émissions de gaz à effet de serre et développement des énergies renouvelables) et le protocole de Nagoya (biodiversité).

Un concept évolutif

Apparu dans les années 80, le terme « écoquartier » a, depuis, pris sa place dans le langage courant.

Il renvoie à l’idée de performance, à la fois énergétique, économique, sociale et environnementale. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une opération d’aménagement, entrant dans le cadre défini à l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme, qui sera conçue, aménagée et gouvernée selon les principes du développement durable.

Mis en œuvre à des échelles très diverses, tant par leur forme, leur implantation que par leurs implications dans le développement durable, les écoquartiers concernent tous types de projets, neufs ou de renouvellement urbain, et tous types de territoires, ruraux, périurbains, quartiers sensibles, centres anciens et tissus denses, qu’il s’agisse de quartiers de logements comme de zones d’activités, en métropole et outre-mer.

Ils recouvrent en ce sens tous les aspects de l’aménagement durable, depuis la démarche de projet jusqu’à la vie du quartier.

Sur le plan de la gouvernance, les écoquartiers sont avant tout pensés comme des projets collectifs. Le pilotage d’un tel projet, orchestré par le maître d’ouvrage, public ou privé (bien souvent une société d’économie mixte locale) mobilise l’ensemble des acteurs de la ville, du citoyen aux élus, en passant par l’ensemble des professionnels qui seront en charge de sa conception et de son aménagement (investisseurs, concepteurs, architectes, urbanistes, bureaux d’études, aménageurs, bailleurs et promoteurs, constructeurs…).

Tout d’abord, parce qu’il nécessite pour être réellement performant une mise en cohérence avec les politiques publiques territoriales, souvent gérées au niveau intercommunal (déchets, AEP, gestion des eaux pluviales et des eaux usées, transports en commun, réseaux d’énergie…).

Ensuite, parce qu’il doit pouvoir, pour garantir la qualité du projet dans la durée et à l’usage, proposer des outils de concertation et de suivi et permettre sa réappropriation par le public.

L’amélioration du cadre de vie, l’intégration et la mixité sociale, fonctionnelle et intergénérationnelle sont en effet au cœur du concept d’écoquartier. La participation du public et des futurs habitants dans la conception, puis dans la vie du quartier est donc indispensable, et tendra par là même à améliorer son acceptabilité, et à prévenir d’éventuels recours contre les autorisations d’urbanisme qui seront délivrées.

Sur le plan de la conception et de l’aménagement à proprement parler, les enjeux écologiques sont au centre de la démarche.

D’une conception innovante par principe, l’écoquartier va jouer sur de nombreux critères : la gestion de l’eau (systèmes alternatifs et écologiques d’assainissement, jardins filtrants servant de station d’épuration naturelle, protection des nappes, récupération et réutilisation de l’eau de pluie grâce à des canaux et toits végétalisés…), le traitement des déchets (collecte et tri sélectif, recyclage, compostage, traitement thermique, systèmes de canalisations souterraines à vide d’air pour le ramassage instantané des déchets, production de biogaz par l’incinération…), les déplacements (transports en commun, modes de déplacement doux, réduction des distances, parkings silos…), l’énergie (recours aux énergies renouvelables, pompes à chaleur aquifères, capteurs solaires, éoliennes, stockages naturels d’eau chaude, géothermie, systèmes de méthanisation, écoconstruction et utilisation de techniques et matériaux de construction locaux et écologiques, respect des critères de la Haute Qualité Environnementale…).

L’écoquartier vise un état d’équilibre entre production et consommation d’énergie, qui doivent se compenser pour aboutir à un bilan énergétique neutre, voire positif.

La réintégration et la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles (végétalisation des toitures et des façades, des parkings, serres et jardins familiaux et participatifs…), la protection des paysages, la prévention des risques et la lutte contre les nuisances sont également parties prenantes du dispositif et, au-delà, participent de l’optimisation du cadre de vie.

La démarche de labellisation

Après deux appels à projets en 2009 et 2011, l’État crée en 2012 un label national « EcoQuartier », valorisant les opérations dites exemplaires.

Le label ne crée pas pour autant un processus juridique contraignant, tendant vers un projet type. Il repose sur un socle d’exigences fondamentales, permettant de s’adapter au contexte propre à chaque opération, et à chaque territoire. L’écoquartier doit demeurer un lieu d’expérimentations, à la fois techniques et environnementales, économiques et sociales.

La démarche de labellisation se déroule en quatre étapes, correspondant aux différents stades du projet : étude et programmation, mise en chantier, livraison et suivi.

Le label EcoQuartier étape 1 est obtenu dès le démarrage de la phase d’études, par la signature de la « charte écoquartier » regroupant vingt engagements. La collectivité devient membre du club national écoquartiers, créé en 2010 dans l’optique de mutualiser les connaissances acquises et de faire évoluer le concept, en proposant des formations et conférences, des visites, des lettres d’information. Plus de 900 collectivités ont déjà rejoint le club. Les élus et leurs partenaires bénéficient alors, durant tout le processus de labellisation d’un appui technique des agences et opérateurs qualifiés de l’État.

Le label étape 2 est délivré en phase chantier par la commission nationale Ecoquartier sur proposition de la commission régionale, après réalisation d’une expertise destinée à vérifier la conformité du projet aux engagements de la charte.

Suivant les mêmes conditions, une nouvelle expertise est réalisée à la livraison du projet pour l’obtention du label étape 3.

Trois ans plus tard, la collectivité engage une démarche d’auto-évaluation, associant les habitants et usagers du territoire (validée par la commission nationale), visant à l’amélioration continue du quartier. Ce label étape 4 permet de mesurer comment la collectivité tient ses engagements dans le temps, et la manière dont les usagers s’approprient les aménagements.

Le succès de la démarche est incontestable.

La première campagne de labellisation s’est déroulée en 2013. Treize labels ont été décernés et trente-deux diplômes « engagés dans la labellisation ». En 2014, la deuxième campagne décerne dix-neuf labels et cinquante-trois diplômes, avec plus de 108 opérations candidates sur tout le territoire.

Entre 2009 et 2016, cinquante et un écoquartiers ont obtenu le label étape 3, soit un total de 66 000 logements construits ou réhabilités. La dernière campagne de 2017 a valorisé 147 projets, à différentes étapes d’avancement, dont 5 en étape 4.

Cette année a vu se lancer la sixième campagne de labellisation des écoquartiers, avec un appel à candidater avant le 15 avril 2018.

Depuis la création du label, plus de 500 projets sont en cours ou réalisés, représentant près de 175 000 logements. L’État vise un quota de cent nouveaux projets engagés tous les ans.

En conclusion, si la démarche est un succès grandissant, seul l’avenir permettra de dire si ces écoquartiers sont réellement durables.

Les critères d’aujourd’hui ne seront peut-être pas ceux de demain, et certains des écoquartiers préfigurateurs construits dans les années 80-90, notamment dans le nord de l’Europe ne sont plus aujourd’hui considérés comme « durables ».

À cet égard, nombre d’écoquartiers n’ont pas suffisamment intégré l’objectif de mixité sociale et de lutte contre les inégalités sociales. L’utilisation d’éco-matériaux pouvant engendrer un surcoût et un phénomène de pression foncière, qui se répercutent sur les prix de vente ou les loyers.

L’objectif de participation du public est lui aussi difficilement atteint, et se limite bien souvent à une brève période de concertation, au cours de laquelle les citoyens font davantage part de leurs inquiétudes face à un projet déjà bien avancé, et qui n’aura pas nécessairement vocation à évoluer, si ce n’est à la marge.

On peut également déplorer le fait que près d’un tiers de ces écoquartiers se construisent encore en extension sur des terres naturelles ou agricoles. Ainsi par exemple, en reprenant la carte des écoquartiers labellisés en 2014, on constate que si le Nouveau Mons (Lille) est un modèle réussi de renouvellement urbain, le Grand Hameau au Havre s’étale sur les derniers espaces « vierges » du territoire, et l’écolotissement du Frêne de Laguiole sur des terres agricoles.

Or, le principal défi de la ville durable n’est évidemment pas de poursuivre l’étalement urbain, mais plutôt d’enrayer le phénomène, en favorisant des opérations de renouvellement (rénovation et réhabilitation de quartiers existants, de zones urbaines en friche) et de densification.

La réussite d’un écoquartier tient davantage à son interconnexion avec le tissu urbain existant, en favorisant les circuits courts, les modes de déplacement alternatifs à la voiture individuelle, le recours aux fournisseurs locaux, la régulation des dépenses d’énergies.

Souvent présenté comme le laboratoire de la ville du futur, l’écoquartier se présente ainsi comme un outil privilégié, presque incontournable, pour appréhender les problématiques de l’aménagement du territoire dans les années à venir, pour tenter d’amorcer un véritable changement dans les mentalités et les manières de concevoir le vivre ensemble, et tester à moindre échelle la ville de demain.

[1]Étude par Franck Faucheux, « Le label ÉcoQuartier ou l’émergence d’un processus juridique contraignant ? », Actes Pratiques et Ingénierie Immobilière n°1, Janvier 2016, dossier 7

 

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Roxane Sageloli
Avocat à la Cour
Huglo Lepage Avocats[/ultimate_heading][/vc_column][/vc_row]

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